Mme de la Fayette, La Princesse de Clèves, « Troisième partie », la scène de l’aveu. De « - Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux… » à « … il faut plus de courage pour avouer cette vérité que pour entreprendre de la cacher. »
Publié le 22/01/2012
Extrait du document
.../...
«
même par l’usage de deux négations : « je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse ».
Elle se glorifie en
outre de « l’innocence de [sa] conduite et de [ses] intentions » , ces deux termes évoquant respectivement le
contrôle de son com portement en public et surtout, ce qui est plus difficile et donc plus héroïque, de ses
pensées .
C’est pourquoi elle fait preuve d’une telle assurance quant à son comportement à venir comme
l’indique l’emploi du futur renforcé par l’adverbe « jamais » : « je ne vous déplairai jamais par mes
actions » .
Sa ténacité et sa détermination s’expliquent si on se souvient de l’éducation qu’elle a reçue.
Sa
mère lui a montré la faiblesse de la nature humaine qu’il faut combattre avec obstination ; elle lui a parlé de
la volonté que cela exige et de la surveillance constante qu’il faut exercer sur soi -même : « combien il était
difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi -même et par un grand soin »
3.
Cependant, elle n’est pas aussi résistante car pour assurer sa vertu, elle exige certaines conditions .
Ainsi son
discours a une visée argumentative claire : il s’ agit de convaincre M.
de Clèves de l’autoriser à demeurer
loin de la cour : « je ne craindrais pas d’en laisser paraître [de faiblesse] si vous me laissiez la liberté de me
retirer de la cour » .
II) Une scène pathétique .
a) La détresse de la princesse.
Elle est lisible tout d’abord dans la gestuelle.
Bien que n’étant pas une personne démonstrative, la princesse
commence sa confession « en se jetant aux genoux de son mari », et on devine qu’elle pleure tout au long de
son discours car lorsque M.
de Clèves la relève son visage est « couvert de larmes » .
M ais ce qui est avant
tout pathétique ici c’est sa détresse psychologique liée à sa pro fonde solitude : sa passion étant secrète elle
n’a personne pour la soutenir .
L’absence de sa mère s’est fait cruellement ressentir comme le montre la
phrase : « si j’avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire ».
Le verbe « conduire » qui sign ifie
guider sur le plan moral, suppose qu’elle n’a plus personne pour lui dicter son comportement, qu’elle n’a ni
conseil, ni soutien psychologique.
Sa mère a expiré avant d’avoir pu l’aider (cf.
p.
88 : « je ne suis plus en
état de me servir de votre sincérité pour vous conduire »).
Elle est donc seule pour affronter les affres de la
passion.
La détresse dans laquelle la mort de sa mère l’a plongée est dévoilée plus tôt.
Après la mort de sa
mère, Mme de la Fayette écrit à propos de sa « douleur » que : « On n’en a jamais vu de pareille […] le
besoin qu’elle sentait qu’elle avait de sa mère, pour se défendre contre M.
de Nemours , ne laissait pas d’y en
avoir beaucoup [de part].
Elle se trouvait malheureuse d’être abandonnée à elle -même, dans un temps où e lle
était si peu maîtresse de ses sentiments et où elle eût tant souhaité d’avoir quelqu’un qui pût la plaindre et lui
donner de la force »
4.
C’est pourquoi, elle va supplier son mari de l’aider : la position agenouillée de la
princesse et les trois impér atifs : « conduisez -moi, ayez pitié de moi et aimez -moi » accentuent le pathétique
montrant qu’elle lance un appel au secours à son époux .
L a répétition du verbe « conduire » montre qu’elle
compte sur lui pour remplacer sa mère.
Par ailleurs, sa détresse s e lit aussi dans la gradation : « conduire »,
« avoir pitié », « aimer » : « conduire » demande des conseils et un soutien moral , « avoir pitié » la
compassion, l’empathie de M.
de Clèves , et « aimer » suppose une affection plus fort e.
Elle espère en outr e
que cet aveu n’altèrera pas l’amour que son mari éprouve pour elle comme le suggère l’adverbe « encore ».
Cependant, la subordonnée conditionnelle : « si vous pouvez » témoigne de sa crainte.
Elle craint que cet
aveu , comme il est écrit plus loin lui ôt e « le cœur et l’estime de son mari »
5.
b) La souffrance de M.
de Clèves
M.
de Clèves, note l’auteure, « était demeuré, pendant tout ce discours la tète appuyée sur ses mains, hors
de lui -même » .
Ce tte phrase indique clairement combien l’ aveu accable M.
de Clèves ; la notation : « hors
de lui -même » trahit son désordre intérieur .
Il reste un long moment éperdu et hagard, incapable de réagir.
La succession de subordonnée s, retardant la mention de son premier mouvement met en exergue la lenteur
de sa réaction et souligne son désarroi : « quand elle eut cessé de parler, qu’i l jeta […], qu’il la vit […], il
pense mourir de douleur , et l’embrassant en la relevant ».
L’admiration sincère qu’il ressent pour sa
femme ne suffira pas à provoquer l’abnégation souhaitée ; la souffrance, trop forte, l’en rend incapable et il
s’en excuse : « pardonnez si je ne réponds pas à un procédé comme le vôtre » .
Cet aveu a provoqué un tel
choc émotionnel qu’il est incapable de faire preuve de compassion envers sa femme et c’est sur sa propre
douleur qu’il se lamente.
Alors que s a femme lui demandait d’avoir pitié d’elle, ses premiers mots sont :
3 p.
47 (NB : le sens du mot au X VIIème est plus fort : il signifie « efforts », et suppose une préoccupation de tous les instants).
4 P.
90.
5 P.170..
»
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