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MAUPASSANT Une vie (1883) Chapitre X "Le meurtre de Julien et Gilberte"

Publié le 06/10/2018

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paroxysme de la fureur, aucun sentiment ne nous est livré. Le comte semble ne rien éprouver. Il agit mécaniquement. On ne trouve dans ce passage que des verbes d'action (en citer). Cela contribue beaucoup à l'animaliser; il est pareil à un animal qui agirait sous le coup de l'instinct, sans réfléchir, sans rien éprouver.

 

Le champ lexical de l'animalité est nettement présent dans la première partie du texte :

 

se traîna , grand corps , rampa , souillé de boue , poil de bête , fangeux , s'attela , haletant

 

On remarque que le verbe atteler est utilisé pronominalement, ce qui est tout à fait inhabituel: cela souligne la

 

transformation du comte, encore assez humain pour atteler, mais déjà animal, puisque c'est lui-même qu'il attelle!

 

L'animalisation du comte se fait aussi grâce à des comparaisons:

 

semblable à une sorte de monstre

 

comme un bœuf

 

On le voit avec la première de ces deux comparaisons, le comte est animal jusqu'à la monstruosité.

 

Un complément circonstanciel contribue aussi à animaliser ce personnage: avec son grand

 

corps souillé de boue et sa coiffure en poil de bête

 

Ces deux segments introduits par la même préposition avec forment une sorte de zeugme, dans la mesure où le grand corps et la coiffure ne peuvent être mis sur le même plan malgré la conjonction de coordination et : le grand corps est indissociable du personnage, tandis que la coiffure (le chapeau) est un vêtement.

 

Avec la phrase qui commence le quatrième paragraphe:

 

Il ne bougeait plus; il semblait attendre

 

on a une sorte de métaphore implicite qui compare le comte à un animal en arrêt devant sa proie.

 

Le comte de Fourville, précédemment dépeint comme un colosse passionné de chasse (en selle sur son grand cheval, il a été comparé à un centaure, au chapitre 8) et peu sociable, est ici représenté comme une brute puissante plus proche de l'animal que de l'homme civilisé : il est assimilé à « une sorte de monstre avec son grand corps souillé de boue et sa coiffure en poil de bête », à « un boeuf ». La description de son corps est éloquente à cet égard : la plupart de ses mouvements sont dirigés vers le bas, vers la terre, comme s'il ne pouvait marcher sur ses deux jambes ; les verbes qui le concernent le soulignent (se coucha, se traîna, rampa, se cacha dessous) ; le seul moment où il se relève le montre fangeux de la tête aux pieds ; son geste est forcené, il halète.

 

Alors que le comte devrait se trouver

 

face à sa femme et à Julien, les seuls êtres vivants qu'il rencontre sont leurs chevaux. Quant à l'unique présence humaine évoquée dans le texte, elle est celle du vieux mendiant blotti dans un fossé ; il semble que rien d'autre qu'une humanité dégradée, pauvre et décrépite, ne pouvait ici subsister. Le contact de Fourville avec les amants est toujours indirect, la cabane qui abrite leurs amours servant d'écran.

 

La domination des choses : la carriole.

 

Dans la seconde partie, c'est la maison roulante, désignation métonymique et chosifiante des amants, qui est sujet des verbes.

 

Grâce à une métonymie, la carriole semble pouvoir accéder au statut de personnage; en outre, les amants restent tout le temps invisibles, sauf une fois qu'ils sont réduits à l'état de cadavres. La disparition des êtres et la déshumanisation permettent la domination des choses. La carriole s'inscrit dans une dynamique inverse de celle qui a transformé le comte: si le comte est animalisé, la carriole, elle, est personnifiée.

 

En effet, elle se trouve douée d'une vie autonome et est le sujet de nombreux verbes de mouvement: précipitait , allant , sautant , trébuchant , s'abattit , se remit à dévaler , etc.

 

On remarque aussi que le participe passé emportée n'est pas accompagné d'un complément d'agent, ce qui tend

maupassant

« Puis, dans la seconde partie, l'espace change de visage, et c'est sa dimension verticale qui se trouve nettement mise en avant: pente rapide, haut de la descente, côte inclinée, dégringolerait du sommet d'un mont, ravin ] I - Une situation traditionnelle traitée de manière inattendue.

La découverte par le mari trompé des amants adultères et sa vengeance forment une situation romanesque banale.

Cependant, celle-ci est traitée ici de façon inattendue : on ne voit pas les amants, et les sentiments de l'homme humilié ne sont décrits qu’indirectement, à travers la violence de ses mouvements. L'éloignement du point de vue. La focalisation est d’abord centrée sur le personnage du comte : on sait qu'il a appris la trahison, et le début du texte (paragraphe 1) où l'eau des averses qui mouille son visage évoque les larmes, et où la tempête fait écho au tumulte de son coeur, suggère sans ambiguïté les sentiments du mari bafoué, à travers les éléments naturels. Au paragraphe 2, la description du paysage comporte des connotations féminines (le val de Vaucotte ouvrait sa gorge profonde), qui peuvent évoquer par association la nudité de l'épouse infidèle que le comte recherche dans cette campagne.

Puis Fourville repère la hutte du berger ; point de vue interne avec discours indirect libre ligne 5 ; mais dès la ligne 6 , le récit adopte un point de vue complètement extérieur au comte ; on ne devine ce qu'il voit par le bas de la porte (ligne 13) que par ses réactions.

Après avoir poussé la maison au bas de la falaise, il disparaît enfin complètement du passage, et il ne sera évoqué à nouveau que plus loin dans le roman, à la fin du chapitre, quand il rentrera chez lui pour apprendre que sa femme est bien morte. Un récit implacable: la focalisation externe. On sait qu'une relation d'admiration, presque une relation de disciple à maître, unissait Maupassant à Flaubert. Or, ce dernier avait réussi un coup de maître, dans Madame Bovary (1857), en racontant en focalisation externe la scène de l'héroïne éponyme et de son amant Léon dans un fiacre traversant Rouen.

Le lecteur devinait ce qui pouvait se passer dans la voiture, mais ne voyait rien, ce qui rendait la scène beaucoup plus suggestive et plus forte (voir annexe ).

Il semble que Maupassant se soit inspiré de ce procédé dans ce passage, puisque le lecteur n'a absolument pas accès à l'intérieur de la carriole. Le comte alors, redressé sur les genoux, colla son œil au bas de la porte et regarda dedans. Cette phrase, qui constitue à elle seule un paragraphe, est extrêmement importante.

Elle forme le pivot de la première partie.

Le comte fait de visu le constat de l'adultère de sa femme.

Sa fureur est à son comble. Or, le verbe regarder, qui aurait pu aboutir à une description de ce qu'il voit en focalisation interne, n'aboutit à rien: le lecteur est frustré de la scène; l'objet du voyeurisme du comte ne lui sera pas livré, puisque le paragraphe suivant enchaîne sur le comte: Il ne bougeait plus… On a donc, comme chez Flaubert, une ellipse qui rend la scène beaucoup plus forte, car le paroxysme de la vengeance du comte est déclenché par quelque chose qui reste implicite, qui est seulement suggéré. De même, ensuite, le lecteur ne verra la carriole que de l'extérieur: Elle précipitait sa course… Elle perdit une roue… se remit à dévaler… bondit en décrivant une courbe… La seule indication qui est donnée sur ce qui se passe à l'intérieur est auditive, mais on reste toujours en focalisation externe:. »

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