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Lorenzaccio: Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Alfred de Musset

Publié le 19/03/2020

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musset

«Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre? Veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l'Arno? veux-tu donc que je sois un spectre, et qu’en frappant sur ce squelette (il frappe sa poitrine) il n’en sorte aucun son? Si je suis l’ombre de moi-même, veux-tu donc que je m’arrache le seul fil qui rattache aujourd’hui mon cœur à quelques fibres de mon cœur d’autrefois ? Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles? Crois-tu donc que je n’aie plus d’orgueil, parce que je n’ai plus de honte? et veux-tu que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie? Oui, cela est certain, si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s’évanouir, j’épargnerais peut-être ce conducteur de bœufs. Mais j’aime la vie, le jeu et les filles; comprends-tu cela? Si tu honores en moi quelque chose, toi qui me parles, c’est mon meurtre que tu honores, peut-être justement parce que tu ne le ferais pas. »

«lorenzo. — Je suis en effet précieux pour vous, car je tuerai Alexandre.

PHILIPPE. — Toi?

lorenzo. — Moi, demain ou après-demain. Rentrez chez vous, tâchez de délivrer vos enfants; si vous ne le pouvez pas, laissez-leur subir une légère punition; je sais pertinemment qu’il n’y a pas d’autres dangers pour eux, et je vous répète que d’ici à quelques jours il n’y aura pas plus d’Alexandre de Médicis à Florence qu’il n’y a de soleil à minuit. »

(acte III, scène 3)

« ...je tendis vers le ciel mes bras trempés de rosée, et je jurai qu’un des tyrans de ma patrie mourrait de ma main. J’étais un étudiant paisible et je ne m’occupais alors que des arts et des sciences, et il m’est impossible de dire comment cet étrange serment s’est fait en moi. Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on devient amoureux. »

(acte III, scène 3)

 

« lorenzo. — Je suis très fort sur l’histoire romaine. Il y avait une fois un jeune gentilhomme nommé Tarquin le fils.

Catherine. — Ah ! C’est une histoire de sang. lorenzo. — Pas du tout; c’est un conte de fées. Brutus était un fou, un monomane, et rien de plus. Tarquin était un duc plein de sagesse, qui allait voir en pantoufles si les petites filles dormaient.

Catherine. — Dites-vous aussi du mal de Lucrèce? lorenzo. — Elle s’est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas. Elle s’est laissé prendre toute vive comme une alouette au piège, et puis elle s’est fourré bien gentiment son petit couteau dans le ventre. »

(acte II, scène 4)

musset

« 15 • DRAME ROMANTIQUE (et violence) / 111 se fait le compagnon de débauche du duc et devient son âme damnée.

Entremetteur au service du duc, il livre à ses convoitises une jeune fille achetée à prix d'or, la sœur de Maffio (Ier acte); il ménagera une rencontre avec sa tante Cathe­ rine, dans sa propre chambre, piège où tombera le duc et où il mourra assassiné.

Lorenzo sera également tenu pour un transfuge par les Républicains, un dangereux espion soupçonné de ne fréquenter les milieux de l'opposition qu'en vue de les dénoncer à la police du duc.

Occasionnellement, Lorenzo se déguise en nonne et se conduit comme une femme sensible, au point de s'éva­ nouir à la vue d'une épée.

Il est devenu, au demeurant, un bretteur exercé.

Autant de facettes qui composent un personnage énig­ matique et contradictoire.

Qui est le «vrai» Lorenzo? Lui-même semble l'ignorer ou, du moins, il se rend compte que le pur jeune homme cohabite en lui avec le débauché.

Il aura l'occasion, tardivement, de s'en expli­ quer devant Philippe Strozzi, républicain pur et dur, dont l'action n'emboîte pourtant guère le pas au rêve.

Lorenzo lui dévoile un secret jalousement gardé : « LORENZO.

- Je suis en effet précieux pour vous, car je tuerai Alexandre.

PHILIPPE.

- Toi? LORENZO.

- Moi, demain ou après-demain.

Rentrez chez vous, tâchez de délivrer vos enfants; si vous ne le pouvez pas, laissez-leur subir une légère punition; je sais pertinemment qu'il n'y a pas d'autres dangers pour eux, et je vous répète que d'ici à quelques jours il n'y aura pas plus d'Alexandre de Médicis à Florence qu'il n'y a de soleil à minuit.» (acte III, scène 3) Mais, à force de jouer la comédie auprès du duc, .dont il est devenu l'homme de confiance et le compagnon de dé­ bauche, Lorenzo craint d'avoir perdu son âme et s'inter­ roge sur la signification profonde que revêt l'assassinat : non pas tant délivrer Florence de son tyran que préserver, nostalgiquement, la pureté, gravement compromise, de sa jeunesse.

Conscient de sa dépravation présente (il se sait. »

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