Les jeux de l'amour et de l'argent

« E X P 0 S É S F C H E S dites: "Si tu veux m'aimer, je te donnerai ce que tu voudras" »(IV, 5).

Le procédé dévoile le cynisme du grand seigneur libertin pour qui ses servantes ne sont que des marchandises destinées à son bon plaisir.

Un agent de corruption Avec moins de noirceur, mais plus d'ambiguïté, Marivaux met en scène ce thème dans La Double Inconstance.

Amoureux de sa sujette Silvia, le Prince es­ père bien se faire aimer pour lui-même, mais il n'hésite pas à recourir aux prestiges de la richesse pour parvenir à ses fins; Silvia n'en est pas dupe:« Je ne veux point de tous ces habits-là, car le Prince me veut en troc et jamais nous ne finirons ce marché-là» (Il, 3).

Mais son interlocutrice préfère insister sur la générosité du sou­ verain : «Vous vous trompez, quand il vous quitterait, vous emporteriez tout; vrai­ ment, vous ne le connaissez pas.

» Silvia, comme Arlequin, qui traite de « babioles » les richesses promises par le Prince en échange de Silvia (1, 4), a raison de se méfier.

Émanant des maîtres, l'argent, les cadeaux et les honneurs ne sont pas des dons désintéressés mais des appâts pour séduire les cœurs, acheter les corps et cor­ rompre les âmes.

La Double Inconstance fait des spectateurs les témoins de la ma­ chination des puissants pour détruire l'amour de Silvia et d'Arlequin, pour les pri­ ver de leur naïf bonheur et flétrir leur innocence.

~ Ill -DE L'AMOUR À LA FORTUNE «Un Pérou» Mais les valets savent aussi détourner à leur profit la loi économique qui les en­ chaîne à leurs maîtres.

Certains usent avec maestria des sentiments qu'ils inspirent.

Toutes les ruses du Mariage de Figaro jouent avec le désir du Comte pour Su­ zanne, afin de lui extorquer la dot promise sans rien lui accorder.

Quant à Dubois, dans Les Fausses Confidences, il a compris le parti qu'il pou­ vait tirer de la belle prestance de son ancien maître, Dorante: «Votre bonne mine est un Pérou.

( ...

)voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles( ...

) il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans!' appartement de Madame.

» (1, 2).

Comment parvenir ? Les faiblesses des maîtres font la fortune des valets : Araminte épousera son séduisant intendant au mépris des conventions sociales.

L'amour est peut-être le plus sûr moyen de« parvenir».

C'est du moins l'illu­ sion dont se berce l' Arlequin du Jeu de l'amour et du hasard, lorsqu'il se croit aimé de la fille de la maison, qui n'est que la soubrette Lisette déguisée.« Un co­ quin peut faire un bon mariage », assure-t-il à son patron, stupéfait d'une pareille audace (III, 1).

Ses paroles reflètent la réalité d'une société qui voit pâlir l'étoile de l'aristocratie, et où la noblesse n'hésite plus à s'allier à la finance.

Si les maîtres donnent l'exemple, tous les espoirs sont permis à leurs domestiques, qui entendent profiter de ce brassage social irréversible.. »