(M. Proust évoque ici Combray, le village où il passait ses vacances d'enfant.) M. Proust, Du côté de chez Swann.
Publié le 28/03/2011
Extrait du document
« Pendant que ma tante devisait ainsi avec Françoise, j'accompagnais mes parents à la messe. Que je l'aimais, que je la revois bien, notre Église ! Son vieux porche par lequel nous entrions, noir, grêlé comme une écumoire, était dévié et profondément creusé aux angles (de même que le bénitier où il nous conduisait) comme si le doux effleurement des mantes des paysannes entrant à l'église et de leurs doigts timides prenant de l'eau bénite, pouvait, répété pendant des siècles, acquérir une force destructive, infléchir la pierre et l'entailler de sillons comme en trace la roue des carrioles dans la borne contre laquelle elle bute tous les jours. Ses pierres tombales, sous lesquelles la noble poussière des abbés de Combray, enterrés là, faisait au chœur comme un pavage spirituel, n'étaient plus elles-mêmes de la matière inerte et dure, car le temps les avait rendues douces et fait couler comme du miel hors des limites de leur propre équarrissure qu'ici elles avaient dépassées d'un flot blond, entraînant à la dérive une majuscule gothique en fleurs, noyant les violettes blanches du marbre; (...) (...) Ses vitraux ne chatoyaient jamais tant que les jours où le soleil se montrait peu, de sorte que, fît-il gris dehors, on était sûr qu'il ferait beau dans l'église; l'un était rempli dans toute sa grandeur par un seul personnage pareil à un Roi de jeu de cartes, qui vivait là-haut, sous un dais architectural, entre ciel et terre (et dans le reflet oblique et bleu duquel, parfois les jours de semaine, à midi, quand il n'y a pas d'office, (...) (...) on voyait s'agenouiller un instant Mme Sazerat, posant sur le prie-Dieu voisin un paquet tout ficelé de petits fours qu'elle venait de prendre chez le pâtissier d'en face et qu'elle allait rapporter pour le déjeuner). « M. Proust, Du côté de chez Swann. SUJET Vous expliquerez ce passage sous forme de commentaire composé, en mettant en valeur, par exemple, l'aspect magique que prend l'église de Combray, grâce au temps qui la transforme.
Introduction ■ Bien que pas un de ses contemporains ne semble avoir cru à son avenir littéraire, Marcel Proust est reconnu maintenant comme une des gloires de notre littérature. ■ De plus son influence indirecte et posthume s'est étendue à des genres très divers, et non au seul roman.
«
Elle semble peinte avec les procédés du portrait :
— Le vieux porche serait la physionomie, le visage détaché en premier de l'ensemble, comme dans les portraitsbrossés par Balzac (Proust se veut un de ses disciples).
En effet :
— son teint est indiqué, « noir »;
— la texture de la matière : « grêlée comme une écumoire » (souvent ce qualificatif est appliqué aux figuresmarquées de petite vérole);
— les méplats correspondent à cet aspect « dévié » ...
« profondément creusé aux angles ».
Le corps même de l'être que cette église finit par devenir, c'est sa nef, pavée de « pierres tombales », quis'assimile presque à une chair vivante et souple et non plus à « de la matière inerte et dure ».
Tout y est douceur «comme du miel », couleur d'un « blond » chaud; tout y prend des courbes et une patine qui l'apparente — au niveaudu toucher et de la vision — à un « flot blond », où les aspérités disparaissent et se confondent («en traînant à ladérive »..., « noyant »...).
Ainsi à part cette notation tactile latente — fort importante d'ailleurs —, tout est plus proche de la transcriptiond'une peinture/portrait que d'un monument architectural, du moins à première impression.
La couleur y est bien marquée : « porche noir », « flot blond», «violettes blanches»; quant aux vitraux que l'onpourrait assimiler aux yeux de ce bon génie, ils « chatoyaient » et dégageaient un « reflet oblique et bleu ».
Plus net encore : à l'église sont attribués des traits de caractère humains; une résignation et une majesté sereinesse dégagent des infléchissements de la pierre et des « sillons » semblables aux rides qui burinent le visage d'unvieillard.
Douceur et spiritualité marquent le corps même de l'église, tandis que la lumière passant par les « vitraux » apporteaux hommes qui se confient à la nef une pérennité de beau temps qui est la marque de cette protection émanantd'elle.
Donc Proust ne crée pas seulement les êtres mais les demeures, les édifices; et cette beauté secrète de l'édificeque l'art met subtilement en valeur est montrée d'abord par l'effet, l'illusion qui nous frappe.
Ainsi les surréalistespourront-ils se réclamer de Proust.
Les regards de Proust nourris de souvenirs et de désirs ajoutent à l'objet présenté une intensité de vie qui le rendpresque magique; il devient le reflet de sa mémoire et de ses sentiments.
Sa description est symbolique et découvre« une réalité cachée, réveillée par une trace intérieure » (Valéry).
Ainsi l'objet présenté : l'église, subit une sorte de métamorphose.
Proust n'expose pas les choses telles qu'ellessont, mais selon ces illusions d'optique dont notre vision est faite.
Le fait que 1'« on était sûr qu'il ferait beau dansl'église » en est significatif; il en est de même pour le personnage du vitrail « qui vivait là-haut [...] entre ciel etterre ».
2e Thème : Un espace à 4 dimensions dont la 4e est celle du Temps.
Ainsi le sentiment de vérité l'emporte sur la réalité, car le problème de l'art est « dans la soumission de la réalité àl'action de l'esprit » (Cattani).
Proust a su pénétrer de spiritualité les choses affectives et sensibles.
« Comme Cézanne, il arrête immortellementle mouvement des heures » (id.).
Mais plus encore, son art s'apparente à celui des architectes médiévaux — et si à 1re vue, c'était la peinture quifrappait, c'est le relief, l'élan architectural qui finalement l'emporte dans la création de l'église.
Les si nombreuses et admirables églises imaginaires qu'il a créées dans son œuvre : Balbec, Saint-André-des-Champs, Carqueville...
et celle de ce texte précis, Combray, il les échafaude entre ses pages, comme le firent dansla réalité les grands maîtres d'œuvre de Beauce, d'Ile-de-France et de Picardie.
Une église — si l'on laisse de côté l'assimilation avec le personnage humain et ne retient que l'édifice proprementdit — est une construction dans l'espace, à 3 dimensions : hauteur, largeur, épaisseur ou profondeur.
Or de même qu'il prétend user du télescope plus que du microscope et substituer à la psychologie plane unepsychologie dans l'espace, pour les portraits humains, de même ce relief est apporté à la présentation de l'église.
Elle n'est pas décrite (géométrie plane) mais projetée dans l'espace (géométrie dans l'espace), dressée hors des.
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