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MONTESQUIEU: De l'esclavage des nègres -TEXTE COMMENTÉ

Publié le 04/05/2011

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De l'esclavage des nègres

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les Nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique pour s'en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui la produit par des esclaves. Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un maître très sage, ait mis une âme, surtout une bonne âme, dans un corps tout noir. On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. Une preuve que les Nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez les nattons policées, est d'une si grande conséquence. Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains ; car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

 

  La première moitié du dix-huitième siècle est dominée par Montesquieu, dont le caractère et les ouvrages présentent tous les contrastes du temps, mais d'où la grandeur et la vérité se dégagent impérieusement. — En 1721, Montesquieu publie les Lettres persanes ; puis il voyage. Un séjour de deux ans à Londres fortifie les parties sérieuses de son esprit et lui révèle les grands principes du gouvernement. En 1734, il donne les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains. Enfin; c'est, en 1748, l'Esprit des lois, son chef-d'oeuvre, — et le chef-d'œuvre du dix-huitième siècle.

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« d'eux n'a élevé la voix pour le faire cesser.La forme.

— Mais si le fait s'explique, il n'en constitue pas moins une absurdité.

Ici, le rapport n'existe plus, et laraison en souffre.

Qu'on ne s'y trompe pas, en effet, ce n'est pas la sensibilité qui rend Montesquieu éloquent, c'estl'intelligence ; il est à tel point indigné d'une coutume en opposition avec les principes des gouvernementseuropéens, les droits de l'individu dans la société moderne, et la charité chrétienne, qu'il ne peut garder son sang-froid et qu'il en parle avec une nervosité ironique et éloquente.

— Remarquez la tranquillité apparente du début ;c'est le ton du magistrat qui va résoudre un point difficile du droit ou de la coutume : Si j'avais a soutenir..., voicice que je dirais.

Le lecteur, s'attend à des raisons sérieusement exprimées.

— La première, d'ailleurs, est présentéecomme une sorte de nécessité fatale : cependant les mots exterminer, mettre en esclavage, s'en servir, laissentdéjà percer l'ironie.

— La seconde raison (l'intérêt) est exprimée sous une forme plus piquante : Le sucre sérail tropcher...

Et le lecteur pense aussitôt que, le sucre n'étant pas une denrée de première nécessité, la conséquence esttout de même un peu singulière! — L'ironie éclate en plein, et l'indignation s'y mêle, au troisième point : Ceux dont ils'agit sont noirs...

et ils ont le nez si écrasé.

Ce ton d'enfantillage, en une question si grave, fait justement sentirde quels arguments peuvent se payer des gens d'esprit qui raisonnent sur l'esclavage.

Ne croirait-on pas écouterdes propos de salon ou de cercle, et apercevoir quelque fat, tout fier de sa figure et de ses manières, et qui penséavoir résolu la question par cette boutade ? — Autre boutade, mais plus impertinente, et chez Montesquieu plusironique, dans le paragraphe suivant, où Dieu lui-même est en cause : Ces corps tout noirs ne peuvent contenir unebonne âme.

Il y a là, sous forme de plaisanterie, le souvenir d'une tradition religieuse et ethnique.

Les nègresseraient les descendants de Cham, qui, après la malédiction de son père Noé, fut marqué d'un signe par Dieu, afinque chacun le reconnût et s'écartât sur son passage.

Ainsi la race noire serait la race maudite.

— Dans leparagraphe suivant, Montesquieu rappelle une coutume barbare et superstitieuse des Égyptiens, afin de faire honteaux nations modernes, qui se croient si policées et qui sont fières d'être chrétiennes, mais qui, sur certains points,se montrent aussi arriérées que les nations anciennes.

— Et comment jugeons-nous, d'ailleurs, du degréd'intelligence des individus ? Nous voulons qu'ils partagent nos préjugés à nous, nos vices, nos erreurs.

Nous rionsd'un nègre qui préfère un collier de verre à de l'or ; et nous ne réfléchissons pas que sa curiosité à lui est fondée surune naïve coquetterie, tandis que notre passion de l'or est honteuse et criminelle.

Le ton de Montesquieu est icicelui de l'impertinence à froid ; on l'entend, pour ainsi dire, qui débite, d'une voix mordante où vibre l'émotioncontenue, ces raisonnements dont la société se sert tous les jours, en les enveloppant d'une phraséologie qui enmasque l'horreur.Mais ce ton s'accentue encore, et ce n'est presque plus de l'ironie (sinon dans le tour de phrase), c'est del'indignation et du pathétique, dans les deux derniers paragraphes.

— L'avant-dernier contient le résumé de tous lesarguments précédents ; les mots supposions.., on commencerait à croire, sont d'une précision tranchante etjuridique.

A la fin, éclate le mot chrétien, qui n'a pas encore été prononcé, et qui contient à lui seul, pourrait-ondire, tout le raisonnement.

C'est là surtout, nous devons le répéter, que Montesquieu sent que le rapport est rompu,car le christianisme a proclamé l'égalité des hommes devant Dieu, sans distinction de race ni de couleur, et ceux quiasservissent des hommes osent se dire des chrétiensC'est le politique qui parle dans la conclusion, mais encore avec une ironie courroucée.

Regardez les expressions :De petits esprits exagèrent trop..., Ne serait-il pas venu dans la tête...

tant de conventions inutiles; et les derniersmots qui forment un éloquent contraste avec inutiles : la miséricorde et la pitié.Buffon, dans son Histoire de l'homme (1749), un an après l'Esprit des lois, parlait ainsi des nègres : on remarquera lasimilitude d'arguments et parfois d'expressions.

« Quoique les nègres aient peu d'esprit, ils ne laissent pas d'avoirbeaucoup de sentiment.: ils sont gais ou mélancoliques, laborieux ou fainéants, amis ou ennemis, selon la manièredont on les traite ; lorsqu'on les nourrit bien, et qu'on ne les maltraite pas, ils sont contents, joyeux, prêts à toutfaire, et la satisfaction de leur âme est peinte sur leur visage ; mais, quand on les traite mal, ils prennent le chagrinfort à cœur, et périssent quelquefois de mélancolie : ils sont donc fort sensibles aux bienfaits et aux outrages et ilsportent une haine mortelle contre ceux qui les ont maltraités ; lorsqu'au contraire ils s'affectionnent à un maître, iln'y a rien qu'ils ne fussent capables de faire pour lui marquer leur zèle et leur dévouement.

Ils sont naturellementcompatissants et même tendres pour leurs enfants, pour leurs amis, pour leurs compatriotes ; ils partagentvolontiers le peu qu'ils ont avec ceux qu'ils voient dans le besoin, sans même les connaître autrement que par leurindigence.

Ils ont donc, comme l'on voit, le coeur excellent, ils ont le germe de toutes les vertus ; je ne puis écrireleur histoire sans m'attendrir sur leur état ; ne sont-ils pas assez malheureux d'être réduits à la servitude, d'êtreobligés de toujours travailler, sans pouvoir jamais rien acquérir ? Faut-il encore les excéder, les frapper et les traitercomme des animaux ? L'humanité se révolte contre ces traitements odieux que l'avidité du gain a mis en usage, etqu'elle renouvellerait peut-être tous les jours, si nos- lois n'avaient pas mis un frein à la brutalité des maîtres, etresserré les limites de la misère de leurs esclaves.

On les force de travail, on leur épargne la nourriture même la pluscommune.

Ils supportent, dit-on, très aisément la faim : pour vivre trois jours, il ne leur faut que la portion d'unEuropéen pour un repas ; quelque peu qu'ils mangent et qu'ils dorment, ils sont toujours également durs,.

égalementforts au travail.

Comment des hommes à qui il reste quelque sentiment d'humanité peuvent-ils adopter ces maximes,en faire un préjugé, et chercher à légitimer par ces raisons les excès que la soif de l'or leur fait commettre ? ». »

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