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LES PERSONNAGES DE SECOND PLAN ET LES FIGURES DE FEMMES DANS LE ROUGE ET LE NOIR DE STENDHAL

Publié le 14/03/2011

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stendhal

Stendhal a mis en scène dans son livre plus de quarante personnages. Tous, même ceux de second plan, sont si nettement individualisés que nous ne saurions les confondre.    Qui confondrait l'abbé Chélan et l'abbé Castanède, l'abbé Pirard et l'abbé de Frilair, M. de Rénal et M. Valenod, Mme de La Môle et Mme de Fervacques, le comte Norbert et le chevalier de Beauvoisis, etc., etc. ?    je ne vois d'exception à faire que pour les mystérieux conspirateurs qui se rassemblent un soir chez M. de La Môle, et les trois ou quatre jeunes gens, Croisenois, Luz ou Caylus, qui forment la petite cour de Mathilde : ils sont insignifiants et en ont le droit, n'étant rien d'autre que des mondains.

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« Mais que le jeu puisse aller jusqu'où elle le pousse, jusqu'à l'abandon de toute dignité et de toute pudeur, jusqu'àdonner des rendez-vous la nuit dans sa chambre, jusqu'à tutoyer Julien dès qu'il entre, et à se livrer à lui pour sedonner le lendemain la jouissance raffinée de le traiter comme un inconnu ou plutôt comme un valet, c'est ce quetout le talent de Stendhal ne nous fera pas croire. Il nous dit, il est vrai, qu'en même temps qu'orgueilleuse elle est romanesque.

Elle l'est même jusqu'à l'extravagance,et elle tiendrait sa place parmi les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin.

Elle vit hors du présent, hors du réel;elle joue un rôle.

Entichée de son nom et de sa race, éprise d'un lointain ancêtre dont la vie a été un magnifique ettragique roman d'amour, elle veut prendre modèle sur lui.

Elle n'est pas une femme — et encore moins une jeune fille— de son temps et de son pays; elle est une héroïne du XVIe siècle, et plus italienne que française, pour qui rien necompte que les passions violentes, les coups d'audace, les héroïques défis à la morale ou à l'opinion, l'énergie.Autant dire qu'elle n'est pas la fille du marquis de La Môle, mais celle de Stendhal qui a incarné en elle quelques-unes de ses manies intellectuelles.

« Nous l'avouons, nous aimons Mathilde...

» Elle est sa fille bien-aimée, — et laseule de toutes ses créations qui soit entièrement factice. Quelle contraste entre elle et Mme de Rénal ! Celle-ci n'est qu'instincts, doux et tendres instincts.

Point d'être plus simple, plus ingénument naturel.

Uneprovinciale élevée au couvent, puis mariée à un hobereau vaniteux et sot, à qui elle a toujours été fidèle, mais quilui parle d'un ton de supériorité dédaigneuse, et qui pour elle n'est au fond qu'un étranger.

Pieuse, foncièrementhonnête, d'une douceur « angélique », elle n'a presque rien lu, ne sait presque rien de la vie, ne fait pas de vainsrêves, et consacre tout son temps aux soins du ménage, à la prière et à ses enfants.

Jamais aucune tentationmauvaise n'est venue l'assaillir; quand Valenod a essayé de faire le galant, elle s'est écartée avec dégoût. Comment se défierait-elle de la sympathie que lui inspire Julien dès son entrée dans la maison ? Sympathie qui n'estd'abord que de la compassion pour son indigence, pour son isolement, pour les petites humiliations que lui inflige celourdaud de M.

de Rénal; sympathie qui devient peu à peu de l'admiration en le voyant aussi instruit qu'elle estignorante, et de la reconnaissance à mesure que ses petits garçons profitent de ses leçons et s'attachent à lui.

Ellene se doute pas que déjà elle l'aime, et de toute la force d'un cœur jeune qui n'a jamais connu l'amour, de toute laforce de l'instinct.

Le bonheur fou qu'elle éprouve à le voir repousser les avances d'Elisa, lui ouvre enfin les yeux;elle comprend qu'elle l'aime, mais ne s'en effraie pas.

L'aimer en silence, sans qu'il en sache rien, est-ce une faute ?est-ce en quoi que ce soit faire tort à son mari ? Elle est si naïve qu'elle se croît bien sûre de ne pouvoir êtredevinée, alors qu'à son insu la douceur de ses regards, le tremblement de sa voix, l involontaire pression de sonbras, tout trahit le cher secret aux yeux attentifs et méchants de Julien.

Presque aussi inexpérimenté qu'elle, maiscent fois plus intelligent, constamment préoccupé de se venger de sa condition inférieure, combien il a peu de peineà faire d'elle sa dupe et sa proie ! Elle ne croit pas au mal; elle ne songe même pas à pousser le verrou, lorsqu'il luidit qu'il entrera dans sa chambre à deux heures du matin.

Et désormais, lui-même s'étant pris à ce jeu cruel, lui-même l'aimant autant qu'elle l'aime, elle est à lui de toute son âme.

A peine a-t-elle un remords; son seul tourmentest de se savoir plus âgée que lui de dix ans et de craindre qu'il ne se détache vite.

La maladie de ses enfants, quiavait failli l'arracher de ses bras, ne fait que resserrer le lien. Dira-t-on que la ruse à laquelle elle a recours à l'heure du danger, — cette lettre anonyme si adroitement rédigéequ'elle dicte à Julien pour parer l'attaque de Valenod et détourner sur celui-ci toute la colère de M.

de Rénal —,dira-t-on que c'est plus qu'il n'en faut pour la dépoétiser totalement à nos yeux ? En vérité, Stendhal n'a nullementcherché à faire d'elle une figure poétique ; il a voulu faire d'elle une femme; et parce qu'elle en est une, avec touteson honnêteté native, toute son innocence de cœur, dès l'instant que son amour est en péril, elle trouvera le moyende se défendre.

La meilleure, dans la même situation, en ferait autant, et fût-ce une sotte, se montrerait plus fineque tous les hommes coalisés contre elle.

Ceci n'empêche pas d'ailleurs que Julien, à la voir mystifier ainsi M.

deRénal, ne soit tout prêt — par esprit sinon de corps, du moins de sexe — de lui en vouloir de sa finesse, et tout basde prendre contre elle le parti du mari; les deux choses sont également humaines.

Mais pourrait-il ne pas toutpardonner à une maîtresse si complètement à lui, si dévouée, si maternelle ? Rien de calculé en elle, rien d apprêtédans son langage; tout ce qu'elle lui dit vient du cœur, et si elle a de la grâce, c'est sans le savoir ni le vouloir.Souvenez-vous de ce matin à Verrières où, le surprenant dans son sommeil, elle le réveille en lui posant ses deuxmains sur les yeux.

A son départ pour le séminaire, il s'étonne qu'elle lui parle à peine, qu'au lieu de l'accabler decaresses en versant des larmes, elle soit là presque silencieuse, inerte, demi-morte : c'est qu'il n'aime pas commeelle; il ne sait pas que pour ceux qui aiment véritablement et que la vie sépare, l'adieu est un anéantissement; lesdernières heures de tête à tête sont déjà de la mort, et la séparation commence avant d'être un fait accompli.Quand plus tard elle le revoit à l'improviste, à son retour de Besançon, elle perd la tête; elle commet les piresimprudences, elle veut le retenir trente-six heures dans sa chambre, elle s'expose vingt fois à donner l'éveil auxdomestiques et à son mari, et en revenant auprès de lui le soir, elle ne se rappelle même plus que depuis le matin lespoches de son tablier sont pleines de pain qu'elle lui destinait; c'est lui qui s'en aperçoit, en riant de son étourderie. Lui parti, elle ne vit plus, elle est sans force, sans âme.

Elle essaie de se réfugier dans la religion, tombe sous ladomination d'un mauvais prêtre, et se laisse dicter par lui l'abominable lettre à M.

de La Môle sans en avoirseulement soupçonné l'intention perfide.

Il faudra le coup de pistolet, non pas pour la tuer, mais au contraire pour larappeler à la vie.

Elle bénira la blessure qui lui vient de Julien et, ayant acquis la certitude qu'il l'aimait encore, dèsqu'il sera mort, elle mourra. Est-ce là une idéalisation romantique de l'adultère, comme il y en avait tant en ces années-là dans le roman et au. »

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