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L'Espace dans Guillaume d'Angleterre de Chrétien de Troyes

Publié le 09/09/2012

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a. Espace et aventures On peut dire que Guillaume d'Angleterre est un texte romanesque dans la mesure où il se caractérise par une trame narrative faite de rebondissements amenant le roi d'une destitution à un happy end. Or, l'espace est constitutif du romanesque. En effet, si l'on résume le début de l'histoire, on remarque que les déplacements, les changements de lieux, sont déclencheurs d'aventures. Guillaume, au début du récit, est prié par Dieu de quitter la cour. Cet exil l'amène à aller de Bristol au bord de mer, en passant par la forêt. La reine accouche donc loin du confort de la cour, elle est prise d'une grande faim qui contraint le roi à aller chercher de l'aide au port. Les quelques allers-retours de Guillaume entre la grotte et le port provoquent l'enlèvement de la reine et des enfants, et donc le voyage du roi dans l'espoir de les retrouver. Chaque lieu ou déplacement génère un événement. L'espace est ainsi une dimension importante du texte, constitutive de la structure du texte et de son caractère romanesque. b. EntrelacementsSi l'on regarde de près un grand nombre de textes médiévaux, il évident qu'il est rare que les personnages évoluent tous et en même temps dans un même espace. L'étude de Guillaume d'Angleterre nous amène à penser que le moment de la séparation de la famille est primordial. Le départ en mer est synonyme d'éclatement de la cellule familiale, les personnages partant dans trois directions différentes. Du point de vue de l'espace, c'est le point à partir duquel le plan initial se divise en plans parallèles qui redeviendront sécants à la fin du roman. Cet éclatement suppose que le récit passe successivement d'un espace à un autre pour raconter les aventures de chaque personnage. Ainsi sommes nous confrontés à des interventions du narrateur du type :

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« Se tu vas en autrui serviseEt tu es povres, trestout cilQui te verront te tenront vil,Que sage povre, hui est li jors,Tient on por fol en totes cors,Et rice fol tient on a sage:Ensi l'ont mais tot en usage.[19] Il s'agit là d'un discours sur un lieu in absentia, mais selon C.

Ferlampin-Acher, « [il] reproduit un discours sans originalité, dénonçant la dégradation morale de lacour »[20], qui permet donc d'expliquer l'exil de Guillaume : en quittant la cour, il perd son statut social mais abandonne surtout un lieu de dépravation.Le second lieu où parviennent Guillaume et Gratienne est la forêt :Hors de Bistot grande aleüre,U il avoient sejorné,S'ont vers une forest entré.[...][21]Ne tienent voies ne sentiers.Por çou que gens qui les retiegnentD'aucune partie ne viegnent,U par devant u par derriere,Ne tienent voie ne cariere,Mais par le forest se desvoientLa u la plus espesse le voient.[22] Il s'agit d'un lieu obscur et insécure dans l'imaginaire médiéval.

Ainsi, si le roi « s'en va, l'espee çainte »[23], c'est pour être prêt à affronter n'importe quel danger.

Parailleurs, le fait que la forêt soit le point de départ de l'exil n'est pas anodin : dans le roman médiéval, c'est le lieu de la mort symbolique, d'une régression, commel'explique Marie-Luce Chênerie dans Le Chevalier errant dans les romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles[24].

Elle prend pour exemple Le Chevalier auLion, de Chrétien de Troyes, dans lequel Yvain, parvenu dans la forêt, retourne à un état quasi animal, puisqu'il perd la raison et voit son corps se recouvrir de poils.Dans Guillaume d'Angleterre, la forêt est l'endroit où les personnages redeviennent des « sauvechine[s] »[25], c'est-à-dire des bêtes sauvages.

Cet espace est celuid'une régression puisque, après son passage dans la forêt, Guillaume perd son statut de roi aux yeux des gens.

Mais cela passe aussi par le personnage de Gratienne,qui, au sortir de ce lieu hostile, est prise d'une soudaine bestialité aux vers 512 à 560.

En effet, elle est si affamée qu'elle est prête à tuer l'un de ses fils pour lemanger.

La forêt apparaît donc comme le lieu déclencheur d'une « crise momentanée, qui est le prélude d'une renaissance, d'un changement nécessaire à l'accès à unautre but »[26].Le troisième lieu important du roman est la mer.

Cette étendue est inquiétante et fascinante au Moyen-Âge car elle relève du monde inconnu – ou du moins méconnu– comme le montre l'exposition en ligne de la BNF[27] consacrée à ce thème, récurrent dans les arts.

Dans Guillaume d'Angleterre, la mer est un espace qui estinvesti au moment de la séparation de la famille.

Elle est à la fois le moyen de la séparation – les personnages voyagent dans plusieurs bateaux qui les mènent en deslieux différents – et l'espace qui la matérialise.

Comme nous le verrons dans une partie ultérieure, la mer représente également le médium par lequel, imprévisible,Dieu peut se manifester aux hommes, les menant à bon port ou déchaînant les flots.

C'est d'ailleurs par la voie maritime que Guillaume parviendra, guidé par Dieu, àretrouver Gratienne.Parmi les topoï propres aux romans médiévaux, nous pouvons encore en relever quelques uns d'une importance moindre.

Entre autres, nous retrouvons le motif du« gué périlleux » vers la fin du texte[28], lorsque Guillaume chasse et qu'il franchit la rivière alors que Gratienne le lui a interdit.

Nous avons ici une réécriturepositive de ce motif puisque derrière cette rivière à ne pas franchir se trouvent en fait les fils de Guillaume.

Le gué est ici une frontière en laquelle réside la clé duroman.

L'auteur de Guillaume d'Angleterre reprend aussi par exemple le topos du locus amoenus:S'ont tant alé qu'il sont venuAu riu d'une clere fontaine,Dont l'iaue estoit et clere et saine;Et li bos ert entour moult biaxEt l'erbe verde et li ruissiaxCouroit tos par fine gravele,Qui estoit plus luisans et beleQue n'est fins argent esmerés.Une loge voient dalés,Qui estoit faite de novel.[29] Tout y est, le bois, l'herbe verdoyante, l'eau claire...Il ne manque plus qu'une jeune femme ou une fée, que le merveilleux celtique d'un roman arthurien se seraitempressé de faire apparaître.b.

Espace et identitéNous sommes en présence d'un texte qui met en évidence, à plusieurs reprise, un autre topos médiéval: celui de la terre constitutive de l'identité.Au Moyen-Âge, la possession d'un territoire est signe de pouvoir et donne un titre, mais l'on se présente aussi en déclinant son nom et son origine : les deux sontétroitement liés.Dès le titre, dans Guillaume d'Angleterre, cette association apparaît entre le nom du roi et son pays.

Lorsqu'il ne dispose plus de son statut, il se présente au seigneurde Galvaide de cette façon : « On m'apele en ma terre Gui »[30].

Bien qu'il ne soit plus roi, il relie son nom à sa « terre ».

En ce qui concerne Gratienne, son identitépasse également par une forme de localisation.

En effet, lorsqu'elle épouse Gliolas, elle n'accepte ce nouveau statut d'épouse qu'à condition de disposer d'une terre.Mais les personnages les plus représentatifs de ce lien entre espace et identité sont sans doute Lovel et Marin, les fils de Guillaume et Gratienne.

On peut dire dansleur cas que l'espace a déterminé leurs noms.

Lovel a été ainsi appelé car il a été trouvé par les marchands dans la gueule d'un loup, quant à Marin, il doit son nom aufait d'avoir été découvert sur le pont d'un bateau.

Cette façon de nommer une personne voire un personnage de roman est plutôt courante au Moyen-Âge, à l'imaged'un « Orgueilleux de la Lande » ou d'un « Harpin de la Montagne »[31]. Guillaume d'Angleterre, probablement écrit au XIIIe siècle, en ce qui concerne les espaces, compose avec les lieux communs littéraires et culturels propres à sonépoque, tout en proposant une part d'originalité et de réécriture. 3.

La symbolique religieuseDans ce roman longtemps attribué à Chrétien de Troyes, la matière de Bretagne est peu – voire pas – présente.

En tant que réécriture d'une hagiographie, le texte meten avant une imprégnation chrétienne.a.

Des déplacements guidés par DieuDans Guillaume d'Angleterre, l'empreinte chrétienne passe par l'omniprésence de Dieu, qui revêt un rôle important dans lastructuration spatiale du récit.

Il est d'abord celui qui motive l'exil du couple royal, se manifestant à Guillaume par une voix qui s'exprime en ces termes :Rois, va en essil!De par Dieu et de par son filLe te di jou, qu'il le commandeEt de par moi te le commande.[32] Les personnages s'en remettent alors à Dieu pour ce qui est du chemin à prendre : « Or en alons, Diex nos avoit! »[33].

Lorsque, plus tard, Guillaume envisage deprendre la mer, nous pouvons aussi relever, par exemple :S'iront flotant par haute mer. »

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