L'Etranger de CAMUS: Une tragédie placée sous le signe du deuil
Publié le 22/02/2012
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«
Analysé dans cette perspective, L'Etranger ne peut que nous apparaître comme une tragédie moderne sur laquellerègne inflexible une fatalité solaire.
Dans un cadre ainsi défini, soulignons-le, Meursault n'est pas un être libre.
Sondestin ne lui appartient pas qui se décide en dehors de lui.
Il n'est que le jouet de forces anonymes et supérieuresqui le mènent jusqu'à la mort.Il y a là presque un paradoxe.
On a souvent défini Meursault comme l'image la plus exacte de l'individu moderne.Mais à lire L'Etranger, on dirait que, dans un monde sans Dieu et où les valeurs qui guidaient autrefois les hommesont disparu, la liberté n'existe pas et que l'individu plie sous le poids d'une fatalité innommée, mais plus inexorableencore que les anciens mythes.C'est pourquoi, ainsi que l'affirme Camus dans Le Mythe de Sisyphe, « la sagesse antique rejoint l'héroïsme moderne».
La grandeur de Meursault n'est pas dans les actes de somnambule qui le conduisent jusqu'à la guillotine car ceux-ci ne lui appartiennent pas.
Elle est dans la conscience qu'il prend tout à coup de ce qu'il est, dans la lucidité et laforce avec lesquelles il accepte son destin et se reconnaît lui-même dans le sort que la fatalité lui a imposé.
Au soirde sa vie, Meursault se découvre libéré et prêt à tout revivre.
Du fond de sa cellule, il découvre une paix quin'appartient qu'aux personnages tragiques lorsque ceux-ci, une fois leur destin consommé, constatent que tout estbien.Ici, Meursault rejoint OEdipe dont Camus écrivait dans Le Mythe de Sisyphe :
«...
les vérités écrasantes périssent d'être reconnues.
Ainsi, Œdipe obéit d'abord au destin sans le savoir.
A partirdu moment où il sait, sa tragédie commence.
Mais dans le même instant, aveugle et désespéré, il reconnaît que leseul lien qui le rattache au monde, c'est la main fraîche d'une jeune fille.
Une parole démesurée retentit alors :"Malgré tant d'épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien." L'OEdipe deSophocle, comme le Kirilov de Dostoïevski, donne ainsi la formule de la victoire absurde.
La sagesse antique rejointl'héroïsme moderne.
»
Ici, également — et plus peut-être que dans tout ce qu'il est possible d'écrire de l'absurde — Meursault rejointSisyphe.
Le moment où ce dernier retourne à son rocher est, à bien des égards, identique à cette « nuit chargée designes et d'étoiles » où Meursault s'ouvre pour la première fois à « la tendre indifférence du monde ».
Le héros grecdécouvre dans le châtiment que les dieux lui ont imposé la forme même de son destin.« Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là.
Son destin lui appartient.
Son rocher est sa chose.
De même, l'hommeabsurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles.
Dans l'univers soudain rendu à son silence, lesmille petites voix émerveillées de la terre s'élèvent.
Appels inconscients et secrets, invitations de tous les visages,ils sont l'envers nécessaire et le prix de la victoire.
Il n'y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit.L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus de cesse.
»La joie de Sisyphe est celle du héros de L'Etranger.
Au terme de la tragédie qu'il a vécue, il faut imaginer Meursaultheureux.
Sous le signe du deuil
Nous avons donc pu définir L'Etranger comme une tragédie solaire sur laquelle pèse une fatalité qui apparenteMeursault aux héros de la tragédie antique.Cette fatalité, est-il possible de la nommer ou doit-on se résoudre à ce qu'elle soit aussi universelle que la conditionhumaine elle-même? S'autorisant du travail de nombreux critiques, on peut essayer de résoudre plus avant l'énigmede L'Etranger.Pour ce faire, il convient de remonter jusqu'aux toutes premières lignes du roman.
Le livre, on s'en souvient, débutepar l'annonce faite à Meursault de la mort de sa mère.
La figure maternelle se trouve ainsi placée dans une positioninaugurale : c'est par elle que débute le texte; c'est de sa disparition en quelque sorte que tout procède.Cela ne devrait guère surprendre un lecteur familier de l'oeuvre de Camus.
Dès ses premiers essais littéraires,l'imaginaire de l'écrivain semble en effet dominé par la figure maternelle.
Il en va ainsi dans les nouvelles que réunitL'Envers et l'Endroit : « L'ironie » évoque la disparition et l'enterrement d'une vieille femme abandonnée de tous;«Entre oui et non » relate le face-à-face muet d'une mère et d'un enfant.
Dans la préface dont il accompagna laréédition de son livre, Camus souligna que son oeuvre tout entière n'aurait de sens que si elle plaçait en son centre«l'admirable silence d'une mère et l'effort d'un homme pour retrouver une justice ou un amour qui équilibre ce silence».A rapprocher ces textes — par lesquels s'ouvre et se clôt la trajectoire littéraire de Camus — on pourrait être tentéde conclure que la figure maternelle constitue comme l'alpha et l'omega de cette oeuvre.De manière souvent très convaincante, la critique psychanalytique s'est saisie de cette hypothèse et en a lait uneclé particulièrement efficace pour rendre compte de certaines des énigmes les plus résistantes de l'oeuvre.L'Etranger, pour être saisi le mieux possible, doit également être approché dans cette perspective.
Lorsqu'on lit leroman de manière pressée, on peut céder à l'illusion que la mère de Meursault n'y joue qu'un rôle très secondaire.
Lelivre, certes, débute avec le récit de ses funérailles, mais Meursault semble n'accorder à la disparition de sa mèreque peu d'attention : à aucun moment, il ne témoigne de véritable émotion ou de chagrin.
Le lecteur en viendraitpresque à oublier cet épisode si, dans la seconde partie du roman, l'accusation ne s'en saisissait pour présenter aujury l'inculpé comme un « monstre moral ».
Camus n'aurait-il fait mourir la mère de son personnage que pour mieuxprécipiter son héros dans le piège judiciaire qui conduira à son exécution? On peut en douter.En effet, lorsqu'on se penche avec plus d'attention sur le roman, on s'aperçoit inévitablement que, loin d'êtretotalement absente de la mémoire du narrateur, la figure maternelle ne cesse, avec discrétion mais insistance, de.
»
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