« L'expression d'une expérience personnelle est-elle, selon vous, ce qui donne sa valeur à la création poétique ? »
Publié le 18/09/2010
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? du simple poème à la représentation théâtrale (avec l'appui de professionnels) De la lecture des oeuvres littéraires à l'écriture ? il complète les autres types d'écrit : récits historiques, synthèses en histoire, descriptions en géographie, expérimentation en sciences (situations authentiques d'apprentissage) ? il s'agit de s'appuyer sur le texte lu pour entrer en écriture : modifier un aspect (lieu, temps, personnage, épisode, …), expanser ou réduire un texte, planifier une nouvelle écriture dans l'exploration d'un genre, écrire « à la manière de «, pratiquer le pastiche, créer de manière ludique, créer des ateliers d'écriture à partir d'une recherche lexicale ou d'une situation induite (écoute musicale, oeuvre picturale) …
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La poésie est un art.
Les journaux intimes, les expressions personnelles qui s'expriment sur Internet, notamment parles blogs, ne peuvent être qualifiés de poésie.
Pourquoi ? L'essentiel n'est pas d'exprimer ses experiences etsentiments personnels « Qu'importe la matière première, qui est un peu partout ? C'est le talent, c'est la puissancede transformation qui me touche et qui me fait envie » explique Paul Valéry.
L'essentiel est dans la manière de ledire.
Cet art du langage qu'est la poésie est bien le travail des rythmes et des sonorités, qui donne au poème samusicalité.
Par exemple, Marot qui fait partie des " »Grands Rhétoriqueurs » (groupe de poètes qui donnent à leurvers une extrême sophistication) fait un travail majeur sur les mots.
Dans « L'Adolescence clémentine » il parle deson expérience douloureuse (la mort de celle qu'il aime, et le dégoût du monde) mais ce n'est pas un épanchementinforme, mais bien au contraire, un très grand travail sur les mots et la musicalité (décasyllabes, rimes annexées,rimes embrassées…).
Si la poésie est un art, c'est aussi par le travail des images, par le jeu sur l'évocation et parl'imaginaire notamment grâce à l'utilisation de métaphores et comparaisons.
Par exemple la personnification de l'êtreaimée par la « fleur » ou la métaphore de « deux soleils » (v 26) dans Stances de Ronsard ; ou encore dans Mamorte vivante de Paul Eluard, l'hyperbole « merveilles perpétuelles de la vie et de l'éternité » est une figure de styleexprimant cet art du langage qui donne toute sa valeur à la création poétique.
De même Verlaine Dans « Clair delune » extrait des Fêtes galantes écrit :« Votre âme est un paysage choisiQue vont charmant masques et bergamasquesJouant du luth et dansant et quasiTristes sous leurs déguisements fantasques ».Dès le premier vers, l'âme est comparée à un paysage.
On plonge alors dans ce paysage peuplé de jeunes gens quifont la fête pour cacher leur tristesse.
La poésie y est faite d'associations inattendues, voire incongrues quistimulent l'imaginaire et suscitent l'émotion.
Selon le poète Paul Valery, la poésie est un « art particulier fondé surle langage », « une hésitation prolongée entre le son et le sens ».
Il écrit aussi : « La poésie est l'ambition d'undiscours qui soit chargé de plus de sens et mêlé de plus de musique que le langage ordinaire n'en porte et ne peuten porter ».
L'écriture poétique, par nature, vise le Beau.
Dés lors que la poésie se définit par une forme, un travailsur les mots, un jeu avec les sonorités, elle relève en grande partie de la convention et plusieurs poètes enconviennent ; ils s'élèvent au-dessus de la pure « expérience personnelle » pour tendre vers une expressionidéalisée qui les éloigne de plus en plus de leur réalité quotidienne pour les faire entrer dans le fantasme.
La poésie,art du langage est faite de codes.
Hugo dans Réponse à un acte d'accusation : écrit " J'ai dis au long fruit d'or :mais tu n'es qu'une poire ! ".
Il dévoile ainsi les ficelles de la poésie : elle use de métaphores, de périphrases (" lelong fruit d'or ") pour embellir des réalités souvent bien plates (ce n'est " qu'une poire ").
Ronsard, ou Du Bellay dansleur recueil de poésie amoureuse chantent leur amour éperdu pour une femme qui n'a peut-être jamais existé etpourtant, sans cesse, ils jurent qu'ils sont sincères ; et si tant est que la femme chantée ait existé les rapportsqu'ils ont eu avec elle sont bien éloignés de l'image idéalisée qu'ils en ont donné dans leurs vers.
Embellir les faits, les transformer pour les rendre plus jolis ou plus tristes c'est déjà s'éloigner un peu de la pure« expérience personnelle » ; certains poètes tirent de ce constat une conclusion assez radicale : on peut faire dela poésie détachée de toute « expérience personnelle » .Certains poètes peuvent chercher à détacher la poésie de toute expression d'une expérience personnelle ou mêmejouent de leurs émotions.
Ronsard et Du Bellay, au XVIème siècle ont tous les deux écrit des canzoniere ; recueilsde poésie amoureuse inspirés d'un célèbre recueil de Pétrarque, (L'Olive de Du Bellay en 1549 ; Les Amours deRonsard en 1552).
Comme ce poète italien, ils chantent un amour impossible pour une Dame inaccessible, pourvuede toutes les qualités, de toutes les grâces.
Ils lui jurent fidélité, adoration éternelle etc.
L'expression de cessentiments est si vibrante d'émotion qu'on croit sans peine qu'ils ont réellement brûlé d'un amour ardent et absolupour une femme magnifique.
Mais, quelques années plus tard (le poème Contre les Pétrarquistes de Du Bellay dans lerecueil Jeux Rustiques de 1558, le poème A son livre de Ronsard dans la Continuation des Amours) ils dévoilent lesficelles et affirment avec ironie que tout cela n'est que convention : le teint d'ivoire, les lèvres de corail, les yeuxsemblables à des étoiles, l'amoureux qui souffre, toutes ces expressions qui peuplent leur poésie ne sont que desconventions.
Il s'agit d'une poésie codifiée qui s'inscrit dans une tradition (la tradition des canzoniere née en Italieaux XIV-XV° siècle) et qui, par conséquent, est très éloignée de l'expression d'une expérience personnelle ! Il s'agitjuste – ou presque - de jouer avec des codes.
« Et qu'on aille pas croire qu'ils restent des années aux pieds d'unefemme à chanter ses louanges si elle ne cède pas car on bout d'un moment on se lasse » dit même Ronsard dans lepoème A son livre, contredisant ainsi ce qu'il avait pu dire précédemment de sa poésie amoureuse.
De même,Théophile Gautier, partisan de l'Art pour l'Art, de la perfection formelle, dénonce les excès du romantismesentimental et prône la retenue et l'impersonnalité en matière de poésie.
Selon lui, l'artiste n'a pas à s'engagersocialement, personnellement et politiquement dans ses vers.
Son seul but doit être le beau, la perfection formelle.Francis Ponge dénonce dans le poème Le cycle des saisons (dans Le parti pris des choses) l'épanchement du « je »en poésie, la trop grande part donnée à l'expression d'une expérience personnelle : Las de s'être contractés toutl'hiver les arbres tout à coup se flattent d'être dupes.
Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles, un flot,un vomissement de vert.
Ils tâchent d'aboutir à une feuillaison complète de paroles » : ici, les arbres, ce sont lespoètes lyriques qui « lâchent leurs paroles » comme un « flot, un vomissement ».
Ces poètes veulent tout dire,croient pouvoir exprimer toutes leurs émotions.
Alors ils se scrutent pour parler et encore parler d'eux-mêmes.
Aufinal, tous ces poètes parlent incessamment de la même chose : l'amour, la mort, les regrets, l'angoisse ...
Ponge,lui, a pris son parti : « L'on ne sort pas des arbres par des moyens d'arbres », : on ne sort pas de l'expressionpersonnelle égocentrique, en exagérant l'épanchement du moi.
Il faut changer radicalement de méthode et choisir ledépouillement.
En conséquence, Ponge choisit d'éviter au maximum de parler de lui et de dire « je ».
Dans Le partipris des choses, un recueil de poèmes en prose, il décrit des choses : un cageot, une bougie, une huître.
Certes, il ya toujours une signification cachée, une vision du monde qui se dévoile à travers ces descriptions d'objets, maiscela se fait avec discrétion..
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