MÉMOIRES, du cardinal de Retz
Publié le 26/01/2019
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MÉMOIRES, du cardinal de Retz (publiés en 1717-18). La Fronde vue par un de ses principaux acteurs, mais qui, trop occupé à se voir jouer, manqua son but politique : nourri de Plutarque et de Machiavel, il s'est recomposé une vie à la Tacite : et survit par la seule aventure de son écriture, l'un des premiers chefs-d'œuvre de la prose classique.
«
de certains passages.
"Comme j'étais obligé de prendre les ordres, je fis une retraite dans Saint-Lazare, où je donnai à l'extérieur toutesles apparences ordinaires.
L'occupation de mon intérieur fut une grande et profonde réflexion sur la manière que jedevais prendre pour ma conduite...
Je pris après six jours de réflexion le parti de faire le mal par dessein, ce qui estsans comparaison le plus criminel devant Dieu, mais ce qui est sans doute le plus sage devant le monde."
Or, ce n'est point là seulement du cynisme : c'est de la coquetterie dans la noirceur.
Les Mémoires ont été conçusavec ce parti pris.
On dirait une transposition de la conjuration de Catilina dans le cadre d'un imbroglio à l'italienne.
L'écrivain
Les Mémoires n'ont, pas jusqu'au bout le même attrait : on se perd dans cette série d'intrigues dont on ne voit passuffisamment le but ; l'intérêt languit en même temps que l'action.
Mais certaines parties sont admirables et despages entières sont écrites de génie.
Un premier mérite de Retz est le don du récit.
Telle anecdote est contée avec entrain et légèreté.
Telle scène estdécrite avec largeur, au point de devenir une évocation : ainsi pour cette fameuse journée des Barricades, dont lanarration forme un des tableaux les plus achevés qu'il y ait dans notre langue.
Retz lui seul en son temps a su nousmontrer la foule vivante et remuante.
C'est à la suite de l'arrestation de Broussel :
"La tristesse ou plutôt l'abattement saisit jusques aux enfants : l'on se regardait et l'on ne se disait rien.
L'on éclatatout d'un coup, l'on s'émut, l'on courut, l'on cria, l'on ferma les boutiques."
Et de la rue, Retz va transporter la scène au Palais-Royal, rendant tour à tour avec la même exactitude laphysionomie de ce peuple qu'il connaît pour l'avoir longtemps travaillé sous main, et celle de cette cour dont chacundes personnages essaie de jouer la comédie, mais sans tromper un témoin aussi perspicace.
"La vérité est que tout ce qui était dans ce cabinet jouait la comédie.
Je faisais l'innocent et je ne l'étais pas, aumoins en ce fait : le cardinal faisait l'assuré, et il ne l'était pas si fort qu'il le paraissait ; il y eut quelques momentsoù la reine contrefit la douce, et elle ne fut jamais plus aigre...
M.
le duc d'Orléans faisait l'empressé et le passionnéen parlant à la reine et je ne l'ai jamais vu siffler avec plus d'indolence qu'il siffla une demi-heure...
Jusqu'au moment où le maréchal de La Meilleraye et Retz ayant été envoyés pour calmer le peuple, et celui-là ayantfailli tout compromettre par son imprudence, Retz rétablit tout par sa présence d'esprit, revient au palais entriomphe et n'obtient de la reine que cette réponse ambiguë : « Allez vous reposer, monsieur, vous avez bientravaillé.
»
Retz est surtout un merveilleux peintre de portraits.
Il a l'art d'exécuter un sot en trois mots.
C'est lui qui appellel'évêque de Beauvais, Potier, « une bête mitrée », M.
d'Elbeuf « un grand saltimbanque de son naturel », et trace deBeaufort ce médaillon :
Il me fallait un fantôme et par bonheur pour moi il se trouva que ce fantôme fût petit-fils de Henri le Grand, qu'ilparlât comme on parle aux Halles, ce qui n'est! pas ordinaire aux enfants d'Henri le Grand, et qu'il eût de grandscheveux bien longs et bien blonds.
Il y a dans les Mémoires des portraits plus développés, exécutés, comme dit Retz, non plus de profil, mais de face.Ce sont ceux qui composent cette galerie placée au début du second livre : Anne d'Autriche « avait plus d'aigreurque de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manières que de fond, plus d'inapplication à l'argent quede libéralité, plus de libéralité que d'intérêt, plus d'intérêt que de désintéressement, plus d'attachement que depassion, plus de dureté que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus d'intention de piété que depiété, plus d'opiniâtreté , que de fermeté, et plus d'incapacité que de tout ce que dessus » ; M.
le Prince « à qui amanqué l'esprit de suite » et qui n'a pu « remplir son mérite » ; Turenne « avait presque toutes les vertus commenaturelles, il n'a jamais eu le brillant d'aucune...
Il a toujours eu, en tout comme en son parler, de certainesobscurités qui ne se sont développées que dans les occasions, mais qui ne s'y sont jamais développées qu'à sagloire ».
On surprend ici le procédé de Retz.
Le portrait est composé et composé à l'antique, avec un jeu d'antithèses et denuances dans la manière de Salluste et de Tite-Live.
Peu ou point de portrait physique ; mais la nature moralepénétrée jusque dans son fond.
D'ailleurs, on note en plus d'un endroit, dans les Mémoires, l'inspiration deshistoriens anciens.
A leur exemple, Retz intercale dans son récit des discours, réels ou supposés, et qui sont deschefs-d'œuvre d'art oratoire.
Il sème encore sa narration de réflexions morales, où il fait montre de sa connaissancedu cœur humain, et de maximes politiques où il atteint parfois à une grande profondeur de vues.
Le tableau de laFrance au début de la régence est, en ce genre, un morceau achevé.
Médiocre dans l'action et incapable dedépasser les petites habiletés, Retz, une fois la plume à la main, en grand écrivain qu'il est, se transforme et parlecomme un politique de large envergure.
Pour ce qui est du style à proprement parler, on y aperçoit le reflet du caractère de l'homme et des milieux qu'il a.
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