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Lorenzaccio: Acte I, scène 4 (Musset)

Publié le 03/12/2010

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Lorenzaccio: Acte I, scène 4 (Musset)

LORENZO : - Cousin, quand vous en aurez assez de quelque conquête des faubourgs, envoyez-la donc chez sire Maurice. Il est malsain de vivre sans femme, pour un homme qui a, comme lui, le cou court, et les mains velues.

SIRE MAURICE : - Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. À votre place, je prendrais une épée.

LORENZO : - Si l'on vous a dit que j'étais un soldat, c'est une erreur ; je suis un pauvre amant de la science.

SIRE MAURICE: - Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C'est une arme trop vile ; chacun fait usage des siennes. (Il tire son épée.)

VALORI : - Devant le duc, l'épée nue !

LE DUC, riant : — Laissez faire, laissez faire. Allons Renzo, je veux te servir de témoin — qu'on lui donne une épée !

LORENZO : - Monseigneur, que dites-vous là ?

LE DUC : - Eh bien ! ta gaieté s'évanouit si vite ? Tu trembles, cousin ? Fi donc ! Tu fais honte au nom des Médicis. Je ne suis qu'un bâtard et je le porterais mieux que toi, qui es légitime ? Une épée, une épée ! Un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici ; toute la Cour le verra, et je voudrais que Florence entière y fût.

LORENZO : - Son Altesse se rit de moi.

LE Duc : — J'ai ri tout à l'heure, mais maintenant je rougis de honte. Une épée (II prend l'épée d'un page et la présente à Lorenzo.)

VALORI : - Monseigneur, c'est pousser trop loin les choses. Une épée tirée en présence de Votre Altesse est un crime punissable dans l'intérieur du palais.

LE Duc : — Qui parle ici, quand je parle ?

VALORI : - Votre Altesse ne peut avoir eu d'autre dessein que celui de s'égayer un instant, et sire Maurice lui-même n'a point agi dans une autre pensée.

LE Duc: - Et vous ne voyez pas que je plaisante encore ? Qui diable pense ici à une affaire sérieuse ? Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux tremblent, il serait devenu pâle, s'il pouvait le devenir. Quelle contenance, juste Dieu 1 je crois qu'il va tomber. (Lorenzo chancelle ; ils'appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d'un coup.)

LE DUC, riant aux éclats : — Quand je vous le disais I personne ne le sait mieux que moi ; la seule vue d'une épée le fait trouver mal. Allons, chère Lorenzetta, fais-toi porter chez ta mère. (Les pages relèvent Lorenzo.)

SIRE MAURICE: - Double poltron ! fils de catin !

LE DUC : - Silence, sire Maurice, pesez vos paroles ; c'est moi qui vous le dis maintenant. Pas de ces mots-là devant moi.

VALORI : - Pauvre jeune homme ! (Sire Maurice et Valori sortent.)

LE CARDINAL, resté seul avec le duc : — Vous croyez à cela, Monseigneur ?

LE DUC : - Je voudrais bien savoir comment je n'y croirais pas.

LE CARDINAL : - Hum ! c'est bien fort.

LE Duc: - C'est justement pour cela que j'y crois. Vous figurez-vous qu'un Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir ? D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que cela lui arrive ; jamais il n'a pu voir une épée.

LE CARDINAL: - C'est bien fort, c'est bien fort I (Ils sortent.)

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« Chez George Sand, la scène était placée à l'ouverture : Musset l'a déplacée de façon à présenter Lorenzo après uncertain nombre d'informations reçues par le public — ou le lecteur.

En vérité, la scène de l'épée va épaissir lemystère du personnage au lieu de dévoiler sa vérité. D'un point de vue dramatique, la scène se présente comme le comble de la déchéance pour Lorenzo qui sera l'objetdu mépris, non seulement des acteurs de cette scène 4, mais aussi, plus tard, de sa mère, de son oncle Bindo quidemande de démentir « l'histoire scandaleuse qui court sur ision compte » (II, 4), ou de Pierre Strozzi : son attitudeva retentir longuement.

Il est devenu « la fable de Florence » dira Marie Soderini (I, 6).

Après cette chute au fondde l'humiliation, Lorenzo, aux yeux d'Alexandre, ne pourra qu'être dégagé de tout soupçon : perdant son honneur, ilgagne l'innocence. Bien plus tard, il se dévoilera au cours d'une scène antithétique, lors de la passe d'armes qu'il organise — lui seul —avec Scoronconcolo.

Ici, c'est le duc qui réaffirme son autorité devant une situation qui peut lui échapper et met enscène, préférant au jeu métaphorique — « votre esprit est une épée acérée » dit sire Maurice — la réalité brutalecensée dire la vérité.

Et celle-ci apparaît — presque trop facilement —: à l'extrême arrogance verbale de Lorenzodepuis le début de la scène (« Bonjour, messieurs les amis de mon cousin » dit la différence entre le parent —Lorenzo — et les autres ainsi que l'inimitié sous-jacente) succède le silence de l'évanouissement, l'aveu que devantles armes, il n'y a plus rien à dire.

La manœuvre est trop parfaite : chacun est content et pousse son commentaire :« chère Lorenzetta » pour le duc ; « double poltron, fils de catin » pour sire Maurice ; « pauvre jeune homme » pourValori.

Seul, le cardinal, expert en dissimulation, montre par trois répliques son doute.

Lorenzo, dépossédé de lui-même (ce que manifeste l'évanouissement) n'est plus que ce qu'il paraît être aux yeux des autres : la revanche peutcommencer. L'épée de Lorenzetta Le motif de la querelle n'est pas innocent.

Lorenzo a émis des doutes sur la virilité de sire Maurice : « Il est malsainde vivre sans femme, pour un homme qui a comme lui le cou court et les mains velues.

» S'en suit alors une série determes à connotation sexuelle.

À sire Maurice qui lui conseille de prendre une épée, Lorenzo répond : « je suis unpauvre amant de la science.

» Son refus lui attire cette injure de la part d'Alexandre d'être moins qu'un « bâtard »,de ne pas être même un homme, lui que le duc appelle de son nom féminisé « Lorenzetta » et qu'il accuse de n'avoirjamais pu « voir une épée », alors que sire Maurice « tire son épée » et se montre « l'épée nue ». Plus tard (IV, 11), ce sera au tour du duc de se présenter sans l'épée, que Lorenzo rendra inoffensive en «entortill[ant] le baudrier de manière à empêcher l'épée de sortir du fourreau », le duc, ainsi dévirilisé, sera à la mercidu « petit couteau » (IV, 9) de Lorenzo.

Lâche ou courageux, homme ou femme, l'épisode de l'épée aura masquéjusqu'à l'identité de Lorenzo.. »

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