Montaigne, les essais sur les cannibales
Publié le 03/01/2016
Extrait du document
«
le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur d'en être offensé, et donne au plus
cher de ses amis l'autre bras à tenir de même ; et eux deux, en présence de toute l'assemblée,
l'assomment à coups d'épée.
Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis
qui sont absents.
Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient anciennement
les Scythes ; c'est pour représenter une extrême vengeance.
Et qu'il soit ainsi, ayant aperçu que les
Portugais, qui s'étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d'une autre sorte de mort contre eux,
quand ils les prenaient, qui était de les enterrer jusques à la ceinture, et tirer au demeurant du corps
force coups de trait, et les pendre après, ils pensèrent que ces gens ici de l'autre monde, comme
ceux qui avaient sexué la connaissance de beaucoup de vices parmi leur voisinage, et qui étaient
beaucoup plus grands maîtres qu'eux en toute sorte de malice, ne prenaient pas sans occasion cette
sorte de vengeance, et qu'elle devait être plu.s aigre que la leur, commencèrent de quitter leur façon
ancienne pour suivre celle-ci.
Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action,
mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres.
Je pense qu'il
y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et
par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir
aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire,
non entre des ennemis anciens, mais entré des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte
de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Chrysippe et Zénon, chefs de la secte stoïque ; ont bien pensé qu'il n'y avait aucun mal de se
servir de notre charogne à quoi que ce fut pour notre besoin, et d'en tirer de la nourriture ; comme
nos ancêtres, étant assiégés par César en la ville de Alésia, se résolurent de soutenir la faim de ce
siège par les corps des vieillards, des femmes et d'autres personnes inutiles au combat.
“ Les
Gascons, dit-on, s'étant servis de tels aliments, prolongèrent leur vie.
”.
Et les médecins ne craignent pas de s'en servir à toute sorte d'usage pour notre santé ; soit pour
l'appliquer au-dedans ou au-dehors ; mais il ne se trouva jamais aucune opinion si déréglée qui
excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui sont nos fautes ordinaires.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu
égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
Extrait de : Des Cannibales - Montaigne, Les Essais
Remarque : les numéros de lignes dans l'analyse suivante ne correspondent pas aux lignes du texte
ci-dessus.
Annonce des axes
Etude
I - La description au service de l’argumentation, l’illustration de la relativité des jugements
A - La pratique des cannibales (lignes 1 à 18)
C’est une description diptyque ou comparative des deux pratiques guerrières.
La première partie
permet à Montaigne d’asseoir sa thèse.
La barbarie est là pour représenter une extrême vengeance.
Aucun modalisateur n’est employé, il n’y a donc aucun jugement et aucune prise de position.
Le ton
du discours est généralisateur.
Il compare plusieurs fois les indiens aux européens, il analyse d’abord.
»
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