Louis Jouvet écrit dans Témoignages sur le Théâtre : « Condamnés à expliquer le mystère de la vie, les hommes ont inventé le théâtre. » Commentez — et au besoin discutez — cette réflexion sur la fonction du théâtre : les œuvres dramatiques que vous avez lues ou vu représenter vous ont-elles permis d'expliquer, sinon le mystère de la vie, du moins certains problèmes essentiels ?
Publié le 28/03/2011
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Introduction ■ Théâtre, vient du grec théatronn qui signifie « ce que l'on voit «, de même racine que théaomaï qui veut dire « voir «. ■ Toute vie collective représente ou théâtralise son existence. ■ C'est ce qui s'est passé pour la Grèce antique, pour le théâtre élisabéthain anglais, pour le « siècle d'or « espagnol, pour le théâtre français du XVIIe siècle. ■ Les aspirations, rêves, besoins, émotions, sentiments se cristallisent dans la poésie dramatique. ■ Est-ce donc « le mystère de la vie « ou « du moins certains problèmes essentiels « que la langue symbolique du théâtre traduit et transmet ?
«
écrit Sully-Prudhomme à propos du théâtre classique.
IIe Partie.
Le théâtre est un spectacle.
La formule de Giraudoux dont cette profession est tirée est exactement : « Le théâtre n'est pas un théorème maisun spectacle », c'est-à-dire il n'a pas pour but de démontrer quelque abstraction, mais d'être vu (sens originel).
Le théâtre est fête.
Il en fait partie à ses origines (voir théâtre grec), il est célébration d'un acte public.
Cf.
lathéorie de Rousseau (Lettre à d'Alembert) qui opposait à la représentation dramatique la manifestation publique oùtout homme devenait acteur « dans une célébration dont le groupe tout entier était le support et le prétexte ».
Lafête collective devrait être (c participation de tous à une invention commune ».
Mais une telle application se perd très vite, car le théâtre se scinde en éléments dont la relation est indispensableà son existence = auteur/acteur/public, et devient de ce fait un spectacle vu de l'extérieur, tandis que dans la fête,il était à la fois extérieur et intérieur.
Tous les éléments du spectacle s'organisent et se complètent au fur et à mesure des siècles : costumes, décor oudispositif, musique, éclairage, jeu des acteurs.
Naissance et développement de la mise en scène (terme de la 1re moitié du XIXe s.) = ensemble des moyensd'expression scénique, ou emploi de ces moyens.
Si le théâtre était seulement tribune ou si son langage ne transmettait directement au public que « lesmouvements de l'âme humaine », donc certains problèmes fondamentaux, il n'y aurait pas de différence avec teltraité philosophique, tel roman réaliste ou telle poésie profonde.
Mais il est « théâtre », ses moyens lui sontspécifiques et son public est composé de spectateurs (spectare = voir, en latin).
Et tout d'abord ces « mouvements de l'âme » sont présentés dans des Situations.
La situation est proprementthéâtrale.
Le théâtre classique ne l'a pas méconnue et la lecture sans la représentation casse une partie de sonmouvement propre.
Ex.
les « mots » du théâtre classique : « Qu'il mourût » (vieil Horace), « Sortez » (Roxane dansBajazet) prennent toute leur valeur de la situation.
Donc l'intrigue, l'action sont essentielles au théâtre.
Ce n'est pas en contradiction d'ailleurs avec l'affirmation de Jouvet.
« L'invention » humaine du théâtre, c'est unefaçon de mieux mettre en valeur ces « problèmes essentiels » de les présenter par le truchement d'une action, doncd'un mouvement.
Or le mouvement est une nécessité du spectacle théâtral.
Pour Craig, l'origine et l'essence du théâtre procèdent du mouvement : « J'aime à me rappeler que toutes chosesnaissent du mouvement...
L'art du théâtre est né du geste, du mouvement, de la danse.
La vocation du théâtres'analyse en un désir de mouvement.
J'entends par mouvement le geste et la danse qui sont la prose et la poésie dumouvement.
»
Ainsi une intrigue ne doit pas forcément tendre à « faire quelque chose de rien » (Bérénice de Racine); lesmécaniques savantes de certaines intrigues ne sont pas toujours inutiles pour saisir certains mouvements de l'âmehumaine; ainsi les noires machinations autour de Nicomède (Corneille) mettent mieux en valeur la « générosité » d'unhéros capable de surclasser de telles bassesses.
Réhabilitation (en partie) des « pièces d'intrigue ».
Évidemment leur construction est mécanique, et,
...
« enlacée et roulée en feston
Tourne comme un rébus autour d'un mirliton »
Musset, Une soirée perdue.
La formule de Musset vise le drame romantique et le mélodrame.
Mais n'écrit-il pas aussi: « Vive le mélodrame où Margot a pleuré! » — Margot, c'est-à-dire l'âme populaire, fraîche et simple, et non celledes « héritiers » de la culture selon la formule de Bourdieu.
La psychologie est des plus conventionnelles certes dansces pièces, mais l'œuvre doit être dramatique, c'est-à-dire être menée par l'action pour entraîner le spectateur.
Car, art du spectacle, parlant aux sens plus qu'à l'esprit, connaissant ses vrais succès sous la forme populaire,parade pour badauds, mime ou imagerie dans sa forme la plus primaire, le théâtre fait appel aux éléments artistiquesles plus nombreux; il a pour lui le corps, la voix, la lumière, l'espace.
« Il se développe dans le temps comme unesymphonie.
» Il a communication immédiate avec le public.
On assiste actuellement à un fort retour d'intérêt porté au théâtre primitif, qui n'a rien à exprimer, qui ne sait pasexpliquer, qui se borne à montrer.
« Le mot comprendre n'existe pas au théâtre.
Le vrai public ne comprend pas, il ressent (Giraudoux).
Ainsi lethéâtre d'après-guerre (Adamov, Audiberti, Ghelderode, Ionesco, Beckett, Genet) tend plus ou moins à constituerde son spectacle une totalité, projetant son univers en gestes, chants, lumières, couleurs, et faisant appel auxformes dites inférieures du spectacle : le mime, les clowneries, l'improvisation, le cri, le chant..
»
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