Les sources de Polyeucte de RACINE
Publié le 15/03/2011
Extrait du document

Comme tout bon chrétien, comme tous les chrétiens de son temps, Corneille lit la vie des saints. Il y trouve la « légende « de saint Polyeucte qui l'émeut et lui paraît riche en éléments dramatiques. Cela suffit pour le mettre en branle. Depuis qu'il est venu à sa conception de la tragédie raisonnable, il se garderait bien d'inventer ses sujets ; quelle signification humaine peut bien avoir une construction de l'imagination ? Il lui faut donc une réalité historique. Mais, ni érudit, ni archéologue, il lit avec simplicité et il lui importe peu que les faits qu'on lui raconte aient été ornés et enrichis d'arabesques oratoires. Il sait bien que l'Eglise à ses débuts a été éprouvée par la persécution, que les martyrs furent nombreux, que leur courage frappa d'admiration le monde païen ; voilà la toile de fond. Ce Polyeucte dont il lit la légende est considéré comme un de ces martyrs authentiques. Il tient donc une réalité historique ; pourquoi irait-il chercher plus loin ?

«
peu près tout des traditions religieuses de l'Orient ; il confond les empereurs Trajan, Dèce et Valérien qui n'ont pasrégné en même temps ; il remplace les faits précis par une rhétorique pieuse.
Les actes paraissent suspects.
Aussidom Ruinart ne les admettra pas dans son recueil.
Au reste, Eusèbe et les historiens ecclésiastiques sont muets surle cas de saint Polyeucte.
Cependant ces actes qui ont un tour oratoire et qui se réfèrent à des documentsantérieurs semblent bien établir une tradition ; nous nous trouverions ici en présence d'un fragment de cettelittérature édifiante qui se lisait dans les églises au jour anniversaire de la mort des martyrs.
Ce qui donne encoreune certaine consistance au nom de Polyeucte ce sont les monuments figurés où nous trouvons son nom : ce sontdes lampes votives d'argile dont une est au musée du Louvre.
Des églises, en Asie, lui étaient dédiées au Ve siècle.On ne peut pas dire que le personnage soit très consistant, mais on a l'impression qu'il est tout de même plus qu'uneombre.
Voyons maintenant les documents écrits.
Au tome II des Acta Sanctorum des Bollandistes (1658), se trouvent deuxrecensions des actes de saint Polyeucte, une que nous connaissons déjà et qui,, est le texte Lippomani-Surius-Mosander que Corneille eut toujours sous les yeux ; l'autre est un texte latin d'un auteur anonyme tiré d'unmanuscrit d'Utrecht.
Manifestement, c'est un résumé.
Aubé a découvert à la Nationale, un texte latin plus ancien etplus consistant qui a servi pour ce résumé.
Par Mosander-Surius, nous remontons jusqu'à Métaphraste.
Celui-ci estun bavard crédule, un amplificateur à outrance.
Sa relation, à la regarder de près, apparaît comme la reproductiond'une homélie dont il aurait eu en main un texte ancien et qu'il aurait un peu échenillée.
Or, Aubé a découvert à laBibliothèque Nationale et publie en appendice à sa dissertation, ce texte grec plus ancien dont Métaphraste arésumé la première partie et reproduit à peu près intégralement la seconde.
C'est un discours édifiant et narratif, unpanégyrique qui devait être prononcé dans certaines églises le jour anniversaire de la mort du martyr.
On peut enfixer la composition à l'année 370 environ, puisqu'il y est fait allusion à la paix définitive de l'Église.
C'est le documentle plus ancien, le document original sur lequel les orateurs et les hagiographes ont travaillé.
Le texte latin découvertpar Aubé à la Nationale n'est que la reproduction à peine modifiée de ce texte grec.
Les actes arméniens de saintPolyeucte qui figurent dans un recueil du XIIe siècle à la Bibliothèque Nationale reproduisent aussi, librement, enl'amplifiant, ce même texte grec du IVe siècle.
Nous sommes donc à la source.
Cette source vient-elle d'un récitantérieur qui serait l'œuvre de Néarque, témoin du martyre ? Nous l'ignorons.
Les affirmations essentielles de ce texte sont bien celles que Corneille a connues par Surius Mosander et dont il afait la base de la tragédie.
Néarque et Polyeucte, liés dune amitié étroite, sont soldats à Mélitène ; Néarque estchrétien et Polyeucte hésite entre le paganisme et le christianisme.
Survient l'édit de Dèce (250) qui ordonne desacrifier aux idoles.
Polyeucte arrache l'édit, brise les idoles, reste insensible aux prières da son beau-père Félix, desa femme Pauline et meurt décapité, Deux incidents particuliers dans cette relation et dans celles qui en dériventdoivent retenir notre attention.
Néarque enseigne à Polyeucte que le baptême n'est pas nécessaire pour gagner lagrâce de Dieu et arriver au ciel ; le sang du martyre, du sacrifice définitif, suffit, comme il a suffi au bon larron.Polyeucte enthousiasmé par cette doctrine se précipite dans le martyre pour gagner le ciel d'un seul coup.
Suivantqu'ils voulaient mettre en relief cette doctrine, ou la dissimuler comme dangereuse, les divers narrateurs qui ontrepris le texte primitif ont atténué ou corsé leurs expressions.
Corneille a évité la difficulté en faisant del'enthousiasme religieux de Polyeucte une conséquence de son baptême f il entrait ainsi dans un domaine plusexploré, celui de la théologie catholique de la grâce.
D'après l'hagiographe grec, Polyeucte déchire l'édit de l'empereur et brise publiquement les statues des dieuxofficiels.
Il se met ainsi ouvertement en état de rébellion contre les lois de l'Empire.
Cette attitude était interdite parl'Église.
Un canon du concile d'Illibéris en 305, dit formellement ; Si quelqu'un brise les idoles et est tué pour ce fait,il ne sera pas inscrit au nombre des martyrs, car nous ne voyons pas dans l'Évangile que les Apôtres aient rien faitde semblable » .
Ce canon consacrait la doctrine constante des Pères qui recommandaient aux chrétiens d'être descitoyens respectueux et fidèles et d'éviter surtout de troubler les cérémonies du culte païen.
Polyeucte a agiautrement et n'est pas blâmé, et Corneille qui connaissait parfaitement la doctrine de l'Église n'en est pas choqué, nimême étonné.
C'est qu'il ne s'est pas borné à lire les actes de saint Polyeucte et qu'il a trouvé dans la vie dessaints et des martyrs des exemples qui lui ont fait comprendre l'attitude de son héros.
Dans tous les recueilsédifiants, on rencontre les mêmes scènes.
L'interrogatoire et les réponses des martyrs sont comme fixés une foispour toutes.
« Ton nom ?...
Chrétien.
» Sacrifie aux dieux!...
Je n'adore qu'un Dieu.
» Quel est ce Dieu ?...
L'unique, le Créateur et le souverain maître de toutes choses.
» Viens à notre temple...
Il est dangereux pour vos idoles que j'aille au temple ».
Il y a dans ces mots une menace.
De la menace on passait parfois aux actes.
La cruauté des persécutions, quiterrorisait les faibles, provoquait chez les enthousiastes une sorte de fièvre, une sorte de « folie », la folie de laCroix, la folie du martyre.
On se précipitait pour en finir, pour gagner le ciel d'un seul coup, par un acte de violence,puisque ce sont les violents qui s'en emparent.
L'Église condamnait cette fièvre.
Mais lorsqu'un héros illustre,remarquable par son courage et sa sainteté, gagnait de cette manière la couronne du martyre, on se gardait bien dele désavouer et on trouvait peur expliquer sa conduite un moyen qui n'était pas un subterfuge.
N'oublions pas quenous sommes assez près encore des manifestations qui accompagnèrent au début de l'Église l'administration desSacrements ; les nouveaux baptisés après avoir reçu le Saint-Esprit, parlaient plusieurs langues et « prophétisaient.
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