Lettre du poète Nicolas Rapin à Mathurin Régnier en réponse à l'euvoi de sa IXe Satire.
Publié le 15/02/2012
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Mon cher Maître en Apollon,
Mérité-je vraiment le nom de « poète «, dont vous me gratifiez dans votre lettre d'envoi ? J'ai scrupule à me l'attribuer. Avocat et guerrier, voilà mes vrais titres; amateur de poésie et rimeur en mes loisirs, c'est tout ce que j'y puis ajouter. Quoi qu'il en soit, je ne saurais demeurer insensible à l'honneur que vous me daignez me faire; en me dédiant votre chef-d'oeuvre, vous me décernez un brevet d'immortalité....
«
Vous-meme avez reconnu pratiquement l'opportunite de renouveler les
sources de l'inspiration; vous avez pulse maints sujets dans la realite, vous
vous Res libere hardiment de ce lourd appareil d'erudition dont se faisaient gloire et honneur les n ronsardisants ).
Ne vous rencontrez-vous pas, sur
ce poirit, avec votre adversaire? Et reetes-vous pas d'accord avec lui sur cet autre point important, a savoir
que le travail doit marcher de pair avec l'inspiration? Quand j'examine
de pres certaines de vos ceuvres, j'y crois decouvrir les traces de ce labeur
qui seul donne a la pensee, au sentiment, leur parfaite expression.
Me
trompe-je?...
Non; avouez4e : si vous n'usez pas une demi-rame de papier
pour composer une stance, tel sonnet, tel passage de vos satires vous
ont coffie quelque peine.
I1 suffit d'avoir tenu une plume pour savoir que
l'on ne parvient pas du premier coup a une pareille condensation, a une
composition aussi harmonieuse, a un style aussi riche en sa probite.
Quant au reproche que vous adressez a M.
de Malherbe d'embellir a
l'exces la nature, d'accabler la pensee sans les ornements, ne conviendrait-
il mieux quelques-uns de vos amis, du moins ceux chez qui vous
frequentez? Qui done, en nos jours, a denonce avec plus d'energie le faux
éclat, l'abus de in metaphore, l'affeterie, l'enflure, le ton declamatoire, tristes
presents de Mane? Qui done a ose affronter avec plus de courage l'homme
qui incarne actuellement tons ces defauts si peu francais, le trop celebre
cavalier Marin? Avec votre franchise coutumiere, vous avez déjà repondu a ces questions : « Celui4A, c'est de M.
Malherbe; it a ete, je le reconnais,
en plus d'une occurrence, le champion du bon gofit et du bon seas ou-
trages.
» Paussant plus loin, vous avouerez encore que les exigences de votre
ennemi, en matiere de vers, ne sont point tout a fait sans fondement.
Si
quelques hiatus tres doux peuvent etre toleres, d'autres choquent les oreilles
les moins delicates.
Les enjambements multiplies - et nous en aeons tons
deux sur, la conscience - rompent le rythme et transforment les vers en
prose rimee.
Les pokes mediocres, ou qui produisent trop hativement,
abusent des chevilles, de ces bourres commodes substituees a la pensee
absente.
Enfin les rimes trop faciles communiquent au vers je ne sans quoi
de lache et d'anemie, tandis que les rimes rares et riches leur conferent
sante et vigueur.
Je n'ai pas fini, cher Confrere; mais j'hesite a poursuivre une apologie
que vous pourriez prendre, pour la condamnation de vos propres opinions...
Plus j'avance, pourtant, et plus j'acquiers la conviction contraire.
Aussi
m'enhardirai-je a pousser jusqu'au bout, star que vous me suivrez, et espe- rant que vous vous rangerez a un avis tout desinteresse.
Apres vous avoir
demontre l'opportunite d'une reforme poetique, je voudrais vous convaincre que M.
de Malherbe est autre chose qu'un grammairien pedantesque.
II est de mode, dans certains milieux, de le designer par ces expressions
moqueuses : 4 le regratteur, des mots », « le tyran des mots et des syllabes
Entre nous, it s'entend fort bien en fait de mots et de syllabes.
Ce bon-
homme a la rude ecorce me semble personnifier le genie meme de notre
langue.
Vous ne vous etes pas mepris, je pense, sur le sens de sa boutade.
Il etait .de bonne guerre, dans une satire, de feindre l'indignation; mais
vous avez certainement compris ce entendait signifier en renvoyant
ses disciples aux crocheteurs du Port Saint-Jean.
Il voulait dire : a Desirez-
vous etre renseigne sur la valeur exacte d'un vocable? recourez aux sources
populaires.
» L'usage n'est-il pas, pour vous comme pour lui, in souveraine
autorite en la matiere?
Admettez aussi que la Pleiade se fourvoyait en preconisant.
»
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