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Lettre de Monsieur de Pompone, de Mme de Sévigné.

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

Texte.    Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira. Le Roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comme il faut s'y prendre. Il fit Vautre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas fort joli. Un malin, il dit au maréchal de Gramont : « Monsieur le maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. « Le maréchal après avoir lu dit au Roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. « Le Roi se mit à rire et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? — Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom — Oh bien! dit le Roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement ; c'est moi qui l'ai fait — Ah! Sire, quelle trahison! Que Votre Majesté me le rende; je l'ai lu brusquement — Non, Monsieur le Maréchal : les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. « Le Roi a fort ri de celle folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le Roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

Les circonstances :    Dans le siècle autoritaire et brillant qui fut celui de Louis XIV, la Cour forme un milieu fermé qui a ses coutumes, son langage, et où le roi et les grands seigneurs constituent, même dans les menus événements de leur vie, des centres d'intérêt autour desquels tout gravite, et qui sont commentés avec une ardeur passionnée. Madame de Sévigné, dans ses lettres qui sont une chronique mondaine substantielle, permet à ceux que les circonstances tiennent éloignés de Paris de ne pas perdre le contact avec un monde qui est une sorte de point d'optique.   

« plaisir gratuit et de rare qualité, qui consistera à mettre à l'épreuve la sincérité d'un courtisan obséquieux et servile,en le regardant, avec une ironie amusée, s'embourber dans d'hypocrites excuses et des prétextes volubiles etgrotesques. — « Un matin, il dit au Maréchal de Grammont : « Maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et dites-moi si vousen avez jamais vu un si impertinent? » La question paraît spontanée, directe, et ne peut permettre de détecter le piège; le ton est empreint de la politessedéférente que l'on témoigne à l'égard d'un critique littéraire averti que l'on considère comme un juge, et à l'opinionduquel on se ralliera, tandis qu'avec un art infini, non seulement le Roi suggère, mais dicte la réponse qu'il a l'air desolliciter.

Il signale sans appuyer, par le superlatif et l'adjectif, que le madrigal est un chef-d'œuvre de sottiseencore inégalé, une sorte de défi au bon sens. « Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes (es façons.

» II serait vraisemblable en effet que les courtisans toujours à l'affût des moindres désirs du roi aient rivaliséd'empressement en adressant au souverain des modèles du genre et convoitent secrètement l'honneur insigne defixer son choix.

Le roi avec un merveilleux naturel prévient tout soupçon chez le Maréchal en extrayant comme parhasard parmi cette flore poétique un échantillon de la qualité la plus basse. « Ah, Sire, votre Majesté juge divinement de toutes choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridiculemadrigal que j'aie jamais lu! » La flatterie jaillit, obséquieuse et massive; le ton vibre d'hypocrite admiration; le roi est assimilé à Dieu, tantl'universalité des ses aptitudes et de ses dons parait prodigieuse; il est non seulement grand capitaine,administrateur prestigieux mais encore la possession d'un jugement solide qui discerne avec sûreté les caractères dela beauté véritable rehausse en lui l'éclat d'une personnalité exceptionnelle.

Désireux de plaire au roi, renchérissantencore sur l'opinion formulée par ce dernier, d'un ton pénétré, et avec une sorte de majesté bouffonne, comme s'il prononçait une sentence d'exécution sommaire, ilaffirme que la sottise et la prétention qui caractérisent cet écrit pitoyable sont sans précédent dans les annales dugenre, et qu'elles apportent la preuve d'une indéniable infirmité intellectuelle. « N'est-ce pas que celui qui l'a fait est bien fat? » Le roi, qui voit ses pronostics confirmés, s'amuse d'une épreuve aussi parfaitement concluante, éprouve une sortede jubilation intérieure qui l'enhardit et le pousse à confirmer sa victoire.

Avec la maîtrise de soi et l'élégance de tondu parfait gentilhomme, après avoir pris le Maréchal au piège, il veut se donner la joie d'en fermer la trappe. « Ah, Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom! » Le Maréchal, avec un élan affecté, fait ressortir la nullité d'une production littéraire où la meilleure bonne volontés'évertuerait inutilement à trouver autre chose que vanité et sottise. « Oh, dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement, c'est moi qui l'ait fait.

» Avec une joie non dissimulée, et comme à fleur de rire, le roi jette le masque.

Il faut noter l'effet terrifiant dupronom personnel initial inséré dans cette phrase, pronom neutre en apparence, et qui plonge le Maréchal dans lastupeur : « Oh.

Sire, quelle trahison, que Votre Majesté me le rende, je l'ai lu brusquement.

» Le vieux maréchal, pendant un instant très court, ne dissimule plus; pris au piège du roi.

pris au piège de sa proprecomédie, et de son mimétisme abject, puis naïf dans sa ruse, il essaie de sauver une situation désespérée par unprétexte d'une aveuglante mauvaise foi.

Voulant sortir du piège, il ne fait que s'empêtrer dans des rets habilementstendus.

Le roi, narquois et lucide, sait que la seconde lecture révélerait au maréchal autant d'incomparables beautésque la première lecture lui a révélé d'incomparables sottises : « Non, Monsieur le Maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels, » Hautain, mais souverainement poli, d'un ton à peine désabusé, le roi formule un refus d'une catégorique netteté, et ilvoile le mépris que le Maréchal lui inspire par une formule qui s'applique à la généralité humaine, et qui sauvegarde ladignité imposée par la bienséance. « Le roi a fort ri de cette folie.

». »

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