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LITTÉRATURE AFRICAINE: DE L’ORAL À L’ÉCRIT

Publié le 29/11/2018

Extrait du document

Lorsque se lèvent sur l’Afrique, au début des années soixante, «les soleils des indépendances», ce que l’on appelle encore à l’époque le «roman nègre» a déjà un passé prestigieux. Le terme de «négritude» a été employé pour la première fois en 1939 par le poète martiniquais Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal. Porté comme une bannière par le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, il englobe désormais un vaste domaine d’expression culturelle et surtout littéraire où la prise de conscience des racines africaines sert de lien entre des régions très diverses : ghettos urbains et paysages du Sud aux États-Unis, ports et plantations des Antilles françaises et des west indies, Afrique d’expression française, anglaise ou portugaise, mais aussi diasporas africaines de Grande-Bretagne, de Belgique et surtout de France. C’est en effet à Paris que les premiers écrits émancipateurs ont été publiés, non sans difficulté: en 1921, c’est une polémique aux relents d’affaire Dreyfus qui a entouré l’attribution du prix Goncourt à Batouala, le roman-témoignage du Martiniquais René Maran, fonctionnaire de l’administration coloniale en Oubangui...

 

La négritude ambiguë

 

Il est vrai que déjà ce pionnier affichait la couleur, si l’on ose dire, avec son sous-titre provocateur — «véritable roman nègre» — et son naturalisme à la Zola, plus fort que tout lyrisme anticoloniaL Un peu plus tard, du quartier Latin surgiront les premiers journaux émancipateurs: Légitime Défense (1932), /’Étudiant noir (1934-1940) et surtout Présence africaine (depuis 1947), parrainée par Sartre et Gide, et qui s’ouvre aux écrivains anglophones. Dès cette époque, l’influence des grands écrivains américains — Langston Hughes, Claude McKay, Richard Wright, Chester Himes puis James Baldwin — est déterminante chez des intellectuels issus de tant de communautés dispersées, et qui mettent volontiers en avant dans leurs écrits tout ce qui les rassemble par-delà la langue du colonisateur ou du négrier. Mais leurs héritiers commenceront à leur reprocher — surtout après 1968 — leur affiliation notoire à des doctrines européennes (marxisme, surréalisme, existentialisme, christianisme social) et leur fascination pour le «beau langage» des anciens maîtres: 

« l'œu vre d'Eu ropéens comme Blaise Cendrars -Ant hologie nègre (1921) -, d'ethnologues -Griaule , Dume stre, Dieterl en, etc.

- mais ils sont de plus en plus relayés par des Africains comme le Sénégalais Ousmane Socé -Karim (1935) -, le Guinéen Camara Laye -l'Enfant noir (1953) -, le Camerounais Eno Belinga ou le Rwandais Towo-Atanga na.

Sans oublier le rôle majeur de l'historien sénégalais Cheikh Anta Diop, véritable maître à penser de nombreux intellec tuels.

Ainsi réhabilit ée, la littérature orale inspire un nombre croissant d'écrivains dont beaucoup ont été élevés dans la tradition comme le Sénégalais Birago Diop -Am adou Koumba -dont Sartre applaudissait , comme le Bé ninois Olympe Bhely-Quenum -l'Initié (1979) - ou le Guinéen Djibril Tamsir Niane -Soundiata .

Il est d'aille urs significatif que les deux romans qui ont ouvert, en 1968 , la voie à la nouvelle génération utilisent la tradition épique sous forme de para­ bole : le Devoir de violence du Malien Yambo Ouologuem (prix Re­ naudot 1968) détruit le mythe d'un âge d'or précolonial à travers la chronique d'une dynastie féodale imaginaire .

Les Soleils des indépen­ dances de l'Ivoirien Ahmadou Kourouma est le premier roman cri­ tique sur l'Afrique , mais son héros est un prince déchu hanté par des songes prémonitoir es.

Même respect de la tradition chez le poète progressiste congolais Tchicaya U Tam'si -Légendes af ricaines -ou chez les Ivoiriens Jean-Marie Adiaffi, Grand Prix littéraire d'Afrique en 1981 -la Carte d'identité -, et Be rnard Dadié - Béatrice du Congo (1970).

Pour tous ces écriv ains, tradition ne veut plus dire folklore : c'est contre !' qu'ils réagiss ent, mais aussi contre la d'a vant les indépendanc es, qui opposait une Afrique idyllique à la rapacité du colon ; entre deux génération s, les lendemains qui déchantent sont passés par là ...

Autodidacte , docker avant de devenir le poète et cinéaste du Sénégal, Sembène Ousmane - Voltaïques (1978) -dénonce les injustices d'un passé trop présent sans renier ses racines ...

UN REGARD NOIR SUR LE FUTUR Il existe cependant entre d' évidentes filiations qui peuvent déj à faire parler de plusieurs > dans la littérature africaine francophone ...

Ainsi au Came­ roun où les Ferdinand Oyono -Une vie de boy et le Vieux Nègre et la Médaille (1956) -, Mongo Beti -Remember Ruben (1 974) -et Francis Bebey -la Poupée ashanti (1973), le Roi Albert d'E ffidi (1976) -exercent une profonde influence sur les plus jeunes, comme Yodi Karone -le Bal des caïmans (1980) -et surtout Blaise N'D jehoya -Un regard noir et le Nègre Potemkine ...

Par son bilin­ guisme , ce pays occupe d'ailleu rs une position charnière qui favo rise une expression romanesque spécifique.

Car de part et d'autre de la frontière linguistique très artificielle laissée par la colonisati on, la circulation de l'écrit est encore très limitée et subordonnée au délicat exercice de style qui consiste à traduire l'âme africaine de l'anglais en français et vice-v ersa.

De plus, la grande majorité des publications se fait dans les ancie nnes métropoles et, compte tenu du faible taux d' alphabétisation comme de la cherté des livres, leur public se recrute princ ipalement hors du conti nent.

Moins assimilateur que la domina­ tion française , le colonialisme anglais n'a guère développé cette > ! La colonisation culturelle n'a pourtant pas été qu'une pa­ re nthèse puisque , malgré la transcription et l'usage systématique de certaines langues autochtones (le haoussa au Niger ia, le swahili en Ta nzanie ...

), tous ces États de l'ancien Empire colonial britannique ont fini par admettre , à la fin des années soixante , l'anglais comme langue scolaire et véhiculaire .

Mais la langue de Shak espeare est, beaucoup plus que celle de Molière , l'ob jet d'une refonte spontanée, qu'an nonçait déj à en 1951 l'extraordinaire roman du Nigérian Amos Tut uola , The Palm- Wine Drinkard (traduit par Raymond Queneau sous le titre l'Ivrogne dans la brouss e): œuvre d'un pionnier illuminé, obscur planton d'un ministère de Lagos qui réussit d'emblée le mi­ racle de transposer en anglais le verbe halluciné du yorub a, avec une liberté de narration et d'e xpression qui pourrait le faire considérer comme un précurseur de la américaine ...

Pour son compatriote Chinua Achebe, plus érudit , le roman et encore plus la 26 LITTÉRATURE AFRICAINE.

Sembène Ousmane (Sénégal).

© de Selva -Tap abor LITTÉRATURE AFRICAINE.

Ya mbo Ouologuem (Mali).

©G amma nouvelle deviennent l'enjeu d'une renaissance culturelle où le mode de pensée traditionnel est confronté dialectiquement à la vie mo­ derne : la Flèche de Dieu (1964) et Girls at Wa r (19 72).

Mais la très abondante littérature nigériane sera désormais dominée par l'écra­ sante personnalité de Soy inka, qui impose au théâtre ancestral des masques yorubas des thèmes universels : les Gens du marais (1972), Jero (1973), la Mort et le Cavalier du roi (1975) ; ses roma ns, plus autobiographique� mais étrangement cryptés en font une sorte de Joyce africain ...

A la suite d'Ache be, Soyinka réfléchit au rôle de l'écrivain sur son continent, et sera un modèle d'engagement bien au-delà des frontières linguistiques du tiers monde.

Dans cette nouvelle littérature résolument progressiste, quoique chargée de symboles traditionnels, la vie urbaine et ses fléaux - vénalité , corrupt ion, prostitution -se substituent au microcosme villageois : ainsi dans les romans des Nigérians Kole Omotoso -The Combat (1973) -et John Munonye -A Dancer of Fortune (1974) -, ou dans Money Ga/ore (19 75) du Ghanéen Amu Djoleto, satires aussi acerbes que les chansons de Fela.

Plus rarement traduits en fran çais, les auteurs est-africains ont en commun un pessimisme existentiel sans doute né d'une décolo­ nisation plus conflictue lle.

Le Kenyan Ole Kulet raconte dans Devenir un homme (1972) l'échec de l'initiative d'un jeune Masaï à l'é poque moderne ; ce drame du déracin ement se retrouve chez ses concitoyens Ngugi wa Thiong'o -Pétales de sang (1977), ou le Mej a Mwangui -Tuez-moi vite (1972) -, et plus encore chez le Ta nzanien Peter Palangyo -Mourir au soleil (1970).

Les écrivains sud-africains noirs forment une communauté singulière dans ce contexte des années soixante-dix où le réduit colo­ nial va se résumer à leur propre patrie ; non seulement par leur ton militant -et même déchirant -mais aussi par leur origine générale­ ment prolétaire : on est ici bien loin des. »

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