L'Illusion Comique (1636), Acte II, Scène 4 Pierre Corneille : Comment cette scène met-elle en évidence l'essence de la comédie ?
Publié le 09/09/2012
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MATAMORE Eh bien ! Dès qu'il m'a vu, comme a-t-il pris la fuite ? M'a-t-il bien su quitter la place au même instant ? ISABELLE Ce n'est pas honte à lui, les rois en font autant, Du moins si ce grand bruit qui court de vos merveilles N'a trompé mon esprit en frappant mes oreilles. MATAMORE Vous le pouvez bien croire, et pour le témoigner, Choisissez en quels lieux il vous plaît de régner : Ce bras tout aussitôt vous conquête un empire ; J'en jure par lui-même, et cela c'est tout dire. ISABELLE Ne prodiguez pas tant ce bras toujours vainqueur ; Je ne veux point régner que dessus votre cœur : Toute l'ambition que me donne ma flamme, C'est d'avoir pour sujets les désirs de votre âme. MATAMORE Ils vous sont tous acquis, et pour vous faire voir Que vous avez sur eux un absolu pouvoir, Je n'écouterai plus cette humeur de conquête ; Et laissant tous les rois leurs couronnes en tête, J'en prendrai seulement deux ou trois pour valets, Qui viendront à genoux vous rendre mes poulets. ISABELLE L'éclat de tels suivants attirerait l'envie Sur le rare bonheur où je coule ma vie ; Le commerce discret de nos affections N'a besoin que de lui pour ces commissions. Elle montre Clindor. MATAMORE Vous avez, Dieu me sauve ! Un esprit à ma mode ; Vous trouvez, comme moi, la grandeur incommode. Les sceptres les plus beaux n'ont rien pour moi d'exquis : Je les rends aussitôt que je les ai conquis, Et me suis vu charmer quantité de princesses, Sans que jamais mon cœur les voulût pour maîtresses. ISABELLE Certes en ce point seul je manque un peu de foi. Que vous ayez quitté des princesses pour moi ! Que vous leur refusiez un cœur dont je dispose ! MATAMORE, montrant Clindor Je crois que la Montagne en saura quelque chose. Viens çà, lorsqu'en la Chine, en ce fameux tournoi, Je donnai dans la vue aux deux filles du roi, Que te dit-on en cour de cette jalousie Dont pour moi toutes deux eurent l'âme saisie ? CLINDOR Par vos mépris enfin l'une et l'autre mourut. J'étais lors en Egypte, où le bruit en courut ; Et ce fut en ce temps que la peur de vos armes Fit nager le grand Caire en un fleuve de larmes. Vous veniez d'assommer dix géants en un jour ; Vous aviez désolé les pays d'alentour, Rasé quinze châteaux, aplani deux montagnes, Fait passer par le feu villes, bourgs et campagnes, Et défait, vers Damas, cent mille combattants. MATAMORE Que tu remarques bien et les lieux et les temps ! Je l'avais oublié. ISABELLE Des faits si pleins de gloire Vous peuvent-ils ainsi sortir de la mémoire ? MATAMORE Trop pleine de lauriers remportés sur les rois, Je ne la charge point de ces menus exploits. PAGE Monsieur. MATAMORE Que veux-tu, page ? PAGE Un courrier vous demande. MATAMORE D'où vient-il ? PAGE De la part de la reine d'Islande. MATAMORE Ciel ! Qui sais comme quoi j'en suis persécuté, Un peu plus de repos avec moins de beauté ! Fais qu'un si long mépris enfin la désabuse. CLINDOR Voyez ce que pour vous ce grand guerrier refuse. ISABELLE Je n'en puis plus douter. CLINDOR Il vous le disait bien. MATAMORE Elle m'a beau prier : non, je n'en ferai rien. Et quoi qu'un fol espoir ose encor lui promettre, Je lui vais envoyer sa mort dans une lettre. Trouvez-le bon, ma reine, et souffrez cependant Une heure d'entretien de ce cher confident, Qui, comme de ma vie il sait toute l'histoire, Vous fera voir sur qui vous avez la victoire. ISABELLE Tardez encore moins, et par ce prompt retour Je jugerai quelle est envers moi votre amour.
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PAGEMonsieur.
MATAMOREQue veux-tu, page ?
PAGEUn courrier vous demande.
MATAMORED'où vient-il ?
PAGEDe la part de la reine d'Islande.
MATAMORECiel ! Qui sais comme quoi j'en suis persécuté,Un peu plus de repos avec moins de beauté !Fais qu'un si long mépris enfin la désabuse.
CLINDORVoyez ce que pour vous ce grand guerrier refuse.
ISABELLEJe n'en puis plus douter.
CLINDORIl vous le disait bien.
MATAMOREElle m'a beau prier : non, je n'en ferai rien.Et quoi qu'un fol espoir ose encor lui promettre,Je lui vais envoyer sa mort dans une lettre.Trouvez-le bon, ma reine, et souffrez cependantUne heure d'entretien de ce cher confident,Qui, comme de ma vie il sait toute l'histoire,Vous fera voir sur qui vous avez la victoire.
ISABELLETardez encore moins, et par ce prompt retourJe jugerai quelle est envers moi votre amour.
Lecture Analytique
Introduction : C'est une pièce qui regroupe plusieurs genres de la comédie ; le personnage de Matamore, issu de la Comedia Dell'arte mais aussi de la comédieromaine, ne doit son existence et sa mise en scène qu'à son ostentation de lui-même.
Il contribue donc en partie à l'illusion générale.Celui-ci est particulièrement présent dans l'acte II scène 4.
On peut en effet considérer que cette scène est comme une mise en abyme de la comédie.
I.
Le personnage de Matamore : Un être de spectacle et de mots
a) Il se fait metteur en scène• Matamore donne l'apparence de contrôler les entrées et sorties des personnages, le page notamment (cf entrées Don quichotte.
Transformation de l'événement pourle faire entrer dans sa fiction)• Matamore convoque les répliques (viens ça) et v443-446
b) Créateur de son propre personnage héroï-comique• Prolifération des marques de la 1° personne dans son discours• Comique de mots et de gestes (mise en scène de lui même) répétition• Ostentation, mise en avant de ses exploits v 410, 444, 475• Lexique de la vue (« j'ai vu »)• Démonstratifs « Ce bras » et v 460
c) Metteur en scène de lui-même• Vocabulaire v416 « ce bras » « conquête un empire »• La scène de cour devient un auto-éloge « Pour vous je renonce à … », « vous avez un esprit à ma mode » « Vous trouverez comme moi »• Hyperboles « deux ou trois rois » v 427 «quantités de princesses » v437 ;• Traitement quantitatif /qualitatif• Pluriels « sceptres »• Comique de mot par répétition
Transition : En réalité, il ne peut exister par lui même.
II.
Le double jeu comique
a) La complaisance intéressée d'Isabelle et de Clindor qui mène l'échange• Isabelle mène la conversation et suscite les interventions de Clindor (didascalies et v432-439)• Clindor (rôle de « faire-valoir ») exagère son discours hyperbolique de Matamore pour le complaire (+ grand territoires, quantitatif + chiffres)• Accumulation des exploits• Référence à Rabelais avec le terme « Géants »• Parodie de Matamore qui parodiait le héros• De nombreuses antiphases (sous entendus).
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