MMe Bovary est-il un roman réaliste
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
«
écrivit Duranty, « représente l’obstination de la description.
Ce roman est un de ceux qui rappellent le
dessin linéaire, tant il est fait au compas, avec minutie ; calculé, travaillé tout en angles droits, et en
définitive sec et aride.
Trop d’étude ne remplace pas la spontanéité qui vient du sentiment » (Duranty).
A ses yeux le caractère impersonnel de l’œuvre l’empêchait ainsi d’être vraiment « réaliste ».
En ce milieu du XIXème siècle, les interventions des auteurs dans leurs romans étaient en effet
fréquentes.
Balzac n’hésitait pas à interpeller son lecteur et Stendhal à juger des qualités et défauts de
ses personnages.
Rien de tel chez Flaubert « Moi » n’y transparait pas : point de confidences ni
d’opinions personnelles.
Sa présence se manifeste certes ici et là dans le « nous » par exemple qui
ouvre Madame Bovary ou dans une pensée générale à valeur de maxime « la parole humaine est
comme un chaudron fêlé ».
Mais cette présence reste en tout état de cause fort discrète.
Ce caractère
impersonnel est d’ailleurs ce qui a le plus choqué ces censeurs.
En retrait de son livre, Flaubert laisse
son lecteur libre de son opinion.
Cette impersonnalité, Flaubert l’a toutefois voulue et recherchée ; « nul lyrisme, pas de réflexion,
personnalité de l’auteur absente » écrivait-il à Louise Colet.
Sa méfiance volontiers haineuse envers le
romantisme explique sa position, mais également ses conceptions esthétiques.
L’art lui semble exclure
les épanchements du cœur.
Tous les sujets lui paraissent égaux ; il n’y en a ni de petits ni de grands, ni
de bons ni de mauvais.
Tout est affaire de style, lequel justifie seul, une œuvre et lui suffit.
L’auteur
n’a donc aucunement besoin d’intervenir pour s’expliquer sur ses intentions ou les commenter : il doit
« dans son œuvre être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part », écrivait-il
encore à Louise Colet.
S’il ne correspond pas exactement à la définition en vogue à son époque, le réalisme de Flaubert n’en
existe pas moins.
Il ne réside pas dans une approche statistique et globale de la réalité, mais dans une
saisie partielle et dépendante de l’œil qui l’observe : n’est décrit que ce qu’un personnage voit.
C’est le
procédé dit de la focalisation interne ou du point de vue précisément dit subjectif.
La technique du
montage permet même de recréer le réel.
Lors de sa toute première apparition, Charles n’est pas décrit
de pied en cap comme pourrait le faire un portraitiste : il l’est à travers le seul regard de ses futurs
condisciples : « le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus
haut de taille qu’aucun de nous tous ».
De même le lecteur fait connaissance d’Emma à travers le
regard de Charles ou plus tard de Léon.
Toute la soirée de bal du château de la Vaubyessard est
appréhendée à travers les yeux émerveillés d’Emma.
Ce qui vaut pour les personnages vaut aussi pour
les paysages.
Ceux-ci ne sont pas évoqués en eux-mêmes et pour eux-mêmes mais en fonction de ceux
qui les contemplent.
Ainsi Yonville est différemment vu par Emma, par son père ou par Léon.
Toute à
sa joie d’être avec Rodolphe, Emma ne voit qu’un petit et pauvre village.
De retour à Paris , Léon a
une toute autre vision d’Yonville, qui lui inspire un sentiment de vanité triomphante et
d’attendrissement ».
De retour du cimetière uù il vient d’enterrer sa fille, le père Rouault n’aperçoit du
« haut de la côte » à l’horizon qu’un « enclos de murs où des arbres ça et là faisaient des bouquets
noirs entre les pierres blanches ».
La description du réel dépend de l’observateur, de son état d’esprit
et parfois de l’heure de la journée.
L’angle de la vision peut aussi nous être habilement imposé par le narrateur.
L’épisode des comices en
est un excellent exemple.
Deux lignes narratrices s’y entremêlent : celle des discours officiels, et celle
privée, de la conversation entre Emma et Rodolphe.
La scène de séduction interfère ainsi avec celle de
la distribution des prix et des récompenses.
L’effet grotesque est garanti.
Si on dissocie toutefois les
deux éléments plaçant les Comices dans un chapitre de la conversation d’Emma et de Rodolphe dans.
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