Louis, duc de Saint-Simon (1675-1755), MÉMOIRES

« Le reproche essentiel formulé par Saint-Simon à l'égard du roi renvoie à la pratique d'un monarque qui aurait détruittous les équilibres monarchiques en sapant le système des dignités dévolues aux grands.

Le portrait moral de LouisXIV commence par le constat d'un résultat: « il abandonna la cour à ses propres débris » (1.

5); autrement dit,Saint-Simon affirme que le monarque a totalement détruit l'ordonnance de la cour.

Ensuite, l'auteur se livre à uneexplication pédagogique : de cet effet, il remonte aux causes.Le premier reproche — « cette dignité ...

il ne la voulait que pour lui, et que par rapport à lui», l.

6 — implique deuxconséquences pratiques particulières énoncées par les deux gérondifs : « retranchant [...] détruire», l.

10 — lesystème des dignités est privé de sens — «en semant [...] ridicules», l.

12 — les grands ne s'entendent plus.

Ainsi,Louis XIV aurait contribué à désolidariser les aristocrates alors que tout l'édifice de l'Ancien Régime repose sur lesliens unissant les membres des différents corps.

Donc, en s'attaquant aux nobles, le roi sape la monarchie.De cette analyse, qui relève du cadre particulier de l'aristocratie, Saint-Simon passe à une vue plus générale: LouisXIV affermit « la dépendance » (l.

15).

L'article défini ouvre la voie à la généralisation du principe : partout, à lacour comme en province, le monarque réduit « tout le monde à servir » (l.

26).

En fait, le groupe nominal « tout lemonde» renvoie, dans l'esprit de l'auteur, essentiellement à la noblesse, comme le confirme le développement quisuit.On voit bien alors à quel point Saint-Simon est de parti pris : pour lui, le roi détruit le principe des dignités pouraffaiblir le pouvoir des grands et les mettre sur un pied d'égalité avec les autres, les bourgeois.

En effet, le métierdes armes est réservé aux aristocrates, puisqu'ils sont censés devoir défendre le royaume.

Là encore le principe deconfusion se solde par une dépendance accrue et une perte de dignité chez les individus : « Ce fut encore uneautre adresse pour ruiner les seigneurs » (l.

29).

On voit que Saint-Simon est bien loin de partager les idées desphilosophes des Lumières.

Ainsi, le roi prive de sens l'ordre de la noblesse, il l'attaque dans sa significationessentielle : « les gens nés pour commander aux autres demeurèrent dans les idées et ne se trouvèrent plus dansaucune réalité » (l.

34).

Nous retrouvons l'idée déjà énoncée à propos des dignités devenues « l'ombre » d'elles-mêmes.

En effet, l'auteur souligne le fait que Louis XIV a transformé ce qui avait du sens, la supériorité de lanoblesse, en comédie pure et simple : les aristocrates se trouvent réduits à jour un rôle pour lui plaire.Le point commun de tous ces reproches tient à la confusion généralisée que le monarque aurait introduit dans sonroyaume, de manière à régner sans partage, bien qu'il n'ait pas eu conscience des effets de son procédé.

Le termeADRESSE, répété, doit se prendre dans un sens négatif de « conduite artificieuse, ruse».

Pour Saint-Simon, LouisXIV n'était pas franc : il a voulu se venger de la noblesse, dont la Fronde l'avait profondément affecté pendant sonenfance.

En somme, il a failli à son devoir de grand roi en devenant un homme rusé.

En outre, il utilisa des hommesavides de pouvoir, comme Louvois, le ministre de la Guerre, qui ne songeait qu'à imposer sa propre puissance maisqui dissimulait, avec hypocrisie, ses visées personnelles au travers de raisonnements spécieux (« Sous prétexteque...

», l.

35) Question 2: Bien que Saint-Simon se présente comme un mémorialiste objectif, il est clair que ses Mémoiresfournissent un portrait très personnel de la cour.

Montrez comment se trahit sa subjectivité dans ce passage.

Vouspourrez étudier, par exemple, le champ sémantique des mots DIGNITÉ et SERVIR. D'après ce qui précède, il est clair que Saint-Simon cherche à montrer les artifices du roi.

Il fait de lui un monarquequi instaure le désordre parce qu'il dissocie le signifiant de son signifié.

En somme, pour l'auteur, les mots eux-mêmes n'ont plus leur sens parce que les valeurs se sont perdues. Dans le premier paragraphe, il exploite le champ sémantique du mot DIGNITÉ.

Nous avons donc différentesacceptions possibles du terme DIGNITÉ: 1.

Fonction, titre ou charge que le monarque donne aux grands du royaume.2.

Le respect que méritent les individus ; ici, le roi mérite le respect et, comme le faisait sa mère, il maintient cettejuste pratique.3.

Le respect de soi : ici, c'est la dignité des grands en tant que personnes humaines qui est bafouée.Les glissements de sens opérés par le texte permettent à l'auteur de travailler la dégradation de la notion : on partde l'idée, louable, de faire respecter la dignité royale mais c'est au mépris de la dignité des hommes, en fait desgrands, et par le biais de la destruction des dignités, des fonctions.

Saint-Simon regrette, en effet, les atteintesportées à la dignité de duc et pair.

Ainsi, pour lui, le roi introduit une fâcheuse confusion : les dignités, en tantqu'emplois, doivent être maintenues car elles ne sauraient se dissocier de la dignité des hommes et, donc, du roi ;car qu'est-ce que régner sur des courtisanes serviles? Le champ sémantique du verbe SERVIR se prête à la même interprétation :I.

Verbe transitif direct (qui admet seulement un COI) :1.

Sens ancien, avec compléments de personne : s'acquitter de certaines obligations ou tâches envers un supérieur.Donc, en particulier, se battre pour le roi.

Employé absolument — autrement dit tout seul et sans complément —, leverbe désigne donc le métier des armes.

Par exemple : servir son prince à la guerre.

Ici : « Qui était d'âge à servir»désigne les aristocrates qui atteignent l'âge d'entrer dans le métier des armes.

2.

Avec complément de chose : mettre à la disposition de quelqu'un.

Par exemple : servir la glace à la pistache dans. »