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Les sens - Paul ÉLUARD, Le lit la table

Publié le 28/02/2011

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Rien sinon cette clarté La clarté de ce matin Qui te mènera sur terre La clarté de ce matin Une aiguille dans du satin Une graine dans le noir Oeil ouvert sur un trésor Sous les feuilles dans tes paumes Le jeu grisant des aumônes Chaudes Le grand risque des refus Blêmes Sur les routes du hasard Le mur dur perdra ses pierres La clarté de ce matin Dévêtus de tous mes regards tes seins Tous les parfums d'un bouquet De la violette au jasmin En passant par le soleil En passant par la pensée Le bruit de la mer le bruit des galets La mousse et l'odeur de la fleur du bois Le miel l'odeur du pain chaud Duvet des oiseaux nouveaux La clarté de ce matin La flamme qui t'enfanta Qui naît bleue et meurt en herbe Premier regard premier sang Dans un champ de chair touchante Les premiers mots du bonheur Rafraîchissent leur ferveur Sous des voiles de rosée Et le ciel est sur tes lèvres.

Paul ÉLUARD, Le lit la table, 1944.  

Vous ferez de ce poème de Paul Éluard un commentaire composé. Vous analyserez par exemple, les procédés qui font l'unité et la cohérence de ce poème d'amour, et vous pourrez, par une étude précise des images, montrer comment le poète associe, dans une même ferveur, la femme et le monde.

Paul Éluard (1895-1952)

Fils d'un couple heureux. Petits bourgeois qui deviennent aisés. Très bonnes études interrompues par tuberculose pulmonaire ; séjour en sanatorium. Il y connaît Gala, une jolie Russe, qu'il épousera en 1917, après que, apparemment guéri, il soit mobilisé comme infirmier. Après la guerre, rencontre avec le mouvement Dada et T. Tzara, A. Breton, L. Aragon..., puis avec le surréalisme dont le grand maître devient André Breton (Manifeste du surréalisme). Paraissent plusieurs œuvres maîtresses d'Éluard dont Capitale de la douleur (1926), L'amour de la poésie (1929). Gala le quitte pour Dali. Il rencontre puis épouse Nusch, aimée et inspiratrice durant « dix-sept années toujours plus claires «. Après adhésion, puis exclusion (1926 à 1933) du Parti communiste, grande fécondation poétique dont La vie immédaite (1932) ou Les yeux fertiles (1936). Il s'éloigne d'A. Breton et du surréalisme. À la guerre de 40-45, il s'engage dans la Résistance, son poème Liberté et ses nombreux recueils de poèmes « tonifiants « soutiennent le moral des Résistants «. À partir de 1942, il réintègre définitivement le Parti communiste.

« — vue :Notion de lumière, qui lui permet de la voir : « clarté » terme leitmotiv, véritable refrain.

Elle est « clarté » du matin,de « ce matin » privilégié ; mais aussi clarté de la femme qui lui permet, dans l'amour, de créer, de trouver la clartéde la poésie.

Comparer à ce titre un recueil de 1929, L'amour la poésie.

Les yeux de l'amant colorent la femmeprogressivement de cette clarté.

Elle naît « bleue » : début de l'aurore ? ou par écriture automatique : la petitelumière bleutée qui danse dans l'orange de la « flamme » ? ; autre notion de couleur transposée : le « sang » =rouge, notion reliée à la naissance : « accouchement » = donc vie ? ou « défloration » = naissance de l'amoursensuel ?L'amant perçoit la femme visuellement dans les draps (« satin ») par sa longue silhouette brillante comme de l'acier(« aiguille ») ; il ne la voit que peu d'abord, petite tache encore peu distincte dans le « noir » (quatrième couleur) :« une graine ».

Puis il commence à la détailler, la façonner ; insistance du regard, présenté au pluriel : « Dévêtus detous mes regards,/ tes seins »L'absence de ponctuation oblige le lecteur à mieux détacher encore l'objet de ces regards : les » seins » ; et lalenteur sensuelle des regards s'étend dans le décasyllabe perdu au milieu d'un grand nombre de vers impairs (7 piedssurtout : heptasyllabes, et même monosyllabes).

Le rythme renversé multiplie la longueur de l'élément octosyllabique; c'est une sensuelle perception du corps de la femme par la vue.Éblouissement d'ailleurs que cette sensation visuelle lorsqu'elle devient nette dans « la clarté de ce matin » (reprispour la quatrième fois), comme une « flamme » et cette « flamme » est réflection : « flamme » du jour, « flamme »de la femme qui la réfléchit et grâce à la première naît à la vue.

Image très dense. — toucher :Précisé par le symbole de ce sens : les mains, ou plus exactement leur partie la plus douce : les « paumes ».

Notionde don (« aumône ») alliée à l'idée de paumes ouvertes, paumes levées comme dans les offrandes aux dieuxantiques.

Qualité à la fois physique et de générosité morale : l'adjectif « chaudes ».

Noter le vers si court,monosyllabique, qui détache cette notion essentielle.

Autre sensation tactile : « duvet des oiseaux nouveaux » donctout jeunes, couverts d'un duvet de poussin.

La peau et le » duvet » de la femme que l'amant détaille en touchantsont aussi doux que ceux du petit de l'oiseau.

Enfin, autre sensation tactile : « mousse » + « miel » avec allitérationd'un vers sur l'autre de la nasale m.

Cependant « miel » et « mousse » sont de sonorités particulièrementduveteuses, tandis qu'à miel se rattache aussi une fugitive sensation gustative.Pour terminer, la sensation tactile apparaît encore à travers une notion plus sentimentale dans les vers qui parlentde « rafraîchiss[ementj » et de la « rosée » qui l'apporte.— odorat :touché par un « bouquet » de parfums.

Une grande variété (« tous les...

) réunifiée en unité olfactive : « d'unbouquet » justement.

Détaillée à travers diverses fleurs, l'anaphore « en passant par » est insistante.

Ambiguïté desens sur deux de ces fleurs : « soleil », « pensée » qui ont d'autres significations que florales.

Parallélisme parfaitdes deux vers les contenant.

Une autre odeur à travers laquelle la femme est perçue et qui devient la femme, estune odeur matinale, celle du petit déjeuner « pain chaud » et » » contenant implicitement en plus une notiongustative.

La femme est aussi fraîcheur simple, sans apprêt de l'être qui dort, qui ne cherche pas à se donner uneapparence : odeur de « fleur des bois », la plus naturelle mais aussi la plus parfumée, sans aucune sophistication.— l'ouïe :Elle est entrée dans l'ensemble de ces sensations actives : « Le bruit de la mer le bruit des galets »...La régularité du mouvement des vagues est aussi perçue auditivement, car le rythme régulier, le parallélisme parfaitde part et d'autre de la césure centrale constitue une belle harmonie suggestive.

Cependant une odeur est peut-être implicitement contenue dans cette mer. 3.

Second thème : Ferveur de cet amour Ferveur, étymologiquement, vient de la racine latine fervere = bouillir, être brûlant, enflammé, impétueux ; maisprend vite le sens d'une passion brûlante et pleine de vénération.Cependant la ferveur de l'amour ne se circonscrit pas égoïstement seulement sur la femme.

Une association amour-univers donne à la ferveur sa véritable dimension.

C'est toujours à cette communion naturelle qu'ont tendu tous lesefforts d'Éluard.

La jeune femme est aimée à travers la perception du monde.Utilisation des images empruntées à la nature, à ce qui est naturel : « graine », « fleurs », « soleil » (dans sondouble sens).

Toutes les images sont simples, instinctives, fraîches : « mer » et « galets », « oiseaux nouveaux ».Les perceptions sont presque animales.

Ferveur est d'abord élan instinctif. Car elle est amour-vie, de la naissance« La flamme qui t'enfantaQui naît bleue...

» (avec insistance sur l'idée de « naître ») ...

à la mort, elle-même naturelle, présentée en grâcefraîche : « ...

et meurt en herbe », celle des cimetières ? Naissance aussi avec le jour lors du passage de l'état desommeil (demi-mort) à celui d'éveil : « La clarté de ce matinQui te mènera sur terre ».. »

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