Devoir de Philosophie

L'EXTASE de VICTOR HUGO

Publié le 15/09/2006

Extrait du document

hugo

  (Recueil : Les orientales)

     J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles,  Pas un nuage aux cieux, sur les mers, pas de voiles,  Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel ;  Et les bois, et les monts, et toute la nature,  Semblaient interroger, dans un confus murmure,  Les flots des mers, les feux du ciels.

Et les étoiles d'or, légions infinies,  À voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,  Disaient en inclinant leur couronne de feu ;  Et les flots bleux, que rien ne gouverne et n'arrête,  Disaient en recourbant l'écume de leur crête:  « C'est le Seigneur, le Seigneur Dieu ! «

 

Tout comme « Clair de lune «, « Extase « est tiré du recueil Les Orientales que Hugo fit paraître en 1829, à l'âge de vingt-sept ans. Célèbre depuis la publication de Han d'Islande (1823) et surtout des Odes et Ballades (1826), bien vu du pouvoir en place, le jeune auteur semble alors promis à une carrière littéraire aussi brillante que bien tracée.

On pourra se reporter au commentaire de « Clair de lune« pour ce qui concerne l'aspect « oriental « du recueil et ses rapports au contexte historique de l'époque. Ce qu'il faut retenir des Orientales à propos de « Extase «, c'est qu'à ce moment de sa vie, Hugo est en train de devenir le chef de file du romantisme. Il a su réunir autour de lui un groupe d'artistes, poètes, peintres et sculpteurs qui, l'année suivante, formeront l'avant-garde de la lutte contre les classiques. Il bouleverse, par ses acrobaties lyriques, les règles héritées du XVIIe siècle (voir, au début de ce livre, la partie intitulée « La Révolution Hugo «). Et il adopte une vision romantique de l'art, vision suivant laquelle le poète serait un être à part, une sorte de mage inspiré par les dieux...

Mais en même temps, la maîtrise et le métier de Victor Hugo s'affirment. Au-delà des simples jongleries poétiques, des thèmes font leur apparition que l'on retrouvera tout au long de l'oeuvre hugolienne. Écoutons ce qu'en dit André Maurois dans sa biographie Olympio ou la vie de Victor Hugo : « Et peut-être le plus beau de ces chants était-il celui qui arrachait le poète à l'Orient et à l'Occident, au temps et à l'espace : Extase [...] Ici naît le Hugo des Contemplations, habile, comme Beethoven, à faire monter une idée comme un sentiment vers l'affirmation répétée de l'accord parfait. «

 

hugo

« Une transfiguration graduelle Hanté par les préoccupations métaphysiques que lui suggèrent le paysage nocturne qu'il contemple, Hugotransfère graduellement ses propres pensées sur le décor qui l'entoure.

La nature, dont la présence gigantesquefait naître les questions du poète, devient alors l'interprète, la messagère de ces questions.

Il s'agit là d'un effet detransfiguration, effet familier à Hugo. Le mouvement général du texte traduit bien ce mouvement psychologique.

Le premier mot du poème est « je »,affirmant nettement que l'auteur parle en son propre nom.

Le troisième vers, avec l'expression « plus loin que lemonde réel », nous prépare à la description d'une expérience visionnaire.

Puis le vers 5 amorce la personnification de la nature avec l'expression «Semblaient interroger ».

Amorce seulement, car le mot « Semblaient » indiquenettement que le poète parle encore par image, au sens figuré. La seconde strophe, au contraire, présente sur le mode affirmatif ce dont le poète paraissait douter jusque-là.

Auxvers 9 et 11, en effet, il écrit que les étoiles et les flots «Disaient», et non pas « semblaient dire ».

Lapersonnification est ainsi achevée...

D'autant que les verbes « inclinant » et « recourbant », employés aux vers 9et 11, sont suffisamment ambigus pour suggérer, de la part des flots et des étoiles, un mouvement volontaire derespect ou d'adoration. Dieu est ainsi présenté dans toute sa gloire, à la fois comme la réponse définitive à toute question et comme unepuissance telle que la nature la plus indomptable lui rend spontanément hommage. La construction du poème Il faut aussi dire quelques mots sur la structure du poème. Nous avons déjà montré comment la première strophe prépare à la fois la personnification de la nature et laréponse finale apportée à la strophe suivante.

Mais il faut également souligner la mise en relief systématique dudernier vers de chaque strophe, obtenue par la rupture de rythme que provoque l'emploi d'un octosyllabe à la suited'une série d'alexandrins. Cette mise en relief s'exerce, bien entendu, sur les éléments principaux du texte.

La seconde strophe s'achève surla réponse mystique suggérée au poète par le ciel et l'océan.

Le vers 6, lui, installe le parallèle entre mer et ciel quisera développé dans la seconde strophe.

Il sert donc de transition au poème, annonçant en quelque sorte lethème qui va suivre. Enfin, il faut remarquer la façon dont le poème s'amplifie à mesure que la réflexion s'élève. Nous commençons par trois phrases courtes (vers 1, 2 et 3) destinées, si l'on peut dire, à installer le décor etl'action.

Ces trois phrases, relativement sèches, sont affirmatives et presque factuelles : «J'étais », « Pas un...

»,« Mes yeux plongeaient ».

Puis vient une phrase plus longue, courant sur trois vers (4-6), qui nous fait passer duregistre affirmatif à une sorte d'imprécision manifestée par les termes «Semblaient » et « confus » (vers 5). Cette imprécision marque en fait une étape dans l'évolution psychologique de l'auteur.

Le « Semblaient interroger »du vers 5 laisse bientôt place à un «Disaient » affirmatif.

On est passé du registre factuel des premiers vers à unerêverie vague, puis à une véritable vision mystique.

La pensée du poète s'échappe, se développe, survolel'univers...

L'auteur entend maintenant parler les étoiles et les flots.

Cette dilatation de l'esprit, cette « Extase » setraduisent par une phrase longue, ample, couvrant l'intégralité de la deuxième strophe. L'ouverture de cette quatrième phrase (vers 4-6) est en elle-même intéressante : il s'agit d'une anaphore, une répétition de structure, et en même temps d'une gradation, puisque l'on passe progressivement du particulier (« les bois ») au général (« toute la nature ») «Et les bois, et les monts, et toute la nature,» L'évocation des « bois » fait naître en général des idées de fraîcheur, de complicité avec la nature, en tout cas d'accessibilité.

Celle des « monts » est plus imposante, suggérant des idées de domination, de difficulté, d'éternité...

Enfin, avec « toute la nature », la dimension humaine est totalement dépassée.

Ainsi, la gradation du vers 4 nous emmène graduellement en-dehors du monde humain, du « monde réel », pour nous faire accéder à des hauteurs nouvelles.

Passant desbois à la nature entière, la vision du poète embrasse, en un vers, le monde tout entier.

L'ampleur de la vision accompagne bien celle de laphrase. Remarquons, pour finir, que le premier mot du texte est « Je » et le dernier «Dieu ».

Le poème se présente ainsi comme un trajet entre le poèteet la divinité.

C'est le récit d'une expérience par laquelle l'auteur prend conscience de l'omniprésence divine, par laquelle il est en quelque sortetransporté, enlevé jusqu'à Dieu...

On retrouve ainsi le sens originel du mot «Extase », qui désignait chez les chrétiens l'état des mystiquesamenés, en esprit, auprès du Créateur.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles