Mémoire, histoire et écriture dans l'invention du désert
Publié le 12/05/2022
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«
Sommaire
Introduction générale ...........................................................................................................
02
Chapitre I : L’analyse intertextuelle ...................................................................................
08
Introduction partielle ..........................................................................................................
08
1.
Les procédés scripturaires mis en place pour dire l’Histoire et la mémoire ...............
09
1.1.
La double graphie ............................................................................................
09
1.2.
Mémoire et Histoire.........................................................................................
10
1.3.
L’Histoire ou le roman historique ?..................................................................
14
1.4.
Mémoire et enfance chez Djaout ....................................................................
15
1.5.
La double thématique ......................................................................................
16
1.6.
Télescopage de style et de genre discursif ......................................................
16
1.7.
La biographie dans L’Invention du désert .......................................................
16
1.8.
L’Invention du désert ou autobiographie ? .....................................................
18
1.9.
L’intertextualité dans L’Invention du désert ...................................................
19
Conclusion partielle............................................................................................................
28
Chapitre II : L’analyse stylistique ......................................................................................
31
Introduction partielle ...........................................................................................................
31
2.
Les procédés stylistiques : un fort de Djaout ..............................................................
32
2.1.Les figures de style .........................................................................................
32
3.
Deux histoires, deux niveaux de langue .....................................................................
39
4.
Narratologie : narrateur, point de vue et focalisation dans L’Invention du désert .....
40
5.
Un roman et des instances narratives ..........................................................................
42
6.
L’instance descriptive : un rôle primordial .................................................................
43
Conclusion partielle ...........................................................................................................
45
Conclusion générale ..............................................................................................................
48
Table des matières ................................................................................................................
51
Bibliographie .........................................................................................................................
54
Introduction
9
Introduction générale
Ce mémoire porte sur une analyse intertextuelle et stylistique de L’Invention du désert
du journaliste romancier et essayiste T.
Djaout qui fait partie de la génération des écrivains
algériens qui ont publié à partir des années 70.
La production littéraire de T.
Djaout s’engage dans la déconstruction du monde pour le
reconstruire différemment par un verbe poétique.
Déconstruire le monde pour mettre à nu le
système qui sévit dans l’Algérie nouvellement indépendante.
Dire quel qu’en soit le prix, pour
abattre le mur contre lequel buttent les algériens.
Il écrit en exergue de l’Exproprié : « Ecrire
toujours par intérieur ? C’était surtout avec cela que je voulais en finir.
Pour moi, il
s’agissait de tenir l’équilibre assez longtemps de parler en mots en tacts en vibrations pour
différer la fêlure et les picotements d’abeilles » 1
Nous éprouvons le besoin de situer le roman de notre corpus dans le cadre de la littérature
algérienne dite ‘ dénonciatrice et libératrice ‘, puisqu’il a pour sujet la libération de l’histoire
de l’Algérie qui reste habitée par un différend.
Les œuvres de Tahar Djaout se penchent sur la
légitimité des discours historiques et des régimes de vérité qu’ils sous-tendent, tels Les
chercheurs d’os ou L’Invention du désert, où on retrouve des situations qui exposent ce
différend à travers une mémoire historique déficiente et par un traitement particulier de leurs
instances narratives.
La production littéraire de Djaout s’étend sur la période allant de 1973 à 1991, période
pendant laquelle émerge une nouvelle classe dirigeante qu’il appelle ‘l’ordre nouveau ‘.
Cette période est aussi marquée par la montée extraordinaire de l’intolérance et de
l’extrémisme.
« A ce propos, faisant le parallèle avec la présence musulmane en Espagne, le
journaliste affirme :
L’existence d’une communauté chrétienne et/ou israélite importante aurait-elle
contribué à l’enrichissement, à l’équilibre et à l’ouverture de cette société
(algérienne), ou, au contraire, à son émiettement, à sa cassure ? Ou on se réfère à
la civilisation de l’Andalousie ou l’Orient et l’Occident en fait fusion.
Ou l’islam,
le christianisme et le judaïsme ont vécu en parfaite et fructueuse osmose on est
1 T.Djaout.
L’Exproprié, Alger, ENA G, 2002, [1ère ed, SNED, 1981], p05.
1
0
tenté de conclure que l’absence de l’autre est toujours un vide, une lacune ; que
les exclusions engendre la stérilité 1
L’Invention du désert, est le roman de Djaout qui retrace au mieux cette période stérile et
errante.
Ni roman, ni poème, plutôt un « long poème » pour reprendre ainsi l’expression de
Fève Cargel.
L’Invention du désert est à l’image d’une écriture hybride appréhendée comme un va et
vient entre Soi et l’Autre, entre un ici et un ailleurs, entre une macro structure et une micro
structure, entre un rêve d’enfant et une réalité pesante d’un adulte.
Une écriture née donc du
mariage de l’histoire et de la mémoire.
Motivation
Le choix du corpus est d’emblée justifié par la signification et l’originalité de l’écriture
Djaoutienne, ce « tisseur de lumière »2 qui « déteste ce qui fige, ce qui refuse à la fois
l’innovation le mouvement, la différence »3 T.Dj.
Méconnu du grand public, le troisième roman de Djaout a le mérite d’être étudié et
analysé.
Mieux encore ça serait passé devant la meilleure des « inventions » littéraires que
d’ignorer cet écrit inspiré et inspirant.
Ce choix est ainsi motivé par un titre accrocheur
« L’Invention du désert » qui suscite à découvrir s’il s’agit de ce que le désert a inventé ou du
désert inventé, par une histoire métissée d’un verbe poétique porteur d’espoir, par une écriture
à fin ouverte laissant le lecteur soucieux de faire de chaque point d’interrogation un éventuel
point de départ.
Problématique
Notre problématique s’inscrit dans le cadre de l’intertextualité qui est considérée «
comme une interaction textuelle qui permet de considérer les différentes séquences ou codes
d’une structure textuelle précise comme autant de transformes de séquences (codes) prises à
d’autres textes.
Le texte littéraire se constiturait donc comme la transformation et la
combinaison de différents textes antérieurs compris comme des codes utilisés par l’auteur.
1 Ahmed Boualili, thèse de doctorat en science du langage, alger 2009.
2 Djoher Amhis ouksel, « T.
Djaout, ce tisseur de lumière », Ed.
Casbah, Alger, 2013.
P.
(reprise du titre)
3 Tahar Djaout, L’Exproprié, ibid.
P.9.
4
[…] Dans l’espace d’un texte, plusieurs énoncés pris à d’autres textes se croisent et se
neutralisent »1
Et notre problématique est ainsi formulée ; comment l’écriture littéraire aborde-t-elle
l’écriture de l’Histoire ? Quels sont les procédés scripturaires et stylistiques mis en place par
Djaout pour raconter L’Histoire ?
Hypothèses
Le sujet de notre réflexion sera de tenter d’interroger l’impact des réminiscences du
narrateur-personnage dans L’invention du désert, sur l’écriture de l’histoire de l’islam
médiéval.
L’objet de cette présente réflexion est de déterminer si la vie de cette
déconstruction a pour but d’écrire son autobiographie ou est-ce une manière de raconter « non
leur gloire donc mais, leur pitoyable dispersion »2
, une manière d’être « le déterreur de
l’histoire insoumise [celle d’être] de l’autre race, celle des hommes qui portent jusqu’au
tréfonds de leurs neurones des millénaires de soleil »3
.
Témoin de la désillusion post indépendance, Djaout va couver d’une verve
révolutionnaire, révolutionnaire tant qu’à l’écriture qu’à la thématique.
Ainsi nous pouvons
proposer comme hypothèse qu’une écriture à deux types de graphie soit une manière de dire
cette Histoire à double visages : la vraie Histoire et l’Histoire détournée.
Une manière de
« raconter la crise de casser le réalisme du texte » Dj.
Algérie actualité.
1939.
Et la seconde
hypothèse que nous proposons est qu’il s’agirait d’une manière de se dire pour dire l’histoire.
Raconter ses errances pour dire cette histoire errante.
Relater ses indécisions, ses pertes, ses
désillusions pour encore dire ce désenchainement de cette histoire qui se cherche toujours !
Biographie de l’auteur
Né le 11 janvier 1954, Tahar Djaout est l’enfant du village Oulkhou, près d’Azzefoun,
région de la Kabylie maritime.
Son enfance et son adolescence se passent à la Casbah, autre lieu privilégié, symbolique,
mémoire de l’ Algérie profonde.
1 Julia Kristeva, Sémiotiké, recherche sur une Sémanalyse, Ed.
Seuil, Paris, 1969, p.149.
2 T.
Djaout, L’Invention du désert, Ed.
Seuil, Paris.
P.16
3 T.
Djaout, L’Exproprié, ibid.
P.43.
5
Licencié en mathématique en 1977, puis en science de l’information et de la
communication (DEA université de paris II.
1985), il s’engage dans le journalisme
professionnel à partir de janvier 1986.
Ses premiers articles sont publiés dans le supplément culture d’EL MUJAHID.
Il rejoint
peut après la rédaction de l’hebdomadaire Algérie Actualité au sein de laquelle il effectue le
plus claire de sa carrière journalistique.
Il se fait également connaitre sur le champ littéraire des le début des années 1970 par ses
écrits-nouvelles-poésies publies dans la revue Promesse et préfaces de nombreux ouvrages.
Il s’y signale par ses prises de position courageuses en faveur de la modernité et la
démocratie n’hésitant pas à opter pour « la famille qui avance », à un moment où les forces de
la régression préparaient leur mainmise sur le pays et la mise sur pied d’un programme
criminel visant à éradiquer l’intelligence et le progrès.
Djaout tombe sous leurs balles le 26
mai 1993
Son œuvre, si tragiquement interrompue, compte plusieurs romans, recueils de nouvelles
et recueils de poèmes.
Résumé du roman
L’Invention du désert est le troisième roman de Djaout édité en 1987 aux éditions du
seuil.
Au départ une demande éditoriale : le narrateur se trouve chargé d’écrire un épisode de
l’islam médiéval.
Il choisira l’itinéraire d’Ibn Toumert, combattant forcené de la foi.
Ce
prêcheur du moyen âge se retrouvera dès les premières pages dans le Paris du 20ème siècle.
Histoire impossible à écrire le narrateur finit par prendre congé des Almoravides et nous
entraine sous d’autres cieux, vers d’autres espaces : ceux de la mémoire, de l’espace fascinant
des sables (souvenirs de voyage en Orient), des rêves et enfin le récit s’enlise dans
d’éblouissantes pages sur l’enfance.
L’invention du désert, « ce long poème » sous forme de roman.
Un roman poétisé :
l’auteur ici altère la prose et la poésie augmentant ainsi la densité de l’émotion.
Reflétant le
fonctionnement propre à l’écriture de Djaout.
6
Un retour sur l’histoire médiévale du pays avec ses excès rigoristes ; un tableau qui ne
fait pas mystère de certaines références à l’actualité du pays des deux dernières décades du
XXe siècle.
Plan
Pour tenter de répondre aux questionnements posés dans la problématique, nous ferons
appel à deux disciplines pour cerner au mieux notre sujet.
Nous nous appuierons ainsi dans un
premier temps sur une analyse intertextuelle pour retrouver et expliquer le télescopage entre
une écriture de l’histoire et une écriture littéraire et retrouver l’impact de l’une sur l’autre.
Et dans un deuxième temps, nous nous appuierons sur une analyse stylistique.
Notre
analyse se basera de ce fait sur cette discipline pour rendre compte de la poétique et de la
portée narratologique de Tahar Djaout dans L’Invention de désert.
Notre étude s’articulera en deux chapitres
Un premier chapitre consacré au métissage thématique et linguistique, nous tenterons de
monter ce couplage dans la démarche romanesque de Djaout.
Il s’agira de réponde à la
question ; Quels sont les procédés scripturaires mis en place par le romancier pour aborder
l’Histoire commune ?
Le deuxième chapitre abordera la portée stylistique, esthétique et la singularité de
l’écriture djaoutienne dont témoigne le roman : comment la poésie peut-elle dire l’Histoire.
CHAPITRE I
8
Chapitre I : L’analyse intertextuelle
Introduction partielle
Il s’agira dans ce premier chapitre de retrouver les différents procédés scripturaires, dans
un cadre intertextuel, que l’auteur a mis en place.
C’est l’enchainement d’histoires et la structure thématique dans L’Invention du désert qui
retiendra notre attention dans ce premier chapitre.
Nous allons nous référer à l’approche
intertextuelle pour dégager les thèmes dominants mais également leur emboitement d’une
trame à une autre.
Il s’agira de retrouver non seulement, la double thématique mais aussi
toutes les tentations de dévider la mémoire pour en faire un lieu de rencontre avec l’histoire.
C’est-à-dire mettre en lumière l’écriture à Djaout qui est loin d’être une écriture ordinaire qui
répond aux normes.
De raviver cette ambition poétique en désaccord avec un ordre établi.
Et
enfin, nous aimerions remettre en perspective le lien qui relie l’Histoire commune à l’histoire
individuelle du narrateur-personnage.
Expliquer pourquoi jumeler deux H/histoires qui en
apparence semblent très distinctes mais qui cachent bien es similitudes.
9
1.
Les procédés scripturaires mis en place pour dire l’Histoire et la mémoire
1.1.
La double graphie
Ce qui retiendra d’emblée notre attention dans ce roman, avant toute éventuelle lecture,
c’est son écriture en double graphie, à savoir la graphie en italique et la graphie normale.
Des
pages écrites en italique et d’autres en graphie normale.
Ce jeu d’écriture nous laisse nous
interroger sur ce choix d’écriture de Djaout qui aime les digressions, il l’affirme d’ailleurs
dans sa réplique à Mammeri « L’ordre ce vilain mot »
1
.
La graphie normale suscite moins de
curiosité que l’écriture en italique.
La norme veut que l’italique soit employé dans des cas
particuliers à savoir :
- Les titres d’œuvres ou de journaux.
- Les mots qui entrent dans des définitions afin de donner un étymon, un synonyme, un
antonyme, un homonyme une expression figée.
- Lorsque la citation est étendue ou lorsqu’elle est rejetée à la ligne et indiquée par une
disposition en retrait, il convient d’employer l’italique.
- Pour distinguer certain mots ou groupes de mots étrangers qui ne sont pas dans le
dictionnaire ou qui ne sont pas considérés comme intégrés.2
Cependant l’utilisation de l’italique dans L’Invention du désert ne répond à aucune des
éventualités ci-dessus citées.
Parce qu’il loin de s’agir de simples mots étrangers ni de
citations, il s’agit dans notre corpus de chapitre complet écrit en italique.
L’italique a servi dans « L’Exproprié » à distinguer le récit poétique sur l’enfant et
l’essentiel du texte.
L’enfance est manifestée à grand élan dans le premier roman de Djaout et
c’est par une graphie italique que se distingue, à vus d’œil, cette partie.
Dans Les Vigiles, le
récit en italique sert à démêler le récit maitre et le récit enchâssé, c’est-à-dire une diégèse et
une métadiégèse, où nous retrouvons une histoire première et une seconde qui vient
s’accrocher au récit principal- sur l’enfance des deux personnages principaux : Mahfoud
Lemjahed et Skender Brik.
Dans Le Dernier été de la raison, l’italique vient distinguer le récit
poétique du récit de la vie de Boualem Yekker, le personnage principal, pour ainsi
paraphraser l’analyse de Ali Chibani.3
1 Mouloud Mammeri, Mouloud Mammeri, entretien avec Tahar Djaout, Ed.
LAPHONIC, Alger, 1987, p.25
2 http://www.btb.termiumplus.gc.ca/redac-chap?lang=fra&lettr=chapsect5&info0=5 site consulté le 18/08/2017
3 Chibani Ali, Tahar DJAOUT et Lounis AIT MENGUELLET.
Ed.
L’Harmattan, Paris, 2014.
P.108.
10
Mais, dans L’Invention du désert, s’agit-il seulement de distinguer la biographie ‘colorée’
d’Ibn Toumert de l’autobiographie, ou ce qui est donné comme tel ?
La partie écrite en italique retrace l’histoire officielle d’Ibn Toumert : « C’est à son
retour d’Orient, où il suivait de nombreuses villes l’enseignement philosophique et
théologique des plus grands érudits de l’époque, que Mohammed Ibn Toumert commença à
faire montre d’une attitude intransigeante à l’endroit des pratiques religieuses.
»
1
La partie écrite en graphie normale est celle où l’histoire individuelle du narrateurpersonnage se mêle à celle du personnage référentiel Ibn Toumert.
« Ma chambre, couleur
crème, presque nue, est un parallélépipède dont la longueur de base est exactement égale au
double de la largeur.
»
2
Nous constatons très vite que les deux personnages relèvent de diégèses différentes, un
‘il’ et un ‘je’.
Le premier passage, écrit en italique, nous relate le voyage du personnage
historique.
Et le second, écrit en graphie normale, c’est celui qui nous relate les voyages,
paysages et déplacements du personnage-narrateur.
Dans le cas de notre corpus, L’Invention du désert, nous pouvons aller au-delà de cette
distinction et nous aventurer sur d’autres perspectives.
Nous pouvons rapporter l’idée
d’étrangeté de l’utilisation de l’italique, seulement à ce niveau, il ne s’agit pas de mot étrange,
mais d’une histoire étrange au narrateur, l’auteur retranscrit une histoire qui ne lui appartient
pas, une histoire qui lui est méconnue.
Il l’écrit alors en italique pour prévenir son lecteur.
Une sorte de reconnaissance par Djaout lui-même de son balancement entre son âme de
poète (il se disait avant tout poète) et de sa nouvelle orientation de romancier, de
mathématicien et de journaliste.
Ceci nous laisse dire que c’est une manière flagrante de dire l’Histoire et la mémoire.
1.2.
Mémoire et Histoire
« Nous avons tendance à prendre pour synonymes les termes de mémoire et d’histoire, ce
roman témoigne de leur extrême différence.
»
3
1 T.Djaout L’Invention du désert, Paris, Ed.
du Seuil.
1986.
P.18.
2 Ibid.
p 106
3 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Paris, éditions Quarto Gallimard, Tom1, 1984, tom 1, p75.
11
Avant d’étudier les deux notions dans notre corpus, il est nécessaire d’en donner d’abord
un aperçu théorique.
Le terme de mémoire est largement polysémique puisqu’il implique toutes les formes de
la présence du passé.
Pour le Petit Robert, la mémoire est l’une des fonctions les plus
importantes et l’une des propriétés les plus passionnantes du cerveau.
C’est la fonction qui
permet de capter, de coder, de conserver et de restituer des représentations du passé.
En
psychologie, la mémoire renvoie à l’ensemble des fonctions psychiques grâce auxquelles nous
pouvons nous représenter le passé comme passé (fixation, conservation, rappel de
connaissances.)1
Conçue comme un processus dynamique, la mémoire participe à toute activité créatrice.
« Au lieu de simplement conserver et rappeler des phénomènes passés, elle évoque ce qui
aurait pu se passer englobant aussi ce qui existe sans se manifester.
Pouvoir se souvenir est
l’une des conditions favorables aux innovations, esthétiques ou autres »
2
.
Or, il n’y a pas
seulement une mémoire.
Une multitude de mémoires se laissent distinguer : culturelle,
historique, individuelle et collective.
On reconnaitra, par ailleurs, les différentes formes de
mémoire liées à notre corps et à nos sens : les mémoires visuelle, auditive, gustative,
olfactive.
En littérature la mémoire est appelée à remplir un grand nombre de fonctions spécifiques,
apparaissant sous les formes les plus diverses.
Contrairement à la mémoire ordinaire, réduite à
des activités banalisées, la mémoire littéraire vise à établir des rapports entre des phénomènes
éloignés L’œuvre de Djaout crée une certaine harmonie entre les différentes formes de
mémoire.
C’est une mémoire collective que nous retrouvons, une mémoire qui dénonce la
non-reconnaissance de la diversité culturelle en Algérie.
Une mémoire individuelle qui retrace
des souvenirs d’enfance ayant marqués son enfance, « Souvent, lorsqu’il m’arrivait de penser
à ces choses-là, je revoyais la mer et la mosquée.
Etrangement mariées dans mes souvenirs en
pointillé.
»
3
1 Dictionnaire Le Robert
2 Todorov Tvetan, « La mémoire devant l’histoire », Terrain n°25,1995.
Document en ligne :
http://terrains.revues.org/ index 2854.html.
Consulté le 18/08/2016.
3 T.Djaout L’Invention du désert, Op.cit.
p.178.
12
Une mémoire culturelle qui regagne les tendances anciennes « Un spectacle m’avait
marqué lorsque j’étais tout enfant.
C’était sur la place du village.
Le retour de l’émigré.
Tous
les villageois l’entourèrent à sa descente de voiture.
»
1
.
Une mémoire auditive qui reprend des échos ayant accompagné l’enfance du personnagenarrateur.
« Il y a un cri que je connais bien, c’est celui des perdrix durant la saison des
amours »
2
Une mémoire visuelle qui revoyait minutieusement des paysages, « La mosquée était
bordée d’un côté- du côté de la mer justement- d’une haie de figuiers nains qui n’avaient
jamais réussi, avec leurs bronches étiques, à acquérir l’apparence de vrais arbres.
»
3
Le travail de l’écriture et l’activité de mémoire se mettent donc mutuellement en
mouvement.
Le travail d’écriture implique celui de la mémoire, ce roman se lit, en même temps,
comme une tentative préoccupée de ramener les souvenirs épars du monde phénoménal à une
unité mentale.
Nous constatons que l’une des principales stratégies de cohérence, dans
l’œuvre de Djaout est l’intertextualité.
Un réseau très dense de relations installées aussi bien
au niveau des signifiés que celui des signifiants.
C’est à ce niveau que la mémoire s’est vue confrontée à celle de l’Histoire.
Elle est
définie ainsi par Todorov :
La mémoire est la faculté humaine de retenir des éléments du passé ; à ce titre,
tout rapport au passé repose sur la mémoire.
Le mot a cependant pris un sens plus
restrictif, depuis quelques dizaines d’années, […] il se réfère alors, de manière un
peu vague, au rapport que l’individu entretient avec un passé personnel, alors que
l’histoire se voit décrite (et parfois dédaigné) comme un discours impersonnel,
froid, sec, abstrait, qui ignore le vécu humain.4
Pierre Nora arrive à une autre distinction entre les deux notions :
La mémoire c’est la vie, toujours portée par des groupes vivants.
En évolution
permanente.
Ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie.
L’histoire c’est
la reconstruction toujours problématique de ce qui n’est plus.
Inconsciente de ses
1 Ibid.
P 197.
2 Ibid.
P 130.
3 Ibid.
P.178.
4 Todorov Tzvetan « La mémoire devant l’histoire », Terrain.
N° 25, Des sprt, 1995, p 34.
13
déformations, la mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au
présent éternel.
L’histoire est une représentation du passé.
La mémoire est
affective et magique, elle se nourrit de souvenirs flous, télescopant, particuliers ou
symboliques.
L’histoire est une opération intellectuelle et laïcisant, appelle
analyse et discours critique.
La mémoire installe le souvenir dans le sacré.
L’histoire, elle, débusque le souvenir du sacré, elle prosaïse toujours.1
Nous décelons donc, à travers cette distinction de P.Nora, que le roman de Djaout suit
cette logique, autrement dit, c’est ainsi que peuvent se définir les deux notions dans
L’Invention du désert : la mémoire par nature démultipliée, elle s’enracine dans le concret,
dans l’espace, le geste et l’image.
Tandis que l’histoire d’Ibn Toumert, elle ; elle ne s’attache
qu’aux continuités temporelles et aux évolutions.
Elle ne fait que retracer, de manière
ordinaire, des événements qui ont eu lieu dans un passé déterminé.
La mémoire est ainsi un vécu.
Comme telle, elle change.
Des souvenirs refoulés, d’autres
sélectionnés, ou encore fantasmés, en fonction des expériences, des intérêts ou des projets.
Nous le constatons particulièrement dans les dernières pages où des souvenirs d’enfance
s’emmêlent.
Des souvenirs ‘sélectionnés’ ’en fonction de l’expérience’ et c’est l’expérience
des oiseaux qui nous semble ‘fantasmé’ l’auteur-narrateur.
« La cruauté était notre fort, nous
l’exercions sur insectes, oiseaux et autres petites bêtes […] moi, je m’étais donné à
l’arrachage des pattes sauteuses chez sauterelles »2
.
Dans le présent roman, la plupart des
souvenirs ressuscités par l’auteur-narrateur dans la partie de l’histoire individuelle sont ceux
qui ont un rapport avec le voyage, le mouvement, le déplacement, les découvertes, les
périples, le désert, l’Histoire.
L’histoire est une connaissance qui se veut une reconstitution objective de l’expérience
des hommes dans le temps.
Une connaissance méthodiquement élaborée qui doit avoir une
valeur universelle.
Les pérégrinations d’Ibn Toumert sont retracées le plus fidèlement
possible et ce après une documentation très approfondie.
« En fouillant dans les archives, je
me rends compte qu’un seul personnage de cette époque est digne d’être restitué : le remuant
Ibn Toumert.
» 3.
»
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