Les lectures que vous avez faites, les représentations auxquelles vous avez pu assister, et peut-être votre expérience de comédien amateur, ont été pour vous l'occasion de découvrir ce qu'est le théâtre. A l'aide d'exemples précis, vous essayerez de dire ce que vous a apporté ce contact avec des oeuvres théâtrales, et ce que vous attendez du théâtre en général.

« Ce dernier peut bien être hésitant, réticent, n'apporter que tardivement son adhésion, mais tôt ou tard le courantdoit jaillir, la lumière briller tout à coup...

sinon les représentations s'arrêtent et l'oeuvre est condamnée.

Un peintre,un compositeur, un poète peuvent attendre le jugement de la postérité mais un auteur dramatique ne peut sepasser d'applaudissements et de fidélités.Et cet accord suppose une communion entre le spectateur et l'acteur, la rencontre de deux solitudes individuelles,véritable complicité, forme intuitive du plaisir théâtral. 2.

Les leçons du théâtre Le thème de l'utilité du théâtre a été souvent traité.

Giraudoux n'a-t-il pas dit : «Le théâtre est la seule formed'éducation artistique et morale d'une nation »? Chacun de nous sait bien ce que le théâtre a pu lui apporter sui leplan psychologique, social et moral.Les héros de Corneille, Rodrigue, Horace, Curiace, Polyeucte, sont des exemples de fermeté, de raison, dedépassement de soi-même.

Ils représentent cet « appel du héros » que Bergson considère comme un fondement dela morale.

Aux antipodes du classicisme le dramaturge allemand Bertolt Brecht a édifié une oeuvre qui se proposepour but un véritable enseignement politique et social : chaque pièce doit nous inquiéter, nous faire prendre parti,nous pousser à agir...Souvent c'est l'observation critique de la réalité qui a valeur d'enseignement : Molière nous met sous les yeuxl'image ridicule et repoussante des passions dégradantes, des vices déments qui rongent une famille, des sottises etdes cruautés dont le monde est plein, pour nous engager à respecter les autres, à devenir indulgents et modérés, àrester simples et sincères.

La tragédie vise au même but par des moyens différents, nous faisant trembler tandis quela comédie nous fait rire, en nous montrant « Vénus tout entière à sa proie attachée...

»D'autres œuvres nous exposent des problèmes moraux ou politiques à la fois contemporains et éternels, quitraduisent les angoisses poignantes et les contradictions insolubles du cœur humain.

Polyeucte, Cinna, Lorenzaccio,Les justes, de Camus, Les mains sales, de Sartreont ce caractère en commun...Rappelons l'inoubliable Antigone de Sophocle, où se heurtent la règle sociale qui exige l'obéissance absolue aux loisde la cité, et la morale supérieure qui impose le respect des morts et la solidarité familiale.

Drame de l'Athènes du Vesiècle en pleine évolution idéologique et philosophique, mais sujet aussi brûlant quand Jean Anouilh le reprend en1944, et thème de réflexions qui gardent toute leur valeur et leur acuité en 1973.Beaucoup de pièces modernes ont le souci de présenter au public des sujets qui le touchent sous la forme la plusactuelle.

Citons Les séquestrés d'Ahana de Jean-Paul Sartre (où Reggiani joua le rôle d'un officier allemand torturépar les souvenirs et le remords),Franck V opéra d'une banque privée de Dürrenmatt, Le dossier Oppenheimer de Jean Vilar, V comme Vietnamd'Armand Gatti, les tournées mondiales des 32 comédiens du Living Theater orchestrant les thèmes de la guerre, duracisme, du chômage.

Ce mouvement s'est encore accentué, ces dernières années : des pièces récentes ontévoqué sous des déguisements transparents les grandes sociétés pétrolières, la politique du président Nixon, lesderniers scandales ou les récents conflits sociaux.

Jean Vilar avait dit: « je crois que si à Paris on montait deuxpièces-documents sur des faits contemporains par an, on apporterait une vie nouvelle au théâtre ».

C'est fait...On peut discuter de la valeur durable de ces pièces mais il faut reconnaître là une des orientations actuelles duthéâtre. 3.

Une prise de conscience et une libération de l'homme Mais l'aspect le plus important du théâtre, c'est peut-être finalement une véritable prise de conscience desgrandeurs, des crimes, des joies et des souffrances des hommes.

Claudel a très bien dit : « Faites que je soiscomme le semeur de solitude et que celui qui entend ma parole rentre inquiet chez lui et lourd ».Cette prise de conscience angoissée peut accompagner une immense fresque comme celle où Shakespeare faitdéfiler Le marchand de Venise, Henri IV, Othello, Macbeth et Le roi Lear, aussi grandioses et terrifiants que LesPerses, Les Sept contre Thèbes, Agamemnon, Électre, (Edipe, victimes et bourreaux, des grandes tragédiesgrecques; mais on la retrouve tout aussi bien dans le théâtre moderne, désolant miroir de la condition humaine,angoissant témoignage d'une fatalité pire que celle de la religion grecque, dans le Huis clos de Sartre, le Caligula deCamus, En attendant Godot de Beckett, sans oublier les dérisoires héros 'd'Eugène Ionesco et, entre autres, ce « LeRoi se meurt » où il a eu l'audace de représenter l'agonie de l'humanité, et où l'action dramatique n'est faite que del'effacement progressif des dernières résistances, des derniers sursauts de dignité et de grandeur, des ultimesespérances.Le théâtre n'est pas toujours aussi mortel...

mais il a toujours la même intensité passionnelle, car il doit montrer àl'homme jusqu'où il peut aller dans l'amour comme dans la haine, lorsqu'il n'a plus le contrôle des lois et des interditssociaux pour le brider.

Et Touchard dit très bien : « Non seulement le théâtre répond chez l'homme au besoind'éprouver librement les limites de sa puissance, en oubliant toutes les censures de la morale, de la religion et desautres lois sociales mais encore chaque homme est d'autant plus attaché à l'art dramatique et séduit par lui qu'il setrouve lui-même dans sa propre vie plus soumis à ces mêmes lois, consciemment ou non (Dionysios).Il est vrai que la représentation théâtrale me libère momentanément de mes démons intérieurs.

Sans doute suis-jedevenu le surhumain Maître de Santiago épris d'un absolu qui confine au néant, sans doute ai-je voulu tuer Hcedererpour affirmer ma force et ma pureté, sans doute me suis-je identifié momentanément au roi dément de Ghelderode. »