Manon Lescaut: Scène de retrouvailles chez M. de G…M… fils. De « Manon était occupée à lire. » à « …en cachant son visage de mes mains »
Publié le 06/02/2012
Extrait du document


«
On est frappée par la tranquillité de la scène : elle est « occupée à lire », contente et surprise de le voir, elle admire
même son courage, sa hardiesse ! Elle l’accueille par un geste de « tendresse ordinaire ».
Or, ce comportement est
contraire à la morale car elle devrait se sentir coupable, et contraire à la psychologie car elle devrait avoir peur de
ses réactions après ce qu’elle lui a fait.
Manon se retrouve « déconcertée » par l’attitude du chevalier : elle ne comprend pas, et c’est de cette
incompréhension que va venir la peur ! Elle ne joue pas la comédie : le corps ne ment pas !
b. « Cette étrange fille » :
Des Grieux se retrouve face à un vrai dilemme : comment interpréter le comportement de Manon ? Soit elle est
immorale : elle connaît les règles, mais ne les respecte pas ; soit elle est amorale : elle ignore tout des règles.
« J’eus lieu d’admirer le caractère de cette étrange fille.
» Le caractère est admirable car il échappe à toute
explication rationnelle.
Des Grieux est parfois immoral (il triche, tue, vole..), jamais amoral.
c. La solitude du chevalier :
Il va tenter de rappeler à Manon qu’il existe des règles : « ce sont là des coups qu’on ne porte point à un amant,
quand on n’a pas résolu sa mort.
»
« on » = le commun des mortels.
C’est la seule explication de la trahison de Manon que la morale et la psychologie puissent accepter.
Mais le
chevalier sait bien que Manon ne veut pas sa mort.
Cette règle ne s’applique pas à Manon.
Manon a donc un caractère « étrange », au sens fort : incompréhensible totalement autre (comme l’étranger).
Le
malentendu entre les deux personnages est total et tragique.
Des Grieux est plus seul que jamais.
C’est un des passages qui montre le mieux à quel point Manon est une énigme pour le chevalier.
Elle apparaît comme une
jeune femme inconsciente qui distribue plaisir et mal avec la même légèreté.
3. Le caractère tout puissant et dévastateur de la passion amoureuse :
a. La troisième fois :
« Voici la troisième fois, Manon, je les ai bien comptées… »
Cette fois-ci, la situation est encore plus grave.
Le personnage de Des Grieux est lucide, mais sans force : en cela ce
passage est « un exemple terrible de la force des passions.
»
On peut supposer que la lucidité de Des Grieux s’accroît à chaque nouvelle perfidie de Manon : elle s’accroît, mais ne lui
sert à rien.
« J’ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d’être heureux, pour se précipiter volontairement dans les
dernières infortunes… » (« L’Avis de l’auteur »)
b. La lutte intérieure :
Des Grieux arrive sur les lieux avec sang froid et maîtrise.
Il voit Manon, et se retrouve muet : « J’étais dans le fond
si charmé de la revoir, qu’avec de justes sujets de colère, j’avais à peine la force d’ouvrir la bouche pour la
quereller.
» amour ≠ colère !
Il est venu en bourreau potentiel de Manon, et c’est lui qui souffre : « Je ne pus soutenir ce spectacle… »
c. Le langage de la tragédie :
Le discours de Des Grieux est emprunt d’émotion, de pathos, mais la rhétorique est claire et logique.
On peut
distinguer cinq parties :
- Une apostrophe et des reproches « infidèle et parjure Manon ! » (cf.
les accents raciniens) plus une
question oratoire introduction du discours.
- Atténuation des reproches déclaration d’amour : il est incapable de voir souffrir Manon.
- Au c œur du discours : l’accusation, introduite par « Mais » + un rappel des règles de la morale et des
fautes antérieures de Manon.
- Un ultimatum : « C’est à vous à considérer… » Il la somme de choisir entre G…M… et lui. discours
classique de tous les amants trompés…
- Il termine par un appel à la pitié et un chantage plus ou moins conscient à la mort avant de s’effondrer et
de se taire.
Discours pathétique : si Manon est ce qu’elle semble être, c’est-à-dire totalement amorale, quelle peut être la portée
d’un tel discours ? reconquérir Manon ?…jusqu’à la prochaine fois !
Conclusion : La trahison a été si grave que le lecteur s’attend à ce qu’on ait atteint un point de non-retour.
Or, les deux amants se
réconcilient.
Ce passage renforce le lien que le texte établit entre passion et fatalité.
La passion devient un destin auquel on ne peut
échapper.
Des Grieux s’y montre l’homme d’un seul amour, alors que « les penchants au plaisir » de Manon sont encore une fois
soulignés.
Sans Manon, il serait resté un homme pieux, sage, et honnête.
Quant à Manon, elle semble vivre tout entière dans
l’instant….
»
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