Marivaux L'île des esclaves acte 1 scène 1 et 2
Publié le 19/05/2015
Extrait du document
«
même dans cet exemple nous voyons qu'il ne se considère même plus comme son esclaves.
Le rapport de force s'inverse comme le
montre les prises de parole d'Iphicrate qui parle de moins en moins.
Seules les insultes gouverne nt ses répliques montrant bien
toute son impuissance.
La mention du gourdin est d'ailleurs elle aussi très importance, tout comme l'épée, puisque ce sont de s
objets symboliques qui assurent le pouvoir du maître sur le valet – ils deviennent en quelque sort e des métonymies du pouvoir.
L'émancipation du valet se déroule donc sous les yeux des spectateurs.
Enfin, les comportements des deux personnages aboutissent à une inversion totale des rôles qui se déroule dans la scène
2.
Ici, nous sommes dans ce que l'on peut nommer : le théâtre dans le théâtre.
En effet, chaque acteur joue le rôle d'un personnage
qui va devoir jouer un nouveau rôle.
Dans cette dernière scène de l'extrait, nous assistons à l'arrivée d'un nouvel homme du nom
de Trivelin.
Il apparaît comme étant un metteur en scène de cette nouvelle « pièce » : c'est lui qui distribue les nouveaux rôles,
comme on le voit avec la réplique : « Eh bien ! Changez de nom à présent ; soyez le seigneur Iphicrate à votre tour ; et vous,
Iphicrate, appelez -vous Arle quin, ou bien Hé. ».
Il oblige ainsi les deux à changer de nom, au désespoir d'Iphicrate.
Enfin il prend
l'épée de ce dernier et la donne à Arlequin, véritable symbole de l'inversion du pouvoir et donc du rapport de force.
Triveli n
incarne une figure pater naliste de part les impératifs (« changez de nom à présent » l.47) et le ton de ses répliques ; il calme de
même les ardeurs d'Arlequin puisqu'il précise :« on vous le donne bien moins pour réjouir votre vanité, que pour le corriger de son
orgueil. ».
Il s 'agit bien ici de guérir le mal par le mal afin de corriger les défauts des maîtres.
Arlequin le mentionne déjà en
disant : « Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable ; tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres » et il
ajou te « Tout en irait mieux dans le monde, si les gens qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. ».
Par conséquent,
nous voyons grâce à cette scène que l'ordre hiérarchique de la société est factice puisque la position des valets et des maît res est
interchangeable.
Enfin, l'extrait est un passage emblématique de l’œuvre.
En effet, on observe ici l'ensemble des enjeux de la pièce.
Parmi
ces enjeux, nous pouvons remarquer nos deux personnages qui s'avèrent être des personnages symboles, symbole du comique
pour Arlequin, et symbole du tragique pour Iphicrate.
Tout au long de nos deux scènes, nous assistons à l'interférence des de ux
registres.
En effet, l''angoisse d'Iphicrate diffère de la nonchalance d'Arlequin.
De plus, la bonhomie de ce dernier so uligne
d'autant plus ce contraste, créant un comique de situation et annonçant le renversement des rôles.
On voit également une mise à
distance du tragique et du pathétique par Arlequin, qui ne veut pas de pitié.
Arlequin est issu de la Commedia Dell'Arte, il
constitue ainsi une référence comique par excellence, ce qui rend le personnage extrêmement typé.
Nous avons donc à faire à u ne
scène au climat ludique et enjoué.
A contrario , Iphicrate, lui, incarne la tragédie : il est le jouet du destin.
Ses répliqu es sont
larmoyantes ; il est désespéré comme le montre la didascalie suivante « ému au désespoir ».
Il a recours a un discours tragique
comme avec les termes suivants « juste ciel ! » où il fait appel au divin.
Il y a donc deux façons de vivre la situation .
C'est un
genre hybride, que l'on peut nommer « nouveau théâtre », en totale opposition au théâtre du classicisme puisqu'elle dépasse les
conventions classiques en mélangeant les genres.
Dans la plupart des comédies, le dramaturge se veut être fidèle à la société qui lui est contemporaine, s'inspirant de celle -
ci pour en dénoncer les vices et les défauts.
Nous pouvons voir cela dans l’œuvre de Molière, qui tourne en dérision chaque a spect
nuisible de la société de son temps ; mais également chez Marivaux co mme le montre notre passage.
Voyons que cette critique
sociale rend notre extrait très emblématique, reflétant l’œuvre intégrale.
Nous assistons ainsi à l'émergence de l'esclave co nsidéré
comme un individu comme le besoins des deux hommes ; Arlequin a ses propres besoins.
Athènes devient ici un prétexte pour
Marivaux, qui met en scène la dialectique du maître et du valet à travers les temps.
Cette intemporalité délivre un message
universel.
En effet, c'est une question d'actualité au XVIII ème siècle.
Le duo comique devient ici une arme de dénonciation.
Le
dramaturge condamne les violences physiques faîtes aux esclaves et aux valets comme peuvent le montrer la mention du gourdin
et de l'épée avec « vous en avez coutume de m'en faire à coup de gourdin qui ne v alent pas ceux -là » (l.1 à 2) et « les marques de
votre amitié tombent toujours sur mes épaules » (l.4).
De plus, nous avons le présent d'énonciation et l'adverbe toujours qui
suggèrent qu'il s'agit d'une habitude.
Enfin, la comparaison comme un animal (« tu me traitais comme un pauvre animal » (l.15 à
16) dénonce une nouvelle fois cette déshumanisation des valets et des esclaves ; également marqué par la nom du valet qui est
quelque fois interpellé par « Hé » (l.44).
Arlequin dénonce aussi l'absurdité du r apport de force dans la relation maître -valet qui est
totalement infondée en disant : « et tu disais que cela était juste parce que tu étais le plus fort » (l.16 à 17).
On perçoit de l'ironie
dans sa réplique « cette justice -là » où le champ lexical de la souffrance contribue à cette dénonciation, et l'on retrouve : « tu me
traitais comme un pauvre animal » (l.15 à 16)« quand tu auras souffert »(l.19) ; « ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres »
(l.20).
Ici, Arlequin, de part son mouvement et son élan d'émancipation : « adieu, mon ami, je vais chercher mes camarades et tes
maîtres » (l.21 à 22) signale l'entrée dans un univers fictif bien différent.
Il amorce finalement l'utopie et la leçon de moral que la
pièce se propose de délivrer comme nous po uvons le voir avec : « quand tu auras souffert » (l.19) ; il emploie même le mot
« leçon » (l.21).
Le futur suggère alors une évolution, d'un changement.
Nous pouvons également constater que le pathétique de la
scène – qui est au service du comique – est a ussi au service de la critique.
Passage bref et néanmoins riche sur le plan analytique, Marivaux a réussi à renouveler la relation maître -valet très utilisée
dans la comédie depuis l'Antiquité.
Ce passage est d'emblée caractérisé par un très grand dynam isme et une irréprochable vivacité.
Nous assistons à une scène qui amorce une critique, en dénonçant le rapport maître et valet encore très chaotique à cette épo que
où la violence prenait de trop grande proportion.
Pour cela, le dramaturge se livre ici à d eux exercices concomitants : le
laboratoire utopique et la comédie de mœurs.
Cette scène qui renouvelle le genre théâtral puisqu'elle est en dehors de la tra dition
du classicisme en mêlant divers registres tels que le pathétique, le comique et le tragique. Ce dernier devient de même, après
Molière, l'auteur le plus joué du répertoire au XX ème siècle car, sur l'ensemble de sa vie, Marivaux n'a -t-il pas fait tant de pièces
tant appréciées par le public, que sa stylistique porte un nom, qu'est le marivaudage ? Constaterons -nous également que
Beaumarchais, second plus grand écrivain du siècle des Lumières et auteur du Mariage de Figaro , a exprimé tout son estime pour
cette courte comédie en la qualifiant de « petit bijou » et en s'inspirant pour créer son œuvre..
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