Les sources de L'Etranger de Camus
Publié le 13/01/2020
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née de l'existentialisme : à moins d'entretenir des illusions (celles de Roquentin sont dues à l'Histoire), nous devons convenir que le monde n'offre pas un sens donné une fois pour toutes. Il existe, nous existons, c'est tout. Cette constatation nous ouvre une liberté de choix vertigineuse : nous ne sommes que ce que nous décidons d'être.
Camus a rendu compte de La Nausée, le 20 octobre 1938 : « Un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en images. Et dans un bon roman, toute la philosophie est passée dans les images. (...) Il s'agit aujourd'hui (avec La Nausée} d'un roman où cet équilibre est rompu, où la théorie fait du tort à la vie. » C'est en pensant au roman qu'il élabore que Camus juge celui de Sartre : il se donnera pour tâche d'éviter dans L'Étranger tes écueils qu'a rencontrés La Nausée. Si, chez Sartre, l'équilibre est rompu au profit de la « philosophie » et au détriment de la « vie », La Nausée est un roman à thèse (sur le sens que Camus donne à cette expression, voir plus loin, p. 60). En fait, si L'Étranger et la Nausée comptent aujourd'hui parmi les « classiques » du xxe siècle, c'est qu'ils sont mieux que l'illustration de deux philosophies. Tous deux révèlent l'absurdité du monde ; mais Sartre condamne l'homme à cette absurdité, tandis que Camus prône des attitudes (comme la révolte) qui lui permettent d'affirmer sa grandeur. Ecrits l’un et l'autre à la première personne, les deux romans traduisent l'expérience d'une conscience un peu hébétée qui nivelle les êtres et les choses et progresse au travers d'événements majeurs ou mineurs avec la même indifférence. Mais ces deux expériences débouchent sur des conclusions philosophiques opposées.

«
--•KAFKA
Plus probants sont les rapprochements opérés entre L 'Étran
ger et Kafka (écrivain de langue allemande, 1883-19241,
en particulier son roman le plus célèbre, Le Procès (publié
en 19251, dont Camus proposera un résumé en 1943 dans
une étude publiée en appendice du Mythe de Sisyphe :
« Joseph K ...
est accusé.
Mais il ne sait pas de quoi.
Il tient
sans doute à se défendre, mais il ignore pourquoi.
les avo
cats trouvent sa cause difficile.
Entre-temps, il ne néglige pas
d'aimer, de se nourrir ou de lire son journal.
Puis il est jugé.
Mais la salle du tribunal est très sombre.
Il ne comprend pas
grand-chose.
Il suppose seulement qu'il est condamné, mais
à quoi, il se le demande à peine 1 .•.
»
les ressemblances entre les deux œuvres sont flagrantes,
d'autant que Joseph K ...
est, comme Meursault, employé de
bureau ; elles sont mentionnées pour la première fois par Jean
Grenier, ancien professeur de philosophie et ami de Camus.
qui lui écrit après avoir lu son roman sur manuscrit : « L 'Étran
ger très réussi - surtout la deuxième partie malgré l'influence
de Kafka qui me gêne.
» A quoi Camus répond : « Je me suis
demandé si j'avais raison de prendre ce thème du procès.
Il
s'éloignait de Kafka dans mon esprit.
mais rion dans l'appa
rence.
Cependant, il s'agissait là d'une expérience que je con
naissais bien, que j'avais éprouvée avec intensité (vous savez
que j'ai suivi beaucoup de procès et quelques-uns très grands,
en cours d'assises).
Je ne pouvais pas y renoncer au profit
d'une construction quelconque où mon expérience aurait
moins de part.
J'ai donc choisi de risquer le même thème.
Mais pour autant qu'on puisse juger de ses propres influen
ces, les personnages et les épisodes de L 'Étranger sont trop
individualisés, trop "quotidiens" pour risquer de rencontrer
les symboles de Kafka 2.
» A ces arguments on ajoutera une
différence capitale, visible d'après le résumé du Procès: la
société, force obscure, finit chez Kafka par avoir raison de
l'individu ; dans L 'Étranger, Meursault, même s'il est victime
de la sanction, se forge contre la comédie sociale une cons
cience qui autorise la révolte.
1.
A.
Camus, Essais (~d.
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p.
2011.
2.
Cité dans Roger Grenier, Albert Camus.
Soleil et ombre (p.
100-1011.
,..
»
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