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Mémoires d'Outre-Tombe : CHATEAUBRIAND, Le Port de Brest.

Publié le 08/09/2014

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chateaubriand

TEXTE

Cette mer que je devais rencontrer sur tant de rivages, baignait à Brest l'extrémité de la péninsule armoricaine : après ce cap avancé, il n'y avait plus rien qu'un océan sans bornes et des mondes inconnus ; mon imagination se jouait dans ces espaces. Souvent assis sur quelque mât qui gisait le long du quai de Recouvrance, je regardais les mouvements de la foule : constructeurs, matelots, militaires, douaniers, forçats passaient et repassaient devant moi. Des voyageurs débarquaient et s'embarquaient, des pilotes comman­daient la manœuvre, des charpentiers équarrissaient des pièces de bois, des cordiers filaient des câbles ; des mousses allumaient des feux sous des chaudières d'où sortaient une épaisse fumée et la saine odeur du goudron. On portait, on reportait, on roulait de la marine aux magasins, et des magasins à la marine des ballots de marchandises, des sacs de vivres, des trains d'artillerie. Ici, des charrettes s'avançaient dans l'eau à reculons pour recevoir des chargements ; là, des palans enlevaient des fardeaux, tandis que des grues descendaient des pierres, et que des cure-môles creusaient des atterrissements. Des forts répétaient des signaux, des chaloupes allaient et venaient, des vaisseaux appareillaient ou rentraient dans les bassins.

Mon esprit se remplissait d'idées vagues sur la société, sur ses biens et ses maux. Je ne sais quelle tristesse ive gagnait ; je quittais le mât sur lequel j'étais assis ; je remontais la Penfeld qui se jette dans le port ; j'arrivais à un coude où ce port disparaissait. Là, ne voyant plus rien qu'une vallée tourbeuse, mais entendant encore le murmure confus de la mer et la voix des hommes, je me couchais au bord de la petite rivière. Tantôt je regardais couler l'eau, tantôt suivant des yeux le vol de la corneille marine, jouissant du silence autour de moi, ou prêtant l'oreille aux coups de marteau du calfat, je tombais dans la plus profonde rêverie. Au milieu de cette rêverie, si le vent m'apportait le son du canon d'un vaisseau qui mettait à la voile, je tressaillais et des larmes mouillaient mes yeux...

CHATEAUBRIAND, Le Port de Brest.

 

Vous étudierez dans ce texte la peinture pittoresque du port de Brest et vous analyserez ensuite les réso­nances que ce spectacle éveille dans la sensibilité de Chateaubriand.

Dans cette foule grouillante, en effet, Chateaubriand ne s'attache pas à voir des individus. Il nous montre des équipes de spécialistes à l'oeuvre — et les êtres restent dans l'anonymat. L'emploi du pronom indéfini est significatif à cet égard : « On portait, on reportait, on roulait... « Bien plus, les hommes s'estompent au profit des machines qui semblent agir seules : « des grues des­cendaient des pierres... des cure-môles creusaient des atterris­sements... « On ne sent pas de contact humain entre cette multi­tude qui s'agite et le narrateur qui la regarde.

chateaubriand

« CHATEAUBRIAND 61 inconnus; mon imagination se jouait dans ces espaces.

Souvent assis sur quelque mât qui gisait le long du quai de Recouvrance, je regardais les mouvements de la foule : constructeurs, matelots, militaires, douaniers, forçats passaient et repassaient devant moi.

Des voyageurs débarquaient et s'embarquaient, des pilotes comman­ daient la manœuvre, des charpentiers équarrissaient des pièces de bois, des cordiers filaient des câbles; des mousses allumaient des feux sous des chaudières d'où sortaient une épaisse fumée et la saine odeur du goudron.

On portait, on reportait, on roulait de la marine aux magasins, et des magasins à la marine des ballots de marchandises, des sacs de vivres, des trains d'artillerie.

Ici, des charrettes s'avançaient dans l'eau à reculons pour recevoir des chargements; là, des palans enlevaient des fardeaux, tandis que des grues descendaient des pierres, et que des cure-môles creusaient des atterrissements.

Des forts répétaient des signaux, des chaloupes allaient et venaient, des vaisseaux appareillaient ou rentraient dans les bassins.

Mon esprit se remplissait d'idées vagues sur la société, sur ses biens et ses 1,11aux.

Je ne sais quelle tristesse n:ie gagnait; je quittais le mât sur lequel j'étais assis; je remontais la Penfeld qui se jette dans le port; j'arrivais à un coude où ce port disparaissait.

Là, ne voyant plus rien qu'une vallée tourbeuse, mais entendant encore le murmure confus de la mer et la voix des hommes, je me couchais au bord de la petite rivière.

Tantôt je regardais couler l'eau, tantôt suivant des yeux le vol de la corneille marine, jouissant du silence autour de moi, ou prêtant l'oreille aux coups de marteau du calfat, je tombais dans la plus profonde rêverie.

Au milieu de cette rêverie, si le vent m'apportait le son du canon d'un vaisseau qui mettait à la voile, je tressaillais et des larmes mouillaient mes yeux ...

CHATEAUBRIAND, Le Port de Brest.

Vous étudierez dans ce texte la peinture pittoresque du port de Brest et vous analyserez ensuite les réso­ nances que ce spectacle éveille dans la sensibilité de Chateaubriand.

COMMENTAIRE PROPOSÉ INTRODUCTION Ce texte est emprunté aux Mémoires d'Outre-Tombe que Chateaubrianq a consacrés à ! 'histoire de sa vie et de son temps.. »

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