LES PERSONNAGES FÉMININS CHEZ STENDHAL
Publié le 20/01/2013
Extrait du document

les brillants du plus beau coeur féminin. Le vieux chanoine, qu'elle a séduit, met à Novarre, petite ville piémontaise, Fabrice sous la
protection d'un curé. Ce curé arrête les recherches de la police par ce mot : « C'est un cadet mécontent de ne pas être aîné. «[165]
Au moment où la Gina, qui avait rêvé que Fabrice serait aide-de-camp de Napoléon, voit Napoléon à Sainte-Hélène, elle comprend
que Fabrice, inscrit au livre noir de la police milanaise,
est à jamais perdu pour elle. Pendant les incertitudes qui régnèrent en Europe au moment de la bataille de Waterloo, la Gina a fait
la connaissance du comte Mosca de la Rovere, le ministre du fameux prince de Parme, Ranuce- Ernest IV. [166]
La duchesse sera toujours la femme du grand diplomate, à qui elle n'aura pas fait d'autre infidélité que celle des mouvements
passionnés de son coeur pour cette jeune idole; elle ne trompera pas l'homme de génie, elle le rendra toujours heureux et fier; elle
lui fera connaître ses moindres émotions, il en ressentira les plus horribles fureurs de la jalousie, et n'aura jamais lieu de se
plaindre. La duchesse sera franche, naïve, sublime, résignée, remuée comme un drame de Shakespeare, belle comme la poésie,
et le lecteur le plus sévère n'aura rien à redire.
La duchesse est une de ces magnifiques statues qui font tout à la fois admirer l'art et maudire la nature avare de pareils
modèles.[167] La Gina restera comme une statue
sublime: ce ne sera ni la Vénus de Milo, ni la Vénus de Medici; ce sera la Diane avec la volupté de la Vénus, avec la suavité des
vierges de Raphaël et le mouvement de la passion italienne. La duchesse n'a surtout rien de français. au moment que tout sourit à
la duchesse, quand elle s'amuse de cette existence de cour où la tempête est toujours à craindre, lorsqu'elle est le plus tendrement
attachée au comte, qui, littéralement, est fou de bonheur; quand il a la patente et les honneurs de premier ministre, lesquels
approchent fort de ceux que l'on rend au souverain lui-même, elle lui dit un jour: „Et Fabrice?”
Après deux mois de discussions, la duchesse, battue sur tous les points par les observations du comte, et désespérée de l'état
précaire d'un cadet milanais, dit un jour cette profonde parole d'Italienne à son ami: „Reprouvez-moi que toute autre carrière est
impossible pour Fabrice.”[168] La duchesse, sensible à la gloire, ne voit pas d'autre moyen de salut ici-bas, pour son cher Fabrice,
que l'Eglise et ses hautes dignités, car l'avenir de l'Italie est à Rome, et pas ailleurs. Chez cette grande femme, il y a, comme chez
les grands politiques, un moment d'incertitude, d'hésitation devant un plan; mais elle ne revient jamais sur ses résolutions. La
duchesse a toujours raison de vouloir ce qu'elle a voulu.[169] La persistance, cette qualité de son caractère impérieux, imprime une
sorte de terrible à toutes les scènes
de drame. Chez cette grande femme, il y a, comme chez les grands politiques, un moment d'incertitude, d'hésitation devant un
plan; mais elle ne revient jamais sur ses résolutions.[170]
Au fond des événements commence la passion ingénue de la duchesse pour Fabrice et les tourments de Mosca. Fabrice est un
diamant qui n'a rien perdu en se laissant polir.[171] La Gina, qui l'avait envoyé à Naples avec la tournure d'un hardi casse-cou, dont
la cravache semblait être une partie inhérente de la personne, lui voit un air noble et assuré devant les étrangers, et dans le
particulier le même feu de la jeunesse.
La duchesse Sanseverina est l’inverse de la jeune Clélia. C’est la duchesse qui est la vraie beauté, mais cela n’est pas
nécessairement mieux. Elle a « un peu trop de la beauté connue de l’idéal «[172]. Or, le fait qu’elle a « un peu trop « la fait sembler
ostentatoire. Son esprit « sémillante « et « pétillante « soutien ceux-ci. Toutefois, c’est le mot en italique « connue «, qui ajoute
signifiance à la phrase. On doit questionner le rôle de beauté.
Le texte semble à indiquer, que la beauté de Clélia excède cela de la duchesse Sanseverina dans certaines façons. Le narrateur
fait l’allusion aux Hérodiades de Léonard de Vinci pour expliquer mieux le comportement de la duchesse comme avoir « d’esprit «
mais aussi, « de malice «. Tandis que Clélia « se montrait clame et lente à s’émouvoir «, la duchesse Sanseverina

«
portrait on se brouille avec moi », a écrit Beyle Vie de Henry Brulard.
[1]
Au héros principal, Stendhal va jusqu’à donner certains de ses traits physiques.
Car Julien ressemble vaguement à Antoine
Berthet tel que nous l’ont dépeint les jurés du procès, mais il ressemble encore plus à Stendhal, et même à Stendhal enfant, qui lui
même était « Chérubin » à la beauté près, comme il le dit dans la Vie de Brulard : « J ‘avais les cheveux noirs très frisés et les
yeux dont le feu faisait peur ».
Auteur et personnage ont connu de même les rudesses d’une enfance incomprise et douloureuse,
car Verrières et la France Comté c’est,
sans aucun doute, Grenoble el la Dauphiné vers 1790.
Ainsi Stendhal peut -il comprendre, au besoin même insuffler à son héros
cette haine de la mesquinerie d’une petite ville de province, sensibilité qu’il apprend rapidement à refouler sous les dehors de
l’hypocrisie.
Stendhal et Julien ont connu ausi les mêmes admirations, et ce n’est pas pour rien que le livre de chevet de notre
héros et précisément le Mémorial de Sainte-Hélène !.
Un détail dicté même d‘ une précision particulièrement dirécte : Julien sous
dictée de Mathilde de La Mole écrit cela avec deux l, comme le fit Stendhal auprès de son cousin Daru !
Aussi ne saurait -on bien distinguer qui, de l’auteur ou du personnage, peut prendre la parole devant les jurés de Besançon
pour clamer son mépris d’une société qui ne peut que le condamner sans le comprendre.
Mais Julien Sorel est là pour précisement servir de voix à l’auteur, qui peut modeler à son gré son héros, Julien étant doué
de tout ce que la vie et la nature ont refusé à son créateur.
Ainsi Stendahl, grâce à Julien Sorel, prend-il une revanche éclatante sur
Henry Beyle.
Non seulement Julien est paré de la grâce physique qui manquait à Stendhal, mais encore il est comblé par l’amour
tendre ou passionné des deux héroïnes qui « encadrent » notre héros.
Henery Beyle, l’amoureux disgracié, fait place à Julien
amant heureux de Mme de Rênal, puis de Mathilde de La Mole.
Aussi
bine a-t-il puisé également dans ses souvenirs personnels et même empreunte à certains de ses maîtresses des traits de l’une et
de l ‘autre.
Il est facile de donner des « clefs » au roman et de retrouver surtout chez Mathilde de La Mole le caractère fougueux de
Giulia Riveri, maîtresse de Stendhal au moment où il écrit le Rouge.
Les souvenirs personnels, la matière vivante s’est insérée dans le cadre du fait divers pour faire des personnages du Rouge
des êtres doués d’une vie propre et non de pâles figures romanesques dont l’état civil est issu de la Gazette des tribunaux.
Il paraît un peu trop schématique d’opposer les deux héroïnes comme de distinguer l’ « amour de coeur ».
En fait, dans cette
intrigue parallèle, les rôles semblent avoir changé : c’est Julien qui a séduit Mme de Rênal, c‘est Mathilde qui a séduit Julien,
comme celle-ci l’écrira à son frère dans son plaidoyer final.
Cependant, portée à son sommet, l’ascension de notre plébéien va subir
une chute brutale, conformément aux donnés du fait diver, et l’intérêt du roman n’est pas dans cette retombée brutale qui va
conduire notre héros à l’échafaud, mais dans ce dernier palier, presque hors du temps, que Julien va connaître dans sa cellule de
prison.
Cela va lui permettre de se retrouver lui -même, de dégager l’essentiel de l’accessoire et, à l’approche de la mort, de nous
montre toutes les résonances stendhaliens du personnage qu’on ne saurait
confondre, même si les faits sont semblables, avec un quelquonque héros de faits divers.
Mathilde de La Mole est bien un caractère aristocratique, tandis que Mme de Rênal est le caractère même de la Française
amoureuse, quoiqu'elle se rapproche parfois de l'admirable Clélia Conti, de la Chartreuse de Parme.
Quant à La Chartreuse de Parme quatre créations romanesques dominent l’ouevre.
Deux figures féminines : Gina del Dongo,
devenue comtesse Pietranera, puis par raison amoureuse et politique, duchesse Sanseverina et enfin comtesse Mosca, Clélia
Conti, résignée, pour sauver Fabrice sans trahir son nom, à accepter d’être marquise Crescenzi, puis la Clélia « nocturne », qui
recevera Fabrice jusqu’à la mort de Sandrino.
Deux figures masculines s’opposent, mais aussi se complètent : Fabrice et le comte
Mosca.[2]
Stendhal nous avait renseignés sur sa démarche précise de romancier : « Je prends un personnage de moi bien connu, je lui
laisse ses habitudes qu’il a contractées dans l’art d’aller tous matins à la chasse au bonheur, ensuite je lui donne plus d’esprit ».
Fabrice, en effet, le héros principal, peut s ‘identifier à Alexandre Farnèse de la cronique italienne qui doit servir de schéma au
« romanzetto » projeté pour la Chartreuse.
De son modèle italien venu du XVI e siècle, il a gardé les instincts violents et l’énergie qui le mènent au crime comme à la passion,
l ‘un et l’autre n’étant que
la même manifestation d’une authentique « virtu » à l’italien, que Stendhal retrouve à l’heure du Risorgimento et des carbonari dans
l’Italie du XIX e siècle.
Mais Fabrice, c ‘est également Stendhal, sinon celui que fut Henry Beyle, du moins celui qu’il aurait rêvé
d’être : superbe revanche du romancier par sa création romanesque, le jeune et beau Fabrice est, plus encore que Julien Sorel,
paré de toutes séductions :comblé par la nature, comblé par la passion , il emprunte à ses origines italiennes ce rare brio, ce
dilettantisme élégant qui le fait traverser, en se jouant, les épisodes les plus dangereux de son existence romanesque : heureux
Fabrice qui sème des sequins sur le toit se sa prison alors qu’il s’en évade, à tel point que les gardiens, médusés, le prennent pour
le diable, prend le temps de corriger les fautes d’ortographie des sonnets de Ludovic, même si toutes les polices des différents
États sont à ses trousses, qui coupe le jeune prince au whist avec une indifférence superbe, car sa propre hiérarchie des valeurs
diffère profondement des mesquineries qui agitent les courtisans médusés.
Or, si Fabrice incarne dans la Chartreuse , par une sorte de descendence spirituelle, le rêve de compensation de l’auteur, il n’est
pas le seul héros principal à refléter les traits idéaux de Stendhal.
Par une sorte de dédoublement romanesque du créateur signalée
à la fois par plusieurs critiques, Stendhal se retrouve.
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