Marguerite Yourcenar (1903-1987) Archives du Nord [«La nuit des temps»]
Publié le 27/12/2019
Extrait du document
Je voudrais suivre ici la démarche contraire, partir directement de lointains inexplorés pour arriver enfin, diminuant d'autant la largeur du champ de vue, mais préci-sant, cernant davantage les personnalités humaines, jusqu'au Lille du XIXe siècle, jusqu'au ménage correct et assez désuni d'un grand bourgeois et d'une solide bourgeoise du Second Empire, enfin, jusqu'à cet homme perpétuellement en rupture de ban que fut mon père, jusqu'à une petite fille apprenant à vivre entre 1903 et 1912 sur une colline de la Elandre française. Si le temps et l'énergie m'en sont donnés, peut-être continuer ai je jusqu'en 1914, jusqu'en 1959, jusqu'au moment où la plume me tombera des mains. On verra bien.
Cette famille, ou plutôt ces familles, dont l'enchevêtrement constitue ma lignée paternelle, je vais donc essayer de prendre avec elles mes distances, de les remettre à leur place, qui est petite, dans l'immensité du temps. Ces personnes qui ne sont plus, ces poussières humaines, dèpassons-les pour atteindre l'époque où il n'était pas encore question d'elles. Et faisons de même avec les décors: laissons derrière nous cette place de la Gare, cette citadelle de Lille ou
ce beffroi de Bailleul, cette rue «d'aspect aristocratique», ce château et ce parc tels qu'on les voit sur de vieilles cartes postales représentant les sites ou les curiosités de la région. Décollons, pour ainsi dire, de ce coin du département du Nord qui fut précédem-
ment une parcelle des Pays-Bas espagnols, puis, en remontant plus haut, un lopin du duché de Bourgogne, du comté de Flandre, du royaume de Neustrie et de la Gaule Belgique. Survolons-le à une époque où il était encore sans habitants et sans nom.
Après Souvenirs pieux où elle avait parlé de ses ascendants maternels, Marguerite Yourcenar évoque dans Archives du Nord la famille de son père. Dans son premier livre, partant de ses propres souvenirs, elle avait remonté la lignée de ses ancêtres. Ici, elle se propose de suivre «la démarche contraire».
Idée directrice
L’écrivain énonce la méthode qu’elle veut suivre : prendre du recul pour situer plus justement ses souvenirs personnels dans l’immensité du Temps.
Structure du texte
Le premier paragraphe (1. 1 à 15) est marqué par un mouvement descendant. L’auteur part des origines pour en arriver à sa propre personne.
Le second (1. 16 à 34), à l’inverse, suit un mouvement ascendant, et marque le début du récit. L’auteur s’éloigne dans un passé de plus en plus lointain.
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