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MONTHERLANT Henry : sa vie et son oeuvre

Publié le 26/11/2018

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MONTHERLANT Henry Marie-Joseph Millon de (1896-1972). Tout Montherlant, sa vie, son œuvre, l’image sommaire qu’on a souvent de lui, pourrait tenir en cette formule du Carnet XXI : « Un paradoxe bien insolent est le chef-d’œuvre de la prudence ». Paradoxe en effet et chef-d’œuvre de prudence, qu’un Montherlant glacé vivant dans le classicisme, moraliste austère et anachronique, qui affirmait pourtant faire œuvre éphémère, amateur d’aphorismes qui ne croyait qu’au néant, alors que « connaissant, mêlées, la sensualité et la tendresse », il ne rejetait pas la subversion. Mais la prudence, pour Montherlant « l’Antique », conservait sa double acception : protection contre le monde; conquête d’une sagesse personnelle pour l’aborder.

 

« Un voyageur solitaire est un diable... »

 

L’origine sociale de Henry de Montherlant marque ses premières années. Du côté paternel, sa famille remonterait jusqu’à Robert Millon, seigneur d’Abbémon (Oise), au xvic siècle. Son trisaïeul François, député à la Constituante, Jacobin, fut guillotiné le 23 juin 1794. Du côté maternel, il descend du comte légitimiste Henry de Riancey. Après l’expérience des collèges catholiques et des « amitiés particulières », ses goûts s’infléchissent vers la camaraderie « démocratique », sur « le terrain de vérité » de la tauromachie, de la guerre et du sport. Simultanément — dès dix ans — s’affirme sa vocation : il sera écrivain, rien que cela. La notoriété vient avec la Relève du matin (1920), le Songe (1922), les Olympiques (1924). Mais il ne saurait s’installer dans son succès; en effet, dans les années 1925-1928, Montherlant connaît une évolution décisive, lors de la crise des « voyageurs traqués ».

 

Délaissant « la sale gloire parisienne » pour « réaliser la féerie », il rejettera dorénavant l’idée de faire carrière, méprisera l’argent, renoncera au mariage et se tiendra « à l’écart de la religion », tout en la respectant. Sa vie semble tracée, au terme de cette « explosion d’adolescence retardée », d’où se dégage « un homme meilleur ». Jusqu’en 1942, sa vie devient, par essence, une vie « privée », dont les seules manifestations publiques, en dehors d’articles « antimunichois », sont les transcriptions autobiographiques déguisées des œuvres romanesques et les réactions d'humeur dont ses Essais ou ses Carnets se font l’écho. Mais l’homme demeure profondément secret, et son attitude pendant l’Occupation suscitera quelque incompréhension, sa production littéraire de l’époque — le théâtre — venant renforcer l’équivoque. C’est en effet durant cette période qu’il apparaît, grâce à la Reine morte (1942), comme un auteur dramatique de renom.

 

Après guerre, il se manifeste peu, vivant à Paris, quai Voltaire, et menant de front sa production dramatique, son œuvre romanesque (le Chaos et la Nuit, 1963) et de nouveaux essais qui accentuent son image de moraliste désabusé. Reçu à l’Académie française en 1960 sans l’avoir sollicité, il est surtout connu du grand public grâce aux nombreuses adaptations télévisées de ses œuvres, et c’est avec surprise qu’on apprend son suicide, le 21 septembre 1972.

 

Ce suicide est pourtant dans la logique de ses idées, au-delà de toute pose stoïcienne : « Si la maladie ou les circonstances sociales me privaient à la fois de [l’amour et du travail], que deviendrais-je? Nous retombons sur le suicide ». Accomplissant son existence en un destin, il authentifie par ce geste ultime des attitudes que l’on avait pu trouver affectées.

« Quand je répète, c'est que ce que je répète est important pour moi »

 

La première impression que laisse l’œuvre, c’est la variété. Si le grand public connaît surtout Montherlant par son théâtre, par ses romans, on ne saurait négliger l’abondance et l’importance de ses Essais, de ses poèmes en prose ou en vers libres (dans les Olympiques, dans Encore un instant de bonheur...), auxquels il faut ajouter les conférences prononcées, les articles de journaux, les préfaces... Rien de ce qui est littéraire ne lui fut étranger. Mais la multiplicité des genres ne doit pas abuser; derrière elle, en elle, se cache un écrivain « têtu » (Pierre Sipriot). Cette permanence se manifeste essentiellement selon trois lignes de force : genèse; écriture; thèmes et idées.

 

Genèse : quelques exemples suffiront. La lecture de Quo vadis? en 1904 sera déterminante pour le Treizième César de 1970. Le Port-Royal représenté est le second Port-Royal. Un assassin... (1971) est contemporain de la composition des Célibataires (1933), sur des notes de 1928. Certaines œuvres sont «nécessaires»: «Je me suis dit, pendant des années : “Je ne voudrais pas mourir sans avoir écrit au moins la seconde partie du Chaos et la Nuit”, et, pendant cinquante-cinq ans, je me suis dit : “Il ne faut pas mourir sans avoir écrit les Garçons” (les Nouvelles littéraires, 1971). Tout sujet entrevu par Montherlant sera un jour ou l’autre exploité.

 

Écriture : d’œuvre en œuvre... « “Comme de longs échos qui de loin se confondent/Dans une ténébreuse et profonde unité/Vaste comme la nuit et comme la clarté”... se répondent, et se complètent par des scènes, des situations identiques mais différentes par le niveau auquel elles sont abordées, la tonalité qui leur est conférée. Ainsi, dans le Chaos et la Nuit, j’ai voulu montrer une corrida burlesque et odieuse après l’avoir montrée sous un jour lyrique dans les Bestiaires... » Et l’on voit revenir, tout au long de l’œuvre, la métaphore obsédante de la corrida : la corrida est partout, depuis le portrait d’Alban de Bricoule jusqu’au détour d’une phrase à'Un assassin...

 

Thèmes et idées : « Tout grand homme n’agit et n’écrit que pour développer deux ou trois idées », écrivait Montherlant dans Carnet XXI. De fait, tant dans ses Essais et dans ses pièces que dans ses romans, ce sont toujours les mêmes thèmes qui reviennent, avec, comme obsession fondamentale, le dialogue Éros/Thanatos, de plus en plus tragique, contrebalancé par l’acceptation victorieuse de la condition humaine « sur les mers du néant », grâce à la vertu d’indifférence. « Entre moi à soixante-douze ans et moi à dix-huit ans, il y a un fonds permanent très fort. Sur quantité de sujets, les vues que j’avais à seize ans n’ont pas changé » (Magazine littéraire, n° 28).

« Je n'ai que l'idée que je me fais de moi pour me soutenir sur les mers du néant »

 

Dans un monde multiple et incohérent, « tout le monde a raison, toujours ». Il ne peut donc être question de choisir, mais de « rester libre pour tous les possibles suspendus sur soi » et de s’adonner à l’« alternance », puisque toutes les attitudes, tous les êtres, toutes les opinions sont équivalents. Mais cette alternance, qui fait dire à Costals : « Il y a en moi le pire et le meilleur », n’est pas vécue douloureusement. Comme tout est indifférent, on peut tout concilier et ainsi se réaliser pleinement : « Être humain, c’est comprendre tous les mouvements des hommes ». L’alternance est intégrée et dépassée dans le « syncrétisme », où la contradiction interne est élevée au rang de philosophie de la vie, condition d’un sauvetage personnel. Ainsi, déclarer : « Il n’est rien que j’aie écrit dont, à un moment donné de mon existence, je ne me sois senti pressé d’écrire le contraire », c’est affirmer son indépendance d’esprit et son appétit de vivre, en refusant de se leurrer sur de fausses valeurs.

 

Cette attitude morale trouve notamment sa justification dans des considérations esthétiques : « Je suis poète, et j’ai besoin d’aimer et de vivre toute la diversité du monde et tous ses prétendus contraires ». Le syncrétisme et l’alternance sont donc les conditions de l’acte créateur, grâce à quoi on voit enfin l’unité d’un monde où « tout est vrai ». C’est pourquoi Montherlant nourrit de lui-même ses personnages les plus opposés, en tant qu’ils représentent tous l’une de ses virtualités. Mais aucun ne peut être un pur héros, un « être limpide », de l’espèce que Ferrante déteste : insaisissables pour autrui et parfois pour eux-mêmes, ces types d’hommes alternent la force et la faiblesse, l’héroïsme et la lâcheté. Dans la création aussi, « mille états différents nous appellent ».

 

Sur le plan social, cela débouche sur le plus complet scepticisme et, notamment, sur le refus de l’engagement. Au-delà de la simple humeur (« Mon esprit est réfractaire au politique et au social »), il s’agit d'une position philosophique qui prend en compte l’aspect cyclique de l'histoire, « la même pièce, jouée par des acteurs différents ». On ne peut rien faire pour changer le monde, et tous les « services » sont « inutiles ». La seule patrie qui compte est la « patrie intérieure ». Il faut donc s’exiler, « se désolidariser », cultiver sa différence et ses paradoxes et s’accomplir dans cette solitude créatrice « d’où naît l’œuvre », nécessité interne vitale.

 

Le syncrétisme et l’alternance débouchent donc sur la création, mais aussi sur une solitude dont l’aboutissement normal est l’« apathie stoïcienne », le néant. La « sédation physiologique » de la création devenue impossible, se profile logiquement la « sortie raisonnable » du suicide.

« Vive le malentendu! »

« Rien qui ne soit fondé sur le malentendu », rappelle — après Baudelaire — Costals, dans Pitié pour les femmes. Tel est le lot de Montherlant.

 

Aristocrate? Certes, mais il aima la camaraderie dans la guerre et fréquenta les stades de banlieue. Colonialiste? Certes, il a vécu aux colonies et se tut sur les injustices qu’il y vit; mais la Rose de sable est un roman anticolonialiste. Misogyne? Certes, les Jeunes Filles est un ouvrage peu tendre pour les femmes, « poupées » culturelles, complaisantes par bêtise à l’entreprise d’avilissement masculin, épouses dévoreuses, stérilisantes; mais il apprécie les femmes « d’égal à égales » (les Olympiques).

 

Quant à son œuvre... « Mon succès est un malentendu », écrit Montherlant, qui ne se fait aucune illusion : le public ne vient voir son théâtre que parce que « c’est très bien joué », mais seule une minorité entre « dans les problèmes que je traite », et, pour le reste, c’est « du chinois ». « Il est entendu que je suis un auteur bien-pensant, classique, une statue de bronze [...], de droite, ancien combattant, etc. » Mais lui se voit « subversif », « de la subversion des gens indépendants ». Pourtant, ce n’est pas faute de s’être expliqué dans ses œuvres. « On me représente volontiers comme inhumain, hautain. Alors que mon œuvre fait toujours appel à la sensibilité, et même au pathétique [...] Je crois qu’il n’y a pas d’œuvre plus vibrante que la mienne, que je suis d’une sensibilité extrême ».

 

Ce malentendu ne l’inquiète pas; il ne pouvait, en effet, en être autrement quand, « athée », on écrit des pièces « chrétiennes », quand on prône le syncrétisme et l’alternance, quand, par Jeanne la Folle, on affirme « la solide conscience de la vanité de tout », quand, par Costals interposé, on définit comme rapports avec le monde : 1° jouir de lui; 2° se protéger de lui; 3° se jouer de lui. Montherlant le mal-entendu, qu’importe! «J’ai été un homme de plaisir d’abord, ensuite un créateur littéraire, et ensuite rien. Le plaisir est pris; les œuvres, c’est pour me faire plaisir aussi que je les faisais, et ce plaisir lui aussi est pris. C’est pourquoi tout est bien ainsi » (la Marée du soir).

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« férent, on peut tout concilier et ainsi se réaliser pleine­ ment : « Être humain, c'est comprendre tous les mouve­ ments des hommes ».

L'alternance est intégrée et dépas­ sée dans le >, où la contradiction interne est élevée au rang de philosophie de la vie, condition d'un sauvetage personnel.

Ainsi, déclarer :> culturelles, complaisantes par bêtise à l'entreprise d'avi­ lissement masculin, épouses dévoreuses, stérilisantes; mais il apprécie les femmes «d'égal à égales >> (les Olympiques).

Quant à son œuvre ...

« Mon succès est un malen­ tendu »,écrit Montherlant, qui ne se fait aucune illusion : le public ne vient voir son théâtre que parce que« c'est très bien joué », mais seule une minorité entre « dans les problèmes que je traite>> , et, pour le reste, c'est «du chinois >>.

« Il est entendu que je suis un auteur bien­ pensant, classique, une statue de bronze [ ...

], de droite, ancien combattant, etc.» Mais lui se voit «subversif > >, «de la subversion des gens indépendants ».

Pourtant, ce n'est pas faute de s'être expliqué dans ses œuvres.

«On me représente volontiers comme inhumain, hautain.

Alors que mon œuvre fait toujours appel à la sensibilité, et même au pathétique [ ..

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Ce malentendu ne 1' inquiète pas; il ne pouvait, en effet, en être autrement quand, « athée », on écrit des pièces. »

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