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Michelet. Prise de la Bastille.

Publié le 04/07/2011

Extrait du document

michelet

Mettez en lumière par une étude précise les traits caractéristiques du style de Michelet dans le passage qui suit. Tâchez, en vous aidant des souvenirs que vous ont laissés d'autres passages de Michelet, de donner une appréciation d'ensemble sur la manière de cet historien.
Prise de la Bastille
Paris, bouleversé, délaissé de toute autorité légale, dans un désordre apparent, atteignit, le 14 juillet, ce qui moralement est l'ordre le plus profond, l'unanimité des esprits. Le 13 juillet, Paris ne songeait qu'à se défendre. Le 14, il attaqua. Le 13 au soir, il y avait encore des doutes, et il n'y en eut plus le matin. Le soir était plein de trouble, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d'une sérénité terrible. Une idée se leva sur Paris avec le jour, et tous virent la même lumière. Une lumière dans les esprits et dans chaque cœur une voix : « Va, et tu prendras la Bastille. Cela était impossible, insensé, étrange à dire... Et tous le crurent néanmoins. Et cela se fit. La Bastille, pour être une vieille forteresse, n'en était pas moins imprenable, à moins d'y mettre plusieurs jours et beaucoup d'artillerie. Le peuple n'avait, en cette crise, ni le temps ni les moyens de faire un siège régulier. L'eût- il fait, la Bastille n'avait pas à craindre, ayant assez de vivres pour attendre un secours si proche et d'immenses munitions de guerre. Ses murs de dix pieds d'épaisseur au sommet des tours, de trente ou quarante à la base, pouvaient rire longtemps des boulets; et ses batteries, à elle, dont le feu plongeait sur Paris, auraient pu, en attendant démolir tout le Marais, tout le faubourg Saint-Antoine. Les tours, percées d'étroites croisées et de meurtrières, avec doubles et triples grilles, permettaient à la garnison de faire en toute sûreté un affreux carnage des assaillants. L'attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable, ce fut un acte de foi.
Marmontel définissait « la manière « d'un écrivain comme il suit : « De la tournure habituelle de son esprit comme des affections habituelles de son âme, résulte, dans le style de l'écrivain, un caractère particulier que nous appelons sa manière. « Quels sont, d'après ce passage, les caractères particuliers de l'art de Michelet ? « Et d'abord, pourrez-vous donner à vos conclusions la valeur d'une « appréciation d'ensemble « ? Entendons-nous. Vous n'aurez pas le droit d'affirmer qu'une page, prise ailleurs dans l'œuvre de Michelet, vous conduirait aux mêmes observations. Émile Faguet dit avec quelque exagération que Michelet ne comprend bien que ce qu'il aime. Il y a beaucoup de vrai dans cette formule. Tout est vrai, sans restrictions, dans cette opinion du même critique : « Si l'histoire tombe juste avec lui, s'accommode à ses goûts d'artiste, à son tempérament de mystique, à ses passions d'homme du peuple, elle en aura le bénéfice : il la peindra en maître«. C'est bien le cas pour des narrations comme celle de la prise de la Bastille ou de la Victoire de Valmy. Montrez-le, mais n'allez pas plus loin : vous manqueriez à une des lois essentielles de l'explication des textes.

michelet

« I Ce passage est le début d'une grande narration : celle de la prise de la Bastille ; narration tout inspirée deromantisme, dramatique et lyrique.

L'auteur nous présente ici les personnages.

Quels sont-ils? Quels sont leurscaractères? Quels sentiments font-ils naître dans l'âme du spectateur? Quel est l'intérêt vivant, profond, de la luttequi va s'engager? Gomment l'âme de Michelet est-elle émue à ce spectacle? Comment ces émotions se traduisent-elles dans son style? II D'abord, les protagonistes : Paris, la Bastille.

Gomme les héros du « drame », les acteurs du 14 Juillet ont une valeursymbolique.

Paris, c'est le peuple ; le peuple, c'est la France, c'est la Révolution.

Conflit grandiose et épique : d'uncôté, une cité tout entière, une nation, une personne morale qui a souffert, qui a pleuré, et qui réclame à présent laliberté et la vengeance ; de l'autre, une forteresse menaçante et sinistre, personnage formidable et perfide, qui aaussi sa vie morale, symbole de l'arbitraire monarchique.

Comme Victor Hugo animait la cathédrale, Michelet anime laBastille, et, peu à peu, à mesure que se déroulera le récit des événements, la physionomie des deux adversaires seprécisera en s'agrandissant encore.

Dernier effort d'un symbolisme toujours plus large ; la lutte deviendra celle dedeux principes : le droit contre la force, la tyrannie contre la liberté.

Ainsi l'intérêt dramatique sera doublé parl'intérêt philosophique et moral : le droit l'emportera sur la force, la liberté sur la tyrannie.

Le faible sera victorieux,celui qui avait été si longtemps abaissé se relèvera triomphant.

Leçon de philosophie, mais plus encore leçon depatriotisme.

C'est la France populaire, la France plébéienne que Michelet veut faire aimer.

Comment ne pas l'aimer,après l'avoir vue si héroïque? Comment ne pas la vénérer, ne pas croire qu'elle a reçu une mission providentielle, enadmirant avec quelle rapidité, malgré toutes les vraisemblances, elle a obtenu une victoire d'autant plus glorieusequ'elle était plus imprévue.Tout, en effet, doit nous conduire à la dernière phrase L'attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable.

Épiquedramatique, lyrique, cette narration est aussi « oratoire ».

Elle démontre, elle prouve.

Pour cela, Michelet se sert deses documents.

Le poète ne doit pas nous cacher l'historien : Ce visionnaire, ce croyant est un érudit plusconsciencieux, plus épris d'exactitude qu'on ne l'a prétendu.

Il y a de la science derrière cet art.

Michelet n'a passeulement consulté les estampes et les dessins.

Il a vécu aux Archives, et nul ne fut un déchiffreur plus intrépide demanuscrits, un liseur plus infatigable de dossiers.

Le réel est là, sous nos yeux, dans cette peinture des deuxpersonnages en présence.

La Bastille est vieille, elle n'en est pas moins imprenable, entendez : en quelques heureset sans une artillerie de siège.

Les raisons suivent, précises.

On peut les discuter, mais Michelet n'en inventeaucune, n'en tire aucune de son imagination : 1° on était en période de crise, il ne fallait pas songer pour le peupleà un siège régulier, le temps et les moyens auraient fait défaut ; 2° même s'il en eût été autrement, la Bastille avaitassez de vivres pour attendre un secours si proche et d'immenses munitions de guerre ; 3° comment aurait-elle tenu? grâce à l'épaisseur de ses murs dont nous avons les dimensions au sommet des tours et à la base; par sesbatteries dont le champ de tir est nettement indiqué ; par ses fortifications {tours, croisées et meurtrières, doubleset triples grilles) qui permettaient de massacrer les assiégeants en toute sûreté.

Michelet idéalise mais s'iltransforme les choses en personnes, il n'altère pas la réalité en laissant libre cours à la sensibilité frémissante.

Il ades textes devant lui, des textes qu'il ne lit pas toujours de sang-froid, mais qu'il lit ; même quand il est emporté parson enthousiasme passionné, il se penche sur les pièces des archives ; il va plus loin peut-être que son texte ne lepermettrait à un homme calme, impartial ; mais il en rapporte ce que celui-ci serait incapable de découvrir : la vieintérieure, et il écoute dans ces feuillets jaunis « ce murmure qui n'est pas de la mort ».En face de cet ennemi invincible, de ce géant surhumain comme Tiphaine et bardé de fer comme lui, se dresse lehéros sympathique, faible, désarmé : le peuple de la ville et du faubourg.

Paris est dans le désarroi le plus complet.La nouvelle du renvoi de Necker a été connue dans la soirée du 11, l'émeute gronde au Palais-Royal, elle éclate le12 ; le 13, c'est la révolution à ses débuts, c'est-à-dire l'anarchie.

Mais prenons garde.

Entre le 13 et le 14, il s'estpassé un événement de la plus haute importance, et qui va donner au plus faible des avantages contre lesquels rienne saurait prévaloir.

Paris atteint Y unanimité des esprits ; le peuple se sent une volonté une, et capable de grandeschoses.

Le désordre n'est plus qu'apparent, l'ordre est au fond, l'ordre par excellence : moralement, c'est le plusbeau des triomphes ; matériellement, ce triomphe sera suivi de tous les autres.

Cette volonté consciente va gagnerla bataille ; elle soulève d'un élan irrésistible ce peuple héros.

Il songeait la veille à la défensive, il avait deshésitations, il n'en a plus.

Ses sentiments étaient confus, violents : la clarté à présent se fait dans son âme, lecalme vient, précurseur des grandes journées.

La même idée illumine tous les esprits, la même voix s'adresse à tousles cœurs : « Va, et tu prendras la Bastille.

» Voix mystérieuse qu'ils n'auraient pu entendre la veille, qu'ilsentendent aujourd'hui ; et, quand elle a parlé, tous les miracles sont possibles.

Son ordre était invraisemblable, etpourtant il est écouté, et pourtant il s'accomplit.

C'est la foi qui donnera à la France plébéienne sa vigueurmerveilleuse, et qui l'emportera sur les canons et les fusils de la Bastille.

La foi naît de la sainteté de la causepopulaire, et, par une sorte de mysticisme démocratique, Michelet nous montre Paris transfiguré.

La foi a élevéJeanne, l'humble Lorraine, au-dessus de l'humanité ; elle élèvera demain les généraux de la Révolution au mêmedegré d'exaltation supra-terrestre ; aujourd'hui, elle grandira le peuple jusqu'au mépris du danger, jusqu'à la netteconception de son rôle, et de ce rôle il s'acquittera sans faiblir.

J'ai dit que tout conduisait à la dernière phrase, et,en effet, elle se termine par ces mots : « Ce fut un acte de foi».Voilà pourquoi le cœur de Michelet bat à l'unisson de celui des combattants du 14.

Il est possible qu'il y ait, çà et là,quelques détails contestables.

Il n'est pas douteux que la narration d'une journée comme celle de la prise de laBastille soit plus fidèlement vraie dans ces pages toutes chargées d'émotions que dans les chapitres les plus. »

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