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M. Violet maître de danse chez les Iroquois (Mémoires d'Outre-tombe, I.)

Publié le 14/06/2011

Extrait du document

danse

Chateaubriand, si éloquent et si poétique, sait être, quand il le veut, un charmant humoriste. On trouvera dans ce passage : un effet de contraste très spirituel, entre les aspirations romantiques et utopiques de Chateaubriand et la réalité; des portraits d'une touche vive, précise, amusante, où l'on dirait que le peintre s'est changé en caricaturiste.

Lorsque, après avoir passé le Mohawk, j'entrai dans des bois qui n'avaient jamais été abattus, je fus pris d'une sorte d'ivresse d'indépendance ; j'allais d'arbre en arbre, à gauche, à droite, en me disant : « Ici, plus de chemins, plus de villes, plus de monarchie, plus de république, plus de présidents, plus de rois, plus d'hommes. « Et pour essayer si j'étais rétabli dans mes droits originels, je me livrais à des actes de volonté qui faisaient enrager mon guide, lequel, dans son âme, me croyait fou. Hélas! je me figurais être seul dans cette forêt où je levais une tête si fière; tout à coup je viens m'énaser contre un hangar. Sous ce hangar, s'offrent à mes yeux ébaubis les premiers sauvages que j'aie vus de ma vie. Ils étaient une vingtaine tant hommes que femmes, tous barbouillés comme des sorciers, le corps demi-nu, les oreilles découpées, des plumes de corbeau sur la tête et des anneaux passés dans les narines. Un petit Français, poudré et frisé comme autrefois, habit vert-pomme, veste de droguet, jabot et manchettes de mousseline, raclait un violon de poche et faisait danser Madelon Friquet à ces Iroquois. M. Violet (c'était son nom) était maître de danse chez les sauvages. On lui payait ses leçons en peaux de castors et en jambons d'ours; il avait été marmiton au service du général Rochambeau pendant la guerre d'Amérique. Demeuré à New-York après le départ de notre armée, il résolut d'enseigner les beaux-arts aux Américains. Ses vues s'étant agrandies avec ses succès, le nouvel Orphée porta la civilisation jusque chez les hordes errantes du nouveau monde. En me parlant des Indiens, il me disait toujours : « Ces messieurs sauvages et ces dames sauvagesses. « Il se louait beaucoup de la légèreté de ses écoliers; en effet, je n'ai jamais vu faire de telles gambades. M. Violet tenant son petit violon entre son menton et 'sa poitrine accordait l'instrument fatal; il criait aux Iroquois : « A vos places! « Et toute la troupe sautait comme une bande de démons.

(Mémoires d'Outre-tombe, I.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Un curieux récit, présenté sous une forme humoristique. — Quel sentiment éprouva Chateaubriand en pénétrant dans la forêt vierge? Marquez son étonnement quand il se trouva en présence d'Iroquois prenant une leçon de danse donnée par un Français; Dans un des précédents morceaux, nous avons remarqué que Chateaubriand excelle à peindre la nature : montrez qu'il apparaît ici comme peintre de portraits (portrait des Iroquois, portrait de M. Violet), et qu'il peint un tableau avec autant de précision et de sobriété qu'un portrait (le tableau de la leçon de danse): Dites ce que ce récit présente d'amusant.

II. — L'analyse du morceau. — Quelles sont les différentes parties du morceau? (Deux parties bien distinctes : a) Chateaubriand dans la forêt vierge : ivresse d'indépendance; b) Le contraste : au lieu de l'isolement, la présence d'une vingtaine d'Iroquois prenant une leçon de danse); Par quels mots l'auteur marque-t-il son étonnement? Comment nous représente-t-il les Iroquois? Quel portrait fait-il de M. Violet? Comment M. Violet était-il devenu maître de danse chez les Iroquois? Avec quoi le payaient ses élèves? Comment dansaient-ils?

III. — Le style ; — les expressions. — Ce morceau ressemble-t-il, par le ton général, aux deux morceaux du même auteur précédemment étudiés? En quoi en diffère-t-il? Ne présente-t-il pas un certain nombre d'expressions amusantes ou ironiques? Indiquez-les (M. Violet, qui avait été marmiton au service du général Rochambeau, résolut d'enseignes les beaux-arts aux Américains. Ses vues s'étant agrandies avec ses succès, le nouvel Orphée...); Montrez la vivacité du style (pas de longueurs; l'auteur, dans les portraits et le tableau, par exemple, n'indique que les traits essentiels, caractéristiques); Que marque la répétition de plus, dans la seconde phrase : Ici, plus de chemins...? Quel est le sens des expressions suivantes : mes yeux ébaubis, — raclait un violon?

IV. — La grammaire. — Indiquez la composition des mots indépendance, monarchie; Quels sont les mots de la même famille que gambades? Distinguez les propositions contenues dans la phrase commençant par ces mots : Sous ce hangar... (2e alinéa) ; Nature et fonction de chacun des mots suivants : que j'aie vus de ma vie.

Rédaction. — Faites ressortir le contraste marqué dans ce récit. Dites ce qu'il offre de curieux.

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