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LES ORIGINES DE LA LÉGENDE DE ROLAND

Publié le 02/05/2011

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En l'année 778, Charlemagne, répondant aux sollicitations de quelques princes sarrasins d'Espagne, avait franchi les Pyrénées. Une partie de ses troupes, passant par les cols de l'est, s'était emparée de Gérone, en Catalogne; une autre partie, qu'il commandait en personne, était passée par les cols du pays basque et s'était emparée de Pampelune, en Navarre ; puis les deux parties de l'armée s'étaient réunies devant Saragosse, dont elles avaient fait le siège mais sans succès. Un soulèvement des Saxons mit Charlemagne dans l'obligation de renoncer à l'entreprise. Il prit le chemin du retour ; et comme, après avoir rasé les murailles de Pampelune, il repassait les Pyrénées, un échec sensible lui fut infligé, le 15 août, par des pillards du pays basque : ses convois furent enlevés et ses troupes d'arrière-garde furent taillées en pièces. Parmi les différents textes qui nous ont conservé le souvenir de ces événements, il en est un qui mérite d'être cité intégralement en raison des détails qu'il fournit, et qu'il est seul à fournir, sur l'agression des montagnards basques. C'est une page de la Vie de Charlemagne, qui fut composée en latin par Eginhard, vingt années au plus tard après la mort de l'empereur.

« épopées — composés au lendemain de la bataille des Pyrénées où périt Roland, il n'existe pas la moindre trace.

Pasun poème, pas un fragment de poème, et, il faut l'ajouter, nulle allusion, chez aucun auteur, à aucun poème.Car c'est une lourde méprise d'invoquer, comme on l'a fait, le témoignage de la Chanson de Roland elle-même.Roland, au moment où la rescousse du roi Marsille marque à Roncevaux le 'début d'une nouvelle phase de la bataille,s'adresse à Olivier et l'exhorte à bien frapper.« Nos épées sont glorieuses n, lui dit-il à peu près, ajoutant : « Male chançun n'en deit estre cantée ! Et l'on a cru pouvoir donner ces paroles pour la preuve qu'au temps où vivait le héros, l'idée paraissait naturelle desonger, au milieu même de la bataille, à la présence de quelque poète-guerrier, qui, « les yeux grands ouverts,s'enfonçait clans la mémoire les événements dont il était le témoin » et qui, plus tard, les chanterait.

Mais il est tropévident que cette interprétation ne se défend point.

Car à qui attribuer cette conception de chanteurs qui seseraient tenus, pour les publier, à l'affût des combats du jour ? A Roland ? Certainement non.

Les paroles qui lui sontprêtées dans le poème ne sont pas des paroles authentiques.

Elles n'ont pas la valeur d'un témoignage.

Elles n'ontpas force de preuve pour l'année 778.

Elles ne sont imputables qu'à l'auteur de l'épopée qui les a imaginées et quivivait, lui, en un temps à déterminer.Un texte plus digne d'attention est celui d'un historien, auteur d'une Vie de Louis le Pieux, qu'on est convenud'appeler l'Astronome.

Cet écrivain, qui composait peu de temps après l'année 840, déclare, en parlant des reverssubis par Charlemagne à son retour d'Espagne, que les noms des guerriers tombés ce jour-là étaient connus et qu'ilpouvait par conséquent se dispenser de les rapporter.

Sa phrase, qu'il faut citer sous sa forme latine, esttextuellement la suivante : Extremi quidem in eodem monte regii caesi sunt agminis : quorum, quia vulgata sunt, nomina dicere supersedeo. On s'est autorisé de ces mots pour affirmer que l'événement des Pyrénées avait particulièrement frappé lescontemporains et que, si les noms des héros tombés dans le combat étaient connus, c'était sans doute par desrécits ou par des chants composés en leur honneur : la mort de Roland, dès le début du IXe siècle, aurait fournimatière à poésie.Mais, c'est là, forcer le sens du texte de l'Astronome.

Les deux lignes du biographe ne contiennent aucune mentionde chants ni de poèmes et il n'existe nul indice qu'il y ait songé.

D'autre part, quand le vieil auteur écrivait que lesnoms des guerriers tués à l'arrière-garde étaient connus — vulgata sunt — il n'entendait point signifier qu'ils étaient« bien connus », ni « largement connus », comme s'il s'était agi de renommée ou de popularité.

Interprétées selonl'usage du latin médiéval, conforme à celui du latin classique, ses paroles veulent dire que les noms en questionavaient été « donnés », ou « publiés », sans que soit impliquée la moindre idée de célébrité.

Et telle est bien, eneffet, la pensée de l'Astronome, ainsi que le prouve le contexte de la phrase citée.

Parlant de la naissance de Louisle Pieux, son héros, qui se produisit au temps de l'expédition d'Espagne, l'auteur a jugé à propos de noter cesynchronisme et il a rappelé l'événement en quelques mots.

Sa source d'information, en ce passage, étaitprécisément la Vie de Charlemagne, écrite par Éginhard, à laquelle il a emprunté non seulement les éléments de sonrécit, mais aussi plusieurs expressions, littéralement transcrites.

Or, l'épisode de l'embuscade, qui avait marqué leretour de Charles, ne présentait pour lui qu'un intérêt secondaire : aussi a-t-il fortement abrégé la narration de sonmodèle et s'est-il dispensé de reproduire les noms des victimes qui s'y trouvaient consignés.

Quand il s'excuse de nepas fournir ces noms en alléguant qu'ils ont été publiés, il est tout naturel d'interpréter son idée comme une allusionau texte d'Eginhard.

Il a voulu dire : « Je ne donne point ces noms, puisqu'ils sont connus par ailleurs ».

« Parailleurs », c'est-à-dire grâce à un texte d'historien, un texte que nous connaissons et qui n'a rien de mystérieux.

Nultrait, par conséquent, en tout cela, qui invite à imaginer des récits populaires déjà vivants et répandus à sonépoque.Beaucoup plus tard, près de deux siècles après l'Astronome, exactement entre les années 1028 et 1031, un moinelimousin nommé Adhémar de Chabannes, a composé une chronique dont le livre II est consacré à Charlemagne.

Celivre, qui reproduit les Annales royales, ne parle ni de Roncevaux ni de Roland.

On a pourtant exploité comme uneindication instructive les lignes où, en tête de son récit, Adhémar a écrit que la domination de Charles s'étendait dumont Gargan, en Italie, jusqu'à Cordoue, en Espagne; et l'on a considéré que, faute de trouver une autre source àce passage, il était permis d'y reconnaître une réminiscence des vers 70 et 71 de la Chanson de Roland : Seignurs baruns, a Carlemagnes irez : Il est al siege a Cordres la citet. Mais cette interprétation dépasse manifestement la portée du texte.

Adhémar, parlant de la grandeur de l'empireCarolingien, thème rebattu par une foule de prosateurs et de poètes à partir du Ix' siècle, a simplement voulu direque cet empire couvrait l'Europe méridionale depuis le fond de l'Italie jusqu'au fond de l'Espagne.

Il a donné à sonexpression un tour plus concret en indiquant deux points géographiques, deux bornes précises.

Pour lui fournir lenom du Mont Gargan, qui est en Apulie, il n'avait pas eu besoin d'une chanson de geste : tout homme cultivé de sontemps connaissait l'existence de cette montagne fameuse, si souvent nommée à propos du culte de saint Michel, quidominait la plainé apulienne de ses huit mille quatre cents pieds et qui, pour les pèlerins, lorsqu'ils se rendaient en. »

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