« Les livres sont pour moi plutôt des amis que des serviteurs ou des maîtres. » Commentez et au besoin discutez cette affirmation de l’écrivain contemporain Claude Roy(1915-1999), en vous appuyant sur des arguments et des exemples tirés de votre expérience de lecteur.
Publié le 17/09/2011
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Ainsi donc, les livres peuvent être des serviteurs méprisés ou des maîtres tyranniques, certes, mais ils sont très souvent des serviteurs indispensables et des maîtres précieux et respectés. Tout d’abord, un nombre important de livres tirent leur raison d’être et même leur noblesse des services qu’ils rendent, et ceci malgré la concurrence des moyens audiovisuels et informatiques : il en est ainsi de tous les manuels scolaires, des ouvrages techniques, des dictionnaires de langue, de tous ceux qui se veulent informatifs, documentaires, depuis le guide touristique jusqu’à l’histoire de la Musique, en passant par les livres d’histoire de l’Art magnifiquement illustrés et les ouvrages qui invitent au voyage par leur splendides photographies.
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Les livres peuvent donc être de bons serviteurs et de bons maîtres, mais beaucoup peuvent être aussi de véritablesamis.D’abord, quand on est en compagnie de ses amis, on est bien, on passe des moments heureux de complicité; de lamême manière, quand on est «en compagnie » d’un livre que l’on aime, on est heureux de partager une certainecomplicité avec les personnages et souvent aussi, avec l’auteur lui-même.
Quand on lit un roman comme Le Comtede Monte Christo d’Alexandre Dumas, ou bien la Lumière des Justes d’Henri Troyat, ou un grand roman de JulesVerne, on vit avec Edmond Dantès au Château d’If ou avec Nicolas et Sophie Ozaref sur les routes glacées deSibérie : au fil des pages, les personnages deviennent des familiers, et même des amis.
Ce bonheur est parfois siintense que l’on a du mal à s’arracher à un livre que l’on aime.
Par ailleurs, c’est aussi vers un ami que l’on se tourne lorsque l’on a un souci, un chagrin à oublier : un ami en effetparvient souvent à chasser les idées moroses ; or, le livre possède aussi ce grand pouvoir de « divertir » au senspremier de « détourner » des préoccupations pénibles; Montesquieu déclarait : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’uneheure de lecture ne m’eût ôté ».
La lecture permet en effet une évasion qui estompe pendant quelque tempsl’acuité de la souffrance ; que le livre soit un roman réaliste de Zola comme Au bonheur des dames , qui entraîne lelecteur dans la société du Second Empire, une nouvelle fantastique comme la Vénus d’Ille de Prosper Mérimée ou leHorla de Maupassant, qui fait pénétrer ce même lecteur dans un monde étrange, l’effet est le même .
Bien plus, lelivre peut avoir le pouvoir consolateur d’un ami, parce que nous retrouvons en lui nos propres émotions, nos propressouffrances, nos propres angoisses.
En découvrant par exemple dans Une Vie de Maupassant la triste destinée deJeanne, l’héroïne, une jeune femme qui se trouve malheureuse relativisera sa propre infortune.
De même, dans lesContemplations de Victor Hugo, la lecture des poèmes exprimant sa douleur à la mort de sa fille Léopoldine« Ah ! je fus comme fou dans le premier moment(…)Pères, mères, dont l’âme a souffert ma souffranceTout ce que j’éprouvais, l’avez-vous éprouvé ? »pourra peut-être aider des parents dans leur propre deuil.
« Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous.
»affirme d’ailleurs le poète dans la préface du même recueil, en s’adressant au lecteur.
C’est d’ailleurs grâce à ce lien secret entre auteur et lecteur que les livres peuvent nous apporter l’aide précieuseque nous attendons souvent d’un ami: ses conseils, non pour qu’il nous impose sa manière de voir, mais pour queson regard différent, son expérience différente, nous enrichissent et nous permettent une autre approche de nosdifficultés, des réponses à des questions que nous nous posons, une aide dans nos choix moraux ; en effet, ilsabordent tous les sujets soit avec un souci d’objectivité, soit à travers la sensibilité de l’auteur.
Dans l’un et l’autrecas, ils aident le lecteur, comme le ferait un ami, à prendre les bonnes décisions soit par l’identification à unpersonnage ou à l’auteur lui-même, soit au contraire par le rejet du modèle donné.
Ainsi, on peut s’identifier à EmmaBovary tout en rejetant ses choix qui la mènent à sa perte.Tout comme un ami aussi, le livre peut nous « éveiller », nous « déranger » , en nous forçant à sortir de notre petitconfort moral pour nous faire prendre conscience de nos propres défauts ou des imperfections et des injustices dessociétés humaines.
Ainsi, le moraliste La Rochefoucauld au XVIIe siècle déclarait :« Toutes nos vertus ne sont leplus souvent que des vices déguisés »,maxime pessimiste, certes, mais qui nous amène à nous interroger sur nosmotivations profondes.
Dans un autre domaine, Victor Hugo en dénonçant le travail des enfants dans son poèmeMelancholia, au livre III des Contemplations :« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?[…]Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules »faisait prendre conscience au lecteur du caractère intolérable d’une telle réalité.
Ainsi donc, il est indéniable que les livres peuvent être à la fois des serviteurs indispensables et toujours disponibles,des maîtres respectés et admirés et pour cette raison, de même que dans le groupe de La Pleïade, Dorat étaitdevenu l’ami de ses disciples, devenir de véritables amis.
Ils nous donnent une meilleure connaissance de nous-mêmes et du monde qui nous entoure, nous aident à former notre jugement, notre esprit critique , notre culture etnotre personnalité .Mais pour parvenir à de telles relations avec les livres, pour qu’ils remplissent vraiment ce triple rôle, pour qu’ils nesoient ni des serviteurs méprisés, ni des maîtres tyranniques, l’attitude du lecteur lui-même est déterminante .
Il luifaut toujours garder vis à vis des livres, quels qu’ils soient une certaine dose de liberté qui justement permettra laformation d’un esprit critique.
Il lui faut aussi un esprit ouvert et curieux, afin, comme le dit Rabelais dansGargantua, de « rompre l’os et sucer la substantifique moelle »..
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