M. V. n'est-il qu'un monstre ? (Un roi sans divertissement (1947) de Jean Giono.)
Publié le 05/08/2014
Extrait du document
M.V. demeure tout au long du roman un personnage mystérieux et anonyme, par son absence d'identité tout d'abord, ensuite parce qu'il n'est jamais décrit de son propre point de vue mais toujours de celui des autres, ce qui ne nous donne aucune explication sur les mobiles de ses actes. Aussi la question de sa monstruosité ne trouve-t-elle pas de réponse objective.
«
158
à côte près d'une heure, sans que Frédéric ne lui demande autre chose que sa prove
nance, persuadé d'avoir à faire à quelqu'un
de« bête»! Évidemment Giono joue sur
le double sens des mots
« dénaturé » et « bête » qui préviennent implicitement le lec
teur de la monstruosité de l'homme de Chichiliane.
«Cet homme qui se promenait»
C'est encore Frédéric II qui découvre l'identité de M.V., à la fin de l'hiver 1845,
à la suite d'une longue traque qui les a conduits,
l'un suivant l'autre, jusqu'à
Chichiliane.
Lorsqu'il l'aperçoit descendant du hêtre, il a recours de nouveau à des
comparaisons animales :
« une bête, un serpent qui glisserait contre des branches »
puis il voit « un pied chaussé d'une botte, un pantalon, une veste, une toque de four
rure,
un homme ! » (p.
62) Quand il découvre dans le hêtre « la monstruosité », il a
cette
exclamation:« Alors, l'homme? C'était l'homme!» (p.
65) À partir du moment
où il se lance à sa poursuite, les mêmes expressions reviennent comme un leitmotiv
pour insister
sur« le pas paisible de promenade» du meurtrier, traduisant sa confiance
en son invulnérabilité.
Mi-homme, mi-bête, donc, cette description n'est pas sans évo
quer allusivement les loups garous qui hantaient l'imaginaire collectif dans les cam
pagnes.
Mais, comme l'affirme Frédéric Il, lors de son arrestation :
« C'était un
homme comme les autres! Même,
je vous le répète, il avait un air familier.
»(p.
84)
Ill.
Un «roi sans divertissement»
Le oortrait en pied
M.V.
reparaît de nouveau anonymement, sous forme d'un portrait en pied, dans
la troisième partie du roman, à l'occasion de la visite que Langlois, Mme Tim et
Saucisse rendent à une brodeuse que
l'on devine être la veuve de l'assassin de
Chichiliane.
Mais ce portrait qui fascine Langlois,
« accroché sur le mur le plus
sombre
» (p.
177) demeure dans l'ombre et Saucisse en est réduite à des conjectures
«Homme ou femme, c'était certainement quelqu'un de debout dans l'ombre; en pied,
presque grandeur naturelle.
» (p.
178) à la manière d'un portrait de roi.
Mais
«Langlois avait dû suffisamment habituer ses yeux à l'obscurité pour pouvoir distin
guer sans doute comment ces mains s'emmanchaient sur
un corps, comment ce corps
se dressait, et peut-être même était-il arrivé à voir le visage que ce corps portait là
haut où moi
je ne voyais rien, où l'instinct me disait d'ailleurs qu'il ne fallait pas
regarder.
» (p.
178) Ainsi donc jusqu'au bout M.V.
reste-t-il une silhouette mysté
rieuse, une figure dont la vue est sacrilège, comme son nom dont l'auteur nous prive.
Le point de vue de Langlois d'après Saucisse
Langlois, lorsqu'il annonce à Saucisse sa décision de se marier, lui indique ses
exigences sur le choix d'une épouse, ce que Saucisse commente ainsi :
« (En raison
des allusions de Langlois
je pensai tout de suite à la brodeuse et à cette sorte de garde
meuble dans lequel elle vivait, où
l'on pouvait passer en revue tout ce avec quoi elle
avait dû entourer l'homme au portrait en
pied.» (p.
210) Roi trop choyé d'une famille
étouffante, n'ayant sans doute rien à désirer,
M.V.
chercha un divertissement à son
ennui dans le plaisir
du sacrifice humain..
»
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