L'oeuvre de Madame de Sévigné

« 200 HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE esprit a beaucoup moins de profondeur que de vivacité; sa gaîté naturelle lui fait voir le côté plaisant des choses plutôt que leur aspect grave, et son imagination brode avec une aisance brillante sur la matière que lui offrent sa propre personne, le spectacle du monde, ses lectures, parfois les paysages.

Tout lui est matière à pochades rapides, à silhouettes habilement enlevées; son cœur s'intéresse trop rarement pour alourdir sa plume et amortir les jeux de son esprit.

Elle sait trouver l'équilibre difficile - auquel nul en ce genre n'avait encore m atteindre - entre l'aisance et la discipline; car elle ne dit pas tout; elle choisit la matière qui permet la grâce du style et l'amusement du lecteur.

L'anecdote est bonne à ses yeux non par son importance réelle, mais par les ressources qu'elle offre à l'art du conteur.

Rien de débridé dans son apparent laisser-aller; un sens très sûr, au contraire, de l'effet à obtenir, et des moyens de l'obtenir.

Parfois même, l'émotion est la conséquence du désir d'écrire, non la cause.

Elle est femme de lettres, artiste, avant tout, et le paragraphe à réussir est plus important à ses yeux que la nouvelle ou l'émotion qui doit en faire l'objet.

De quoi parle-t-elle? La matière de ses lettres est assez mince.

Car il ne faut pas juger de l'ensemble de sa correspondance par quelques lettres d'anthologie, qu'ont fait choisir la qualité de la forme, sans doute, mais aussi l'importance de l'événement conté, l'intérêt des jugements, la chaleur de l'émotion.

Si l'on lit à la suite, on sent la médiocrité de la matière, l'étroitesse de l'horizon, la relative pauvreté de la vie morale.

Elle a toutes les qualités qui permettent de briller dans le monde, de charmer un auditoire; elle ne révèle aucune de celles qui attachent les cœurs à travers les siècles; on ne sent pas palpiter une âme inquiète, ni vivre d'une vie intense une nature riche, ni souffrir une humanité profonde.

A-t-elle pris un masque? On a peine à croire qu'elle eût pu si constamment le tenir appliqué sur son vrai visage.

Mais elle a incontestablement l'art de conter avec vivacité et avec esprit; elle sait ne jamais s'attarder; si l'art épistolaire a des lois, elle les connaît ou les devine; elle cueille dans ses lectures si nombreuses et parfois si sérieuses l'idée qui a provoqué en elle quelque réaction; loin d'exposer le contenu de l'ouvrage, elle. »