LES REVUES LITTÉRAIRES (Histoire de la littérature)
Publié le 01/12/2018
Extrait du document
REVUES LITTÉRAIRES. L’apparition d’une presse périodique est contemporaine de ce qu’Alain Viala appelle la « naissance de l’écrivain ». Il s’agit surtout d’une presse d’« information » et la Gazette (1631-1761) fondée par Renaudot en est le meilleur exemple. La formule plaît et elle offre un terrain de plus aux stratégies sociales et littéraires de ceux qui écrivent et qui ne sont pas forcément des littérateurs ou des écrivains. Politique intérieure et extérieure, nouvelles militaires, faits divers, polémiques religieuses et mondaines, nouvelles des ruelles et des salons ne laissent souvent à la littérature que la portion congrue.
De la gazette à la revue littéraire (1631-1789)
Encore faut-il bien voir que les formules sont diverses et peu stables entre la revue, les « nouvelles » et la gazette : la spécialisation culturelle ne vient qu’en 1665 avec le Journal des savants, paraissant une ou plusieurs fois par mois et fondé par Denis de Sallo que Chapelain a proposé à Colbert. On y trouvera une sorte de revue des livres nouveaux qui en diffuse le contenu et parfois certains extraits dans les cercles cultivés; la partie scientifique y est tout à fait essentielle, et elle croîtra encore au xvme siècle, mais la littérature, la philosophie et l’histoire y ont aussi droit de cité (20 %) : avec des comptes rendus et parfois des polémiques qui amèneront la perte de D. de Sallo, coupable d’avoir déplu aux jésuites et remplacé dès 1666 par son collaborateur, l’abbé Gallois. Malgré cet épisode, la publication a un caractère très sérieux, très « universitaire », pourrait-on dire, qu’elle doit sans doute à ses liens avec les académies. Autres titres, un peu dans la même veine, les Nouvelles de la république des lettres (1684-1689, publ. à Amsterdam; d’autres séries par la suite) de P. Bayle, la Bibliothèque universelle et historique (1686-1689, publ. à Amsterdam; une autre série ensuite) et surtout le Mercure galant (1672-1832, avec des changements de titre) de Donneau de Visé et Thomas Corneille. Beaucoup moins grave et sérieux dans sa tonalité et ses sujets, le Mercure galant, un peu à la manière des gazettes de Loret (la Muse historique, 1652-1665) et de Scarron, collectionne tous les mois et sur 200 pages les anecdotes mondaines, les « pièces galantes », les bouts-rimés, les énigmes, les chansons; quant à la chronique littéraire, elle est volontiers académique (les réceptions des nouveaux élus), mais aussi théâtrale (à propos, par exemple, de Racine et de Molière, très critiqués) et même polémique (le Mercure est du côté de Perrault lors de la querelle des Anciens et des Modernes). La Gazette, le Journal des savants et le Mercure (avec sa succursale lyonnaise,
1677-1695) possèdent, chacun dans leur domaine, un « privilège », ou monopole, entamé de façon variable par une concurrence soit étrangère et importée en France plus ou moins légalement, soit française et alors clandestine ou tolérée par le détenteur du monopole moyennant redevance.
Pour un lecteur moderne, habitué à des catégories plus nettes, ces revues « littéraires » n’en sont pas vraiment : diverses et disparates, elles ne répondent pas, par exemple, à la définition qui se précise dans les premières décennies du xviiie siècle. En ce qui concerne les trois piliers de la presse du siècle précédent, ils subissent des sorts contrastés : la Gazette, devenue de France (1762) par la suite, périclite un peu malgré le soutien de Choi-seul et la direction de Suard et de l’abbé Arnaud (codirecteurs par ailleurs de la Gazette littéraire de l'Europe, 1764-1766). Elle sera finalement rachetée par Panckoucke, le repreneur infatigable qui pourra aussi s’adjuger le Mercure avant d’y installer, entre autres, La Harpe et Marmontel. Mais, entre-temps, le Mercure de France (1724) a pris le relais de son prédécesseur galant dans la formation de l’opinion avertie et mondaine, avec notamment ses 1 500 abonnés — 600 à Paris, 900 en province, plus quelques-uns à l’étranger — qui appartiennent tous à l’élite sociale. Son rôle est donc considérable, par exemple lorsqu’il rend compte des œuvres de Voltaire, de Rousseau ou de la parution de l’Encyclopédie : celle-ci est d’ailleurs un enjeu révélateur pour les revues qui l’attaquent avec violence, comme les très jésuites Mémoires de Trévoux (1712-1764, publiés dans la principauté hors privilège des Dombes appartenant au duc du Maine), ou la défendent à l’instar du Journal encyclopédique (1756-1793) de P. Rousseau. La nouveauté, cependant, apparaît surtout avec des périodiques proprement littéraires dont le nombre n’empêche pas toujours la banalité (cf. l’article Gazette dans l'Encyclopédie, par Voltaire, qui rejoint ici l’opinion souvent exprimée par les vrais auteurs de l’époque). Il n’empêche que les titres nombreux paraissant vers la moitié du siècle sont l’indice d’une demande différente et diversifiée. Si on lit et si l’on publie davantage, plusieurs options sont possibles, sans être exclusives l’une de l’autre : pendant longtemps on n’a eu que la recension érudite (et un peu ennuyeuse) remplacée à présent par l’extrait prépublié, les « bonnes feuilles » ou même la « prière d’insérer » publicitaire. Mais, dans un autre genre, le ton peut être moins commercial et plus polémique dans un certain nombre de revues à l’existence plus brève et souvent plus agitée, gouvernées souvent (si ce n’est rédigées entièrement!) par ces figures pittoresques qui peuplent la presse et la petite presse de l’époque : pigistes impécunieux, mais aussi entrepreneurs courageux qui font parfois fortune, sans parler des chevaliers d’industrie et autres maîtres chanteurs. En l’occurrence et dans tous les cas, il faut connaître les hommes autant que les titres.
Les noms connus tout d’abord : C. Jordan, par exemple, fondateur du Journal de Verdun (1704-1776); Bastide aussi, et Guyot-Desfontaines, l’abbé Desfontaines, l’adversaire de l'Académie et surtout de Voltaire : il fut l’animateur du Nouvelliste du Parnasse (1730-1732) avant de diriger les Observations sur les écrits modernes (1735-1743). Mais d’autres signatures sont plus célèbres : lui aussi adversaire de Voltaire, des philosophes et du libéralisme intellectuel en bloc, ami cependant de Malesherbes, Fréron doit la notoriété à une agressive Année littéraire (1754-1776) succédant aux Lettres sur quelques écrits du temps (1749-1754, publ. à Genève, puis Londres et Nancy). Marivaux rédige, lui, le Spectateur français (1721-1724) avant l'indigent philosophe (1727) et le Cabinet du philosophe (1734), tandis que l’abbé Prévost écrit le Pour et le Contre (1733-1740). Au fur et à mesure que le siècle avance, l’objet proprement littéraire de ces revues semble mieux se définir. On doit cependant noter que les « belles-lettres » se joignent souvent à l’histoire, à la science, à la « philosophie » et à la politique au sens large : les genres se chevauchent, le public est moins spécialisé que curieux de tout, et surtout le débat intellectuel ou littéraire offre certaines libertés à des auteurs que la censure aurait empêchés de publier des articles franchement politiques. D’où une stratégie qui fait de la littérature le masque favori de certaines contestations plus fondamentales. Toujours est-il que l’adjectif se répand de manière révélatrice dans les titres :
«
fur
et à mesure que le siècle avance, l'objet proprement
littéraire de ces revues semble mieux se définir.
On doit
cependant noter que les ((belles-lettres » se joignent sou
vent à 1' histoire, à la science, à la « philosophie » et à la
politique au sens large : les genres se chevauchent, le
public est moins spécialisé que curieux de tout, et surtout
Je débat intellectuel ou littéraire offre certaines libertés
à des auteurs que la censure aurait empêchés de publier
des articles franchement politiques.
D'où une stratégie
qui fait de la littérature le masque favori de certaines
contestations plus fondamentales.
Toujours est-il que
l'adjectif se répand de manière révélatrice dans les
titres : on a, par exemple, le Journal littéraire (1713-
1722, puis 1728, 1737, pub!.
à La Haye), l'Observateur
littéraire (1746) de Marmontel avant celui de l'abbé de
La Porte (1758-1761, publ.
à Amsterdam), les Nouvelles
littéraires de France (1748-1 753, pub!.
à Paris et
Londres), la Correspondance littéraire, philosophique et
critique (1753) de Grimm (1753-1775) puis Meister,
adressée à quelques abonnés choisis et généralement
princiers : y parut en particulier Jacques le Fataliste et
son maître de Diderot ...
Mais il y a aussi le Journal
historique et littéraire (1773, 1788, puis 1789-1794,
publ.
à Luxembourg, puis Maëstricht et Liège), les
Annales politiques, civiles et littéraires du xvm• siècle
(1777 -1792, en plusieurs séries pub!.
à Londres, puis
Bruxelles et Paris) de Linguet, très lues à la Cour et
même dans la famille royale, malgré les ennuis de leur
rédacteur : toute une floraison de périodiques où s' éla
bore une partie de l'esprit du temps.
On peut mentionner
enfin les Petites Affiches de Paris (1745, puis 1751-
17 87, avec des titres divers) et de province ( 1752-176 1)
où les annonces laissent une certaine place à un feuil
leton, d'Aubert par exemple, sur les nouveautés littérai
res.
Le Journal étranger ( 1754-17 58, puis 1760-1762, où
écrivent Prévost, Fréron) est très attentif, comme on l'est
souvent à l'époque, tandis que le Journal de Paris (1777-
1827), premier quotidien français, publie surtout des
articles d'information.
L'âge d'or des revues (1789-1909)
Les événements de la Révolution et de l'Empire relè
guent évidemment au second plan la critique des livres
et 1' actualité étroitement littéraire (qui, il est vrai, était
indissociable des enjeux politiques).
Certaines publica
tions demeurent, mais les préoccupations sont ailleurs :
celles des lecteurs et aussi celles des rédacteurs officiel
lement libres de toute censure, mais en fait soumis à
des pressions, menaces et sanctions de tous ordres.
Des
journaux (très politiques) d'un nouveau genre définissent
d'ailleurs une autre écriture, par exemple chez Marat et
chez Hébert, mais 1' objet de cette écriture est peu sou
vent littéraire.
Le Journal des savants se maintient un
temps, mais on observe surtout la naissance d'une
Décade philosophique (1794-1807) qui deviendra sous
Napoléon une Revue philosophique proche des Idéo
logues et donc assez mal-pensante vis-à-vis de 1 'Empire,
de l'ordre social ou religieux qu'il représente.
Elle sera
fondue ensuite avec le Mercure de Fontanes où écrivent
Chateaubriand, Fiévée et Bonald.
Celui-ci publie égale
ment dans le Journal des débats des frères Bertin où le
critique Geoffroy défend les classiques contre ces nova
teurs irresponsables qui ont préparé la Révolution.
Mais
1 'Empire est surtout une période noire pour la presse
comme il l'est pour l'ensemble des libertés publiques, et
les censeurs travaillent à ce qu'un sujet, même anodin
en apparence, ne dévie pas vers la contestation politique.
Chateaubriand, cependant, y échappe lorsque, dans un
article «littéraire>> du Mercure (4 juillet 1807), il
dénonce la tyrannie et célèbre l'écrivain : (< [ ..
.
] lorsque
tout tremble devant le tyran et qu'il est aussi dangereux d'encourir sa faveur
que de mériter sa disgrâce., l'histo
rien paraît, chargé de la vengeance des peuples.
C'est
en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans
l'Empire>>.
Par la suite, on sait que le paysage littéraire de la
Restauration s'organise pour une bonne part autour des
revues et des rapports de force qu'elles entretiennent
entre elles.
Des Granges, dans son étude de la presse
littéraire de cette période, distingue trois groupes de
publications.
Celles des libéraux (le Mercure, 1815-
1818; le Censeur européen, 1817-1820; la Minerve fran
çaise, 1818-1820 et la Minerve littéraire, 1820-1821;
la Revue encyclopédique, 1819-1833; le Miroz'r, 1821-
1823) défendent un immobilisme littéraire qui compense
paradoxalement leur audace politique.
Les revues des
doctrinaires (les Archives philosophiques, 1817-1818; le
Lycée français, 1819-1820; les Tablettes universelles,
1820-1824; la Revue universelle, 1820; la Revue fran
çaise, 1823-1830, de Guizot) espèrent un renouvellement
littéraire, mais ne trouvent pas ce qu'elles attendaient
dans le romantisme, et particulièrement dans ses atti
tudes politiques, elles aussi paradoxales.
Le romantisme,
en effet, lutte à front renversé : audace littéraire et, au
début du moins, monarchisme fervent.
D'ailleurs, Hugo
écrit dans le Conservateur littéraire ( 181 9-1821 ),
annexe d'une publication dont le titre est déjà un pro
gramme.
Après les Lettres normandes (1817-1820), il y
aura la Muse française (1823-182 4) et les Annales de la
littérature et des arts (1820-1 829), puis le Mercure du
XIX' siècle (1823-1833) qui se convertit au romantisme
vers 1827.
Car les revues et les journaux sont comme
des places qu'on prend, des provinces qu'on cherche à
convertir : ainsi pour le Globe (1824-1 832) qui finit par
venir au romantisme en même temps que les roman
tiques, de leur côté, abandonnent l'ultracisme pour la
défense des libertés.
Reculs, avances stratégiques et tac
tiques, on pourrait aussi suivre ces jeux dans les chro
niques littéraires des journaux : en particulier celle de
Sainte-Beuve au Globe, à la Revue de Paris, à celle des
Deux Mondes, en attendant les lundis du Moniteur et du
Constitutionnel.
Il faut insister sur la qualité de ces publications.
Elles
tient bien sûr à celle des collaborateurs : les trois frères
Hugo pour le Conservateur littéraire, Victor Hugo,
Vigny, Nodier, M.
Desbordes- Val more entre autres pour
la Muse française où ils publient non seulement quel
ques-unes de leurs œuvres, mais aussi des textes cri
tiques : Hugo, par exemple, commente W.
Scott, Lamen
nais, Vigny ou Byron, avec un intérêt pour l'étranger
qui inspire aussi des traductions et des comptes rendus
bibliographiques.
C'est cette même qualité que l'on
retrouvera dans les grandes revues des années 1830-
1840.
Dans l'ordre chronologique, il y a d'abord la
Revue encyclopédique déjà citée où on a pu lire A.
Bar
bier, C.
Delavigne, J.
Janin, Mérimée ...
Quant à Buloz,
on sait qu'il n'a pas fondé la Revue des Deux Mondes
(créée en 1829).
Il en devient cependant la cheville
ouvrière à partir de 1831 et mène alors une politique de
qualité qui lui fait publier des jeunes prometteurs deve
nant bientôt des valeurs sûres : encore Vigny, Hugo,
Chateaubriand et Lamartine, mais aussi Musset, Stendhal
et Mérimée, Nerval plus tard, Sainte-Beuve et G.
Planche
pour la critique.
Sand, aussi et surtout, qui y rencontre
Musset et y publie, malgré ses brouilles avec Buloz, une
part de son œuvre.
imitant l'exemple de Balzac (la Revue
parisienne, 1840), la même Sand s'essaiera également à
fonder une revue (la Revue indépendante, 1841-1845,
avec P.
Leroux et L.
Viardot).
Créée en 1829, la revue
la Mode (1829-1 854) d'É.
de Girardin (directeur aussi
du Voleur (1828-1842, à partir de textes déjà publiés)
tient plus que ne promet son titre.
Gavarni y dessine et
l'on y lit la signature de Dumas, d'E.
Sue, de G.
Sand, de.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- GENRES LITTÉRAIRES (les) (Histoire de la littérature)
- ÉTATS DU MONDE (revues des) (Histoire de la littérature)
- ÉCOLES LITTÉRAIRES (Histoire de la littérature)
- Les grands prix littéraires (Histoire de la littérature)
- « Face à l'histoire, et à la prise de possession du cosmos par la science et la technologie modernes, la littérature paraît désarmée. Les plus belles œuvres du monde n'empêchent pas la faim, la violence et la guerre, elles n'effacent pas l'empreinte de la misère humaine. Mais, privé de l'art, l'homme serait amputé de sa meilleure part. » Vos rencontres avec de «belles œuvres», littéraires et artistiques, vous conduisent-elles à partager sans réserve cette opinion d'un critique contempo