Les personnages historiques dans les Mémoires de guerre de De Gaulle

« empire et restaurer : « l’antique primauté de Rome » tandis qu’Hitler y voyait une « entreprise » basée sur la faiblesse des démocraties, le crime, le racisme, letotalitarisme et surtout sur la « bassesse des hommes ».

Ils sont aussi ceux qui ont imposé une dictature à leur pays.Néanmoins, il y a des divergences entre ces deux personnalités.

De Gaulle met en effet un point d’honneur à rendre le portrait d’Hitler plus sombre et plus tragique.Tout d’abord, De Gaulle présente Mussolini comme une : « grande vedette de la scène internationale », ce qui est loin d’être un compliment puisqu’il voit dans lerégime de Mussolini une sorte de théâtre « d’apparences » « par le moyen des cortèges, des faisceaux et des licteurs ».

Il ajoute qu’il s’agit d’un homme : « aux largesvisées et aux gestes dramatiques ».Mais s’il parle de : « gestes dramatiques » pour Mussolini, De Gaulle montre que l’ « entreprise » d’Hitler est : « surhumaine et inhumaine ».

Il utilise d’ailleursdifférentes comparaisons pour définir Hitler.

De Gaulle le compare ainsi au « Titan », mais aussi à Prométhée, qui s’était jetée : « au gouffre » pour échapper à laréalité, qui est une référence au suicide d’Hitler pour ne pas subir les conséquences de ses actes, et encore à « Moloch » qui était, dans la mythologie, un démonsacrifiant des nouveaux nés en les jetant dans un brasier, ce qui est mis en relation avec les victimes des camps d’extermination. B) Portrait de Staline. Du 2 au 10 décembre 1944, De Gaulle est à Moscou pour négocier avec Staline un traité d’assistance mutuelle (p.77-79).

Le portrait, tantôt statique, tantôt en action,qu’il brosse du maître de la Russie est celui d’un dictateur. Le portrait débute par le caractère le plus saillant de Staline : sa « volonté de puissance » (p.78).

De là découle tout son comportement : l’absence de toute « pitié » et« sincérité », et une cruauté constante, chaque homme étant « un obstacle ou un danger » à éliminer sans hésitation.

Aussi le champ lexical de la dissimulation est-ilpermanent.

Les formules et images en sont fortes : «communiste habillé maréchal, dictateur tapi dans sa ruse ».

Au total, c’est bien la figure d’un « despote » qui sedessine, n’hésitant pas pour parvenir à ses fins à imposer à son pays « une dépense inouïe de souffrances et de pertes humaines » (p.78).Le mémorialiste souligne pourtant le « charme ténébreux » (p.79) du personnage.

Cette fascination, si paradoxale en apparence, tient à l’ « âpre » passion qu’il anime.Staline est un patriote obsédé par la grandeur de la Russie, avec laquelle il forme quelque sorte de couple terrifiant.

Sa « volonté de puissance » rejoint en effet les« rêves de sa patrie » (p.78).

Enfin, chez lui, grandeur, simplicité et familiarité se mélangent pour en faire un être hors du commun.

C’est un « conquérant à l’airbonhomme » (p.78), prêt à partager jusqu’à sa « dernière soupe » et capable, quand il a obtenu ce qu’il voulait, de retourner s’asseoir seul à une table et de se remettreà manger (p.99). Ce portrait est placé en ouverture du récit des négociations, c’est qu’il en explique le déroulement.

De statique, il devient ainsi animé, comme en mouvement.

La« ruse » de Staline apparaît dans le débat sur le gouvernement et les futures frontières de la Pologne (p.83-85).

Sa « brutalité », empreinte « de haine et de mépris »,transparaît dans ses propos à l’égard des Polonais de Londres (p.84) et dans le chantage exercé sur De Gaulle (la signature du traité contre la reconnaissance du traitéde Lublin (p.88-89)).

Sa bonhomie est dans son apparence « rustique », dans son désir d’afficher « une culture rudimentaire » et un « fruste bon sens » (p.93).La scène des toasts (p.93-94), que De Gaulle qualifie de « scène tragi-comédie » (p.95), est à cet égard exemplaire.

Staline boit à la santé des trente ministres,généraux et collaborateurs qui l’entourent.

Ses gestes sont théâtraux : il « point[e] le doigt vers l’un des assistants ».

Mais l’emphase du propos (« Je te salue… »)s’accompagne toujours de menaces (« Sinon, il sera pendu »).

Ceux à qui s’adressent ces toasts restent « rigides » et « silencieux » (p.94).

La scène vise aussi àimpressionner la délégation française, en faisant « étalage de la force soviétique et de la domination de celui qui en dispose » (p.95).

Loin d’être un divertissement ouun moment de détente, la scène obéit à un calcul politique du dictateur.Le dictateur omnipotent règne sur l’épisode, comme il règne sur la Russie asservie.

Le récit de la semaine moscovite s’ouvre ainsi sur son portrait, écrit dans lagrande tradition des moralistes français au XVIIe siècle.

A l’instar de La Bruyère qui définit Théophile, un personnage des Caractères (1688), par « son espritd’intrigue, de médiation, et de manège », l’auteur du Salut recourt au rythme ternaire pour présenter Staline en qui tout est « manœuvre, méfiance et obstination »(p.78). III) L’étoffe d’un héros.A) Mise en avant de De Gaulle. Les portraits faits par De Gaulle tendent à le représenter lui aussi, la plupart du temps en montrant la différenciation entre ceux qu’il décrit et lui-même et il n’oubliepas de se mettre en valeur. Ainsi, comme nous l’avions dit précédemment, il parvient à montrer dans le portrait du Maréchal sa supériorité, face à ce Maréchal Pétain qui est en plein déclin etn’est plus capable de sauver la France, contrairement à lui qui est encore là et fait de son mieux pour redonner un certain prestige à la France. Le portrait de Churchill est lui aussi un moyen pour De Gaulle de montrer ce qu’il vaut.

En effet, il se défend d’avoir su jouer un rôle important pour la France alorsque, contrairement à Churchill qui était aidé et avait de plus grands moyens, il était, lui, seul face à la situation.

Il dit alors que Churchill se trouvait : « lui, investi parles instances régulières de l’État, revêtu de toute la puissance et pourvu de tous les leviers de l’autorité légale, mis à la tête d’un peuple unanime, d’un territoire intact,d’un vaste Empire, d’armées redoutables », en opposition à De Gaulle qui était démunit de tout cela.Et, bien sur, les portraits des trois dictateurs sont là pour montrer la dureté des personnages et leurs actes négatifs qui ont conduits leur pays à la décadence.

Il se metdonc en totale opposition avec leurs agissements et les critique fortement, montrant qu’il n’est pas en accord avec leurs idées et qu’il veut une France meilleure.Les portraits sont finalement un moyen pour De Gaulle de se mettre en avant, mais aussi de montrer son analyse des personnages et de ce fait son pouvoir deréflexion. B) Utilisation de la littérature à son avantage. Lorsque De Gaulle écrit ses Mémoires de guerre, en découle des qualités traditionnellement attribuées aux héros.

Ainsi, ses multiples déplacements en province, surle front et à l’étranger donne au lecteur un sentiment d’omniprésence.De la même manière, lorsqu’il clame ne pouvant se « bercer d’illusions » (p.10), ou alors que rien ne le surprend, pas même « l’incident fâcheux » de la défensiveallemande dans les Ardennes (p.172), ni « le déferlement des passions nationalistes en Asie » (p.197), ou encore le renvoi de Churchill par les Anglais (p.244) et les« discordances » entre lui et les partis politiques, le général peint un homme emprunt de lucidité ayant le sens de l’anticipation.

De plus s’ajoute le fait qu’il affirmequ’en moins de vingt mois de gouvernement, la France s’est relevée de l’épisode chaotique de cette seconde guerre mondiale.En parlant de lui à la troisième personne du singulier, le mémorialiste transforme le général « De Gaulle » en un personnage officiel et légendaire.

Comme il l’énonce,partout sur son passage, son « apparition » provoque l’adhésion populaire (p.20).

Le regard d’autrui le transforme en un être « quelque peu fabuleux » dont on attendles « miracles » (p.10).Cette héroïsation progressive du personnage s’accompagne d’une certaine idéalisation puisque De Gaulle se présente comme étant le « champion de la France »(p.285), soit comme le défenseur dévoué pour laquelle il est prêt à sacrifier sa vie.

Le général dépeint l’image d’un champion comme l’ont été les grands capitainesou les héros des chansons.Tout héros n’est pas épique, cependant en se décrivant tel, De Gaulle personnifie la Résistance.

Il devient celui qui a « rencontré l’Histoire » (p.343) et qui a bien« mérité la patrie » (p.326). Grâce à la littérature et aux tournures de phrases qu’il utilise, Charles De Gaulle décrit les personnages historiques et trouve le moyen de se mettre en avant et demontrer ses côtés positifs.

Les portraits sont donc un moyen pour lui de flatter son ego de façon subtile, tout en discréditant ses adversaires par la révélation de leursactes les plus négatifs.

Il met donc à contribution son talent d’écriture pour montrer sa capacité à analyser la personnalité des autres personnages historiques de sonépoque.. »