Devoir de Philosophie

MONTESQUIEU. L'esclavage des nègres (commentaire) - Esprit des Lois, livre XV, chapitre, 5

Publié le 04/07/2011

Extrait du document

montesquieu

Apprécier cette page de Montesquieu (Esprit des Lois, livre XV, ch, 5) :

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais: « Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. « Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. a Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête, et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. « On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir... « Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées est d'une si grande conséquence. « Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. « De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains ; car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié? «

La page est très connue. Elle est dans tous les Extraits classiques de Montesquieu, et dans les Morceaux choisis des prosateurs. Peu d'élèves auront eu la curiosité d'aller la chercher dans l'Esprit des Lois, et de la replacer dans le livre dont elle fait partie. Pourtant, il me paraîtrait fâcheux qu'on ignorât complètement, de quel ensemble elle fait partie.  Il serait dangereux, étant donné le temps qui nous est accordé, de se laisser entraîner à une étude, si rapide fut-elle, de la question de l'esclavage. Et sans doute on nous saurait gré de préciser en quoi Montesquieu est un novateur et un précurseur. Mais, puisque l'explication est un « choix «, allons au plus pressé. Rappelons-nous cependant que cette institution était en honneur dans tous les États du XVIIIe siècle.  Nous serons portés à croire que Montesquieu n'invente pas les arguments que nous trouvons ici, et nous aurons raison. L'ironie est d'autant plus mordante que l'écrivain reprend des motifs sérieusement invoqués autour de lui.

montesquieu

« Cette ironie est d'autant plus mordante que le plaidoyer n'est pas inventé de toutes pièces par Montesquieu.

Cesont bien là les idées qui étaient accueillies, défendues par tous à cette époque.

Au fond, elles étaient les raisonsprincipales que donnaient les contemporains, quand ils affirmaient le légitimité de l'esclavage ?1° Us présentaient d'abord une raison historique : les indigènes de l'Amérique ayant disparu dans les guerres deconquêtes, comment aurait-on pu défricher des territoires immenses sans faire appel aux races d'Afrique, solides etrésistantes ?2° A ceux qui auraient objecté : « employer les nègres était une nécessité, soit; les asservir n'en était pas une; onpouvait les traiter comme des ouvriers les payer pour leur tâche et les laisser libres.

» — « Non, auraient répondu lesnégociants de Bordeaux, les produits exportés reviendraient trop cher, en payant des salaires ouvriers ; la main-d'œuvre des esclaves rend seule l'exploitation du sucre rémunératrice.

C'est la raison économique.3° Ni l'une ni l'autre de ces raisons ne sauraient être valables si elles avaient pour résultat de violer la libertéd'hommes semblables à nous.

Mais les nègres n'ont rien de commun avec les Européens.

Ils sont laids (raisonphysique), ils n'ont pas d'âme (raison morale), ils n'ont pas de bon sens (raison psychologique), ils ne sont nihommes ni chrétiens (raison religieuse).4° Vient enfin l'argument tiré du consentement universel.

Tous les Etats sont d'accord sur la légitimité del'esclavage : comment, au contraire, s'il y avait là un crime contre la nature n'auraient-ils pas signé une conventiongénérale pour mettre un terme à un abus odieux ?Telle est la dialectique de l'égoïsme.

II trouve des motifs grossiers ou ingénieux pour maintenir l'esclavage dontl'origine est expliquée, dont les avantages matériels sont établis, dont les inconvénients sont dénoncés commeimaginaires.

Montesquieu reprend cette dialectique.

Il va, par l'allure même qu'il donne au raisonnement, par certainstours et certains mots, par des rapprochements et des contrastes, faire sentir, mieux que par une réfutation enrègle, tout ce qu'elle a de faux, de vain, de révoltant.

C'est une affaire d'habileté.

Voyons comment Montesquieu yest parvenu. III Le lecteur est averti dès la première ligne : cette apologie est railleuse.

Pourquoi en effet irait-on s'adresser, afin dejustifier l'esclavage, au philosophe qui a composé ces chapitres pour l'attaquer avec une telle ardeur ? C'estpourtant dans cette hypothèse que Montesquieu nous place.

Nous comprenons immédiatement qu'elle est unepremière absurdité.

Mais Montesquieu ne sourit pas.

C'est le magistrat qui pourrait être appelé à soutenir (défendre,appuyer par l'argumentation) un droit.

Il se met à la besogne avec décision, La deuxième partie de la phrase, toutecourte (sept syllabes), après le long membre qui précède, ne manque pas de désinvolture : le geste est net et bref.Nous entrons en plein raisonnement.

Une proposition absolue servant de causale, une proposition finale à l'infinitif,entre les deux une proposition principale dont le mot essentiel est en tête : ils ont dû.

La première et la troisièmesont deux explicatives, sur lesquelles s'appuie fortement la seconde.

Remarquons le contraste entre le ton calme,tranquille — le ton du savant qui constate les faits et les interprète — et les idées exprimées : il s'agit des tueriesabominables du nouveau monde, du dépeuplement de l'Afrique, des tortures infligées à ceux qui travaillent, sous lefouet, le sol vierge dont les richesses ne sont pas pour eux.

Tantôt, le mot est cruel : exterminé; tantôt, il estneutre, effacé : mettre en esclavage; tantôt méprisant et hautain : s'en servir.

Tant de terres apporte un nouvelargument ironique.

La raillerie éclate surtout dans la forme de la phrase qui oppose ainsi les trois parties du monde :Europe, Amérique, Afrique, de façon que les trois mots se répondent dans un cliquetis moqueur.L'argument économique n'est pas présenté sous la forme didactique et affirmative.

C'est une proposition suppositive.On pourrait faire autrement : mais qui voudrait payer son sucre plus cher ? Personne, il n'y a aucun doute.

Laphrase a trois temps, car il est impossible de ne pas marquer la césure entre : produit, et : par des esclaves.

Dèslors, elle détache ainsi les quatre dernières syllas : 7 + 15 + 4.

L'insistance est voulue : par des esclaves, non pardes ouvriers.On a vu, d'après ce qui précède, que la transition est sous- entendue : « Passe encore si ces esclaves avaientquelque chose d'humain ».

La suite de l'argumentation devient : or, ils ne nous ressemblent pas, donc ils n'ont riend'humain.

C'est nous seuls qui avons droit au titre d'hommes.

Hors de l'Européen, point de salut ; hors de lui, pas debeauté.

Tous les nègres sont vilains : d'abord par ce qu'ils sont noirs, puis parce qu'ils ont le nez écrasé.L'ironie est bien appuyée.

Ceux dont il s'agit, marque une progression dans le dédain ; des pieds jusqu'à la tête,renforce le trait : pourquoi sont-ils noirs sans discontinuité ? Si écrasé qu'il est presque impossible même effet,atténué cependant par le mot : presque (serait-il donc «quelquefois» possible de leur accorder quelque pitié ?) Sansinsister sur cet adverbe, il semble bien que la compassion perce un peu, malgré tout, là même où Montesquieurésume les propos des défenseurs de l'esclavage.

La phrase avance, rythmée solidement.

En la coupant après :noirs, pour marquer l'effet indiqué, elle se déroule ainsi : 7 + 8 + 9 + 10 (nombres croissants).La transition entre l'argument physique et l'argument moral est assez plaisante, bien que Montesquieu garde lemême ton.

Il y a deux stades en quelque sorte : Dieu aurait-il mis une âme, — et surtout une âme bonne, dans uncorps noir ? On sent que Montesquieu a eu envie d'écrire : « une âme blanche, candide », mais il tient a restersérieux.

En revanche, il appuie encore par le tour : On ne peut se mettre (on a donc essayé? on n'a pas réussi ?) ;parla parenthèse : qui est un être très sage (en vérité, ces apologistes ont des relatives enfantines : Dieu n'est-ilpas le plus sage de tous les êtres ?) ; par le mot : tout, qui reprend l'idée amusante : « des pieds jusqu'à la tête ».Et comme le rythme a changé ! Ce raisonnement profond ne s'énonce pas d'une seule haleine.

Il y a des arrêts, despauses.

Garo, sous son arbre, disserte aussi lourdement : 9 + 2 + 7+4 + 6+5.

Ouf !Mais pourquoi faire intervenir Dieu en cette affaire ? Le bon sens suffît à nous enseigner combien est vide le cerveaud'un nègre.

Mépriser l'or pour un collier de verre, c'est le plus grand signe de barbarie.

L'or est la divinité païenne desnations civilisées ; ne pas se prosterner devant elle, c'est être un sauvage, une brute.

Je ne crois pas que. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles