Ma morte vivante - Paul ELUARD, Le Temps déborde (commentaire)
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Dans mon chagrin rien n'est en mouvement
J'attends personne ne viendra
Ni de jour ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance ils perdent leur lumière
Ma bouche s'est séparée de ta bouche
Ma bouche s'est séparée du plaisir
Et du sens de l'amour et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n'avanceront plus il n'y a plus de routes
Ils ne connaîtront plus mon poids ni le repos
Il m'est donné de voir ma vie finir Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir Que j'ai crue infinie
Et l'avenir mon seul espoir c'est mon tombeau
Pareil au tien cerné d'un monde indifférent
J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres.
Paul ELUARD, Le Temps déborde, (1947).
Vous ferez de ce poème un commentaire composé, que vous organiserez de façon à mettre en lumière l'intérêt qu'il vous inspire. Vous orienterez votre lecture à votre gré. Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire ou une division artificielle entre le fond et la forme. Vous étudierez, par exemple, les procédés stylistiques et les effets rythmiques qui permettent au poète d'exprimer son amour et sa douleur.
Introduction.
• 1947 : période très cruelle pour Eluard.
• Mort subite en 1946 de Nusch sa deuxième femme qu'il adore.
• Tentation du suicide, face à la solitude et au malheur.
• Le Temps déborde, recueil de poèmes qui se rattache au groupe d'oeuvres réunies souvent en un titre d'ensemble : Derniers Poèmes d'Amour,
• car recueil d'inspiration amoureuse.
• Ma morte vivante est plus précisément une élégie tragique.
• Strophes et vers libres, sans ponctuation comme toujours chez P. Eluard (héritage d'Apollinaire, marque surréaliste).
• Hymne désespéré à l'aimée disparue sans laquelle il a « froid «.
• Présentation des thèmes.
«
I.
« Mon chagrin ».
• Titre et 1er vers en sont l'affirmation.
• Parce que Nusch est « morte », tout est devenu négatif.
• Plus de vie réelle, cette vie qui est « mouvement ».
Le 1er vers, un décasyllabe précise sa suppression par lepronom négatif : « rien », détaché après la coupe paire (quatre pieds).
• Insistance due à la structure métrique, le 2e membre de ce vers étant plus long (six pieds) :
...
« / rien n'est en mouvement.
»• Autre mouvement nié : « viendra », ce qui supprime aussi l'espoir puisque le futur lui-même est allié à la négation :« personne ne viendra ».
C'est encore un élément métrique de six pieds qui constitue la deuxième partie du vers,parallèle en sa longueur au même élément de six pieds du vers précédent.
Mais opposition encore plus forte avec ledébut de ce 2e vers : « J'attends/...
»
• Même suppression du mouvement ou progression, à la fin de la 2e strophe : « Ils n'avanceront plus », amplifiée parla place en tête de vers, d'où un rythme assez péremptoire, et par le choix subit - après décasyllabes ouoctosyllabes - d'un alexandrin, de plus très précisément coupé en deux hémistiches de type classique.
• La vraie vie, c'est aussi l'union des êtres, particulièrement le couple ; aussi le mal principal est-il la solitude.
Lepronom « personne » (2e vers) est de ce fait un des termes les plus cruels, surtout que la cadence du vers rend lefait irrémédiable ; ce qui traduit le poids de cette solitude c'est la juxtaposition entre l'espoir insensé : «j'attends/...» et l'absence absolue, le néant avec véritable effet de couperet (cf coupe métrique) : « personne...
»
• Cette rupture de l'union, valeur vitale sans laquelle pas de bonheur, est une des raisons essentielles de la douleur.Elle est répétée, martelée même : « se sont séparés - s'est séparée - s'est séparée - se sont séparées - se sontséparés.
»
• C'est l'horreur de la solitude, insupportable pour Eluard, que traduisent structure et rythme : 3-4-3 ou 2-5-3 desdécasyllabes.
Le verbe « séparer » qui constitue chaque fois l'élément central, avec accent tonique, apporte àl'irréversibilité une dureté accrue, face à d'autres manières de l'exprimer, par exemple Lamartine et son célèbre : «Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » (L'Isolement in Méditations Poétiques) : élégie attendrie.
• Quant au temps, il n'adoucira en rien cette solitude, puisqu'elle ne sera rompue « Ni de jour ni de nuit ».
Le versde six pieds (hexasyllabe) est balancé régulièrement autour de la répétition « ni...
ni », pour mieux persuader que nulélément temporel ne sera salvateur.
L'enjambement fait retomber sans appel sur le « ni jamais plus » aux sonoritéssourdes comme un glas.
• Ainsi est perdu « le sens de la vie » : outre le mouvement, la « lumière » des « yeux », le « poids » du corps et dela marche et, autant que ces éléments physiques essentiels, les valeurs de vie que sont « plaisir » et « repos », soitsensualité et loisir partagés.
• Comme le premier quatrain se centrait sur des négations fortes : « rien », « personne », « jamais », la secondestrophe de dix vers Test sur des répétitions qui ont, toutes, force négative, tel - à part « séparer » - : « perdent »(deux fois) placé en •parallèle au début des deux hémistiches du même alexandrin, ce qui accentue la cruauté duterme.
• C'est que « tout échappe ».
Cette impuissance tragique de l'homme face à la mort inspire au poète un « tombeauélégiaque » (J.
Bersani).
• Désir de disparaître, puisque sa vie, donc sa poésie, - elles n'existent que par l'amour -, n'ont plus de « sens ».Dans la 3e strophe - un autre quatrain - c'est la note de finitude qui rejaillit à l'enjambement entre octosyllabe etvers très bref de quatre syllabes le suivant :
« Il m'est donné de voir ma vie finirAvec la tienne...
»
mettant en valeur ce verbe - glas « finir », tandis qu'une sorte d'assonance entre mots de même famille, à la rime,termine les espoirs grandioses du passé :
« Ma vie en ton pouvoir Que j'ai crue infinie ».
• C'est que de tels espoirs lui avaient été ouverts par le bonheur, la plénitude du couple, ce sans quoi il estimpossible au créateur de L'Amour La Poésie d'être lui-même....
»
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