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LES IDÉES DE BALZAC

Publié le 05/04/2011

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On a dit que les personnages de Balzac étaient d'abord « ses idées pensées « avant de se transformer en individus vivants. Mais la personnification de ces idées est si puissante, si concrète, le génie divinateur du romancier leur confère un caractère si accusé et si réel, que les hommes et les femmes ainsi conçus font à jamais partie d'une espèce, représentant les prototypes de cette espèce, et que c'est cela qui leur confère la vie immortelle. Tous les grands créateurs d'état civil, Shakespeare et Molière par exemple, ont ainsi des personnages-idées : Macbeth ou le crime, Othello ou la jalousie; Alceste ou la misanthropie, Tartuffe ou l'hypocrisie. De même Grandet, Goriot, la cousine Bette, Balthazar Claës sont l'avarice, la passion paternelle, l'envie, le génie aux prises avec la vie bourgeoise.

Mais Balzac, s'il portait en lui un monde d'êtres prodigieusement variés, situés dans leurs décors propres, et si ces êtres, pour les plus fameux, pouvaient se confondre avec l'idée dont ils étaient le moteur lancé irrésistiblement, Balzac, disons-nous, fourmillait d'idées plus ou moins abstraites et qu'il a tenté d'exprimer, d'expliquer, tout au long de son œuvre, idées qu'il a souvent découvertes. La nature sociale, qui est une nature dans la nature, écrit Balzac dans Modeste Mignon., voilà l'étonnante nouveauté de sa Comédie Humaine. La Société, tel est le maître de l'homme et de la femme civilisés, et ils ne peuvent se soustraire à sa tyrannie nécessaire, rigoureusement déterminée, (nous reviendrons sur ce point essentiel). Mais ce fait est générateur d'événements, d'états, de sentiments, de passions où l'observateur vigilant trouve une pâture infinie. L'État social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature, plus la Société. (Préface de la Comédie Humaine, 1842) Balzac a donc étudié les rouages de la Société et le comportement des hommes par rapport à cette Société.

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« ses héros autobiographiques Louis Lambert et Raphaël de Valentin (de La Peau de Chagrin).

« Chez les deux grandsfondateurs et instituteurs de la littérature française, continue Thibaudet, celui du théâtre et celui du roman,Corneille et Balzac, la critique reste en arrêt et en méditation devant un mystère et une mystique de la Volonté.

»Citons encore le même critique dont tout le chapitre sur Balzac dans son Histoire de la Littérature française de 1789à nos jours est de loin, en même temps que le livre d'Alain : Avec Balzac, ce qui a été écrit de plus intelligent et deplus profond sur l'écrivain : « Comme Napoléon, Balzac a reconnu, cherché les êtres d'énergie destinés comme luiaux grandes choses.

Il en a fait la Grande Armée du Roman.

» Balzac a créé en outre, dans son œuvre, comme des oasis sociales autour d'une forte personnalité jouant le rôled'une Providence : le juge Popinot, providence des pauvres à Paris (L'Interdiction) ; le docteur Bénassis, providenced'un pays misérable dans la Grande Chartreuse (Le Médecin de Campagne); Véronique Graslin, providence de tout uncanton limousin, pauvre et infertile (Le Curé de Village) ; Mme de la Chanterie, providence des pauvres qui secachent (L'Envers çle l'Histoire contemporaine).Ce mot de volonté est aussi un terme dont Balzac se sert, faute du vocabulaire scientifique et philosophique inventéplus tard.

Or, il a devancé de presqu'un siècle les écoles philosophiques contemporaines, il a, avant Bergson, mis àleurs places prépondérantes l'intuition et la sensibilité.

Le mot Volonté, outre le sens moral habituel qu'il lui attribue,est utilisé pour désigner l'intimité profonde, essentielle, incommunicable de la personne, le milieu où la pensée faitses évolutions..., ...

la masse de force par laquelle l'homme peut reproduire en dehors de lui-même les actions quiconstituent sa vie.

(Louis Lambert) Balzac appelle pensée préparée le travail inconnu mais certain de l'inconscient.

Il découvre le danger que présentecet inconscient s'il n'est pas canalisé, dominé par la volonté consciente de l'homme.

Or comme cette volonté peutfaire défaut, il affirme la nécessité des disciplines intellectuelles, morales et sociales, c'est-à-dire, pour cesdernières, des disciplines religieuses et politiques. Lorsque les héros et les héroïnes de Balzac ont une assez puissante personnalité pour qu'un sentiment ou une idéearrive au stade passionnel, cette passion devient le moteur sensible et constant de leur existence.

Mais cettepassion n'est pas fortuite ni accidentelle.

Elle est fatale, c'est-à-dire qu'elle obéit à un déterminisme inébranlable,que ses causes et ses conséquences se trouvent, avant sa naissance effective, inscrites dans la physiologie, dansl'hérédité, — Balzac est le premier romancier qui tient un compte rigoureux de l'hérédité —, dans la psychologieintime de l'être qu'elle meut.

Et cette passion arrive à se nourrir, et comme à vivre de sa vie propre, elle chasse peuà peu, ou très vite, mais définitivement, ce qui n'est pas elle-même ou tout au moins ce qui ne peut la servir.

Elleaugmente régulièrement, et son pouvoir donne à l'homme ou à la femme dont elle est le siège, une puissanced'action quasi illimitée. Or, la passion la moins dynamique, c'est, en fait, l'amour.

Balzac ne s'y est pas trompé.

Alors que Louise de Chaulieu(Mémoires de Deux jeunes mariées), Mme de Mortsauf (Le Lys dans la Vallée) ou Esther Gobseck (Splendeurs etmisères des courtisanes) meurent d'amour, le père Grandet vit d'avarice, le cousin Pons vit de son avidité decollectionneur, le baron Hulot vit de sa débauche, la cousine Bette et Rosalie de Watteville (Albert Savarus) viventde leur jalousie, Balthazar Claës vit de sa Recherche de l'absolu, le docteur Benassis et Mme de la Chanterie viventde leur charité (Le Médecin de campagne, Envers de l'Histoire contemporaine). Étant donné que l'amour a un objet extérieur, il ne peut exister que par rapport à un autre être et la personne quiaime n'est pas maîtresse d'elle-même, elle dépend totalement de l'être aimé.

Notons en passant que c'est auxfemmes que Balzac a dévolu l'absolu de la passion amoureuse.

Il n'y a aucun équivalent masculin à ses grandesamoureuses, parce que les hommes ont, bon gré mal gré, d'exigeants exutoires de profession,- de rang, de société. C'était du moins ainsi de son temps.

Un Balzac des années 1950 trouverait sans doute des femmes capables des'évader dans la science, dans l'art ou dans la politique, de leur torture amoureuse...

Rien n'est moins sûr cependant: la physiologie et, à sa suite, la psychologie, restant invariables. On peut mettre Le Père Goriot parmi les victimes de l'amour.

Il meurt d'amour paternel.

L'objet de sa passion étantextérieur à lui-même, elle produit les mêmes effets que chez Esther Gobseck mourant à cause de Lucien deRubempré. Les autres passions sont égocentriques, elles ne concernent que celui qui les héberge, elles sont l'unique cause deses joies ou de ses souffrances, elles font corps avec lui, et représentent son but, sa raison impérieuse de vivre. Les passions dépeintes par Balzac chez des êtres doués de cette volonté qu'il considère comme la vertu humainepar excellence, arrivent à égaler, sinon à surpasser le génie même.

L'intelligence, tout entière au service de lapassion, est comme illuminée par cette passion.

L'intuition, toute concentrée sur le même objet, suggère desjugements et des actions géniales, que ne peuvent soupçonner l'entourage du Père Grandet, de la Cousine Bette, oude l'Abbé Troubert (Le Curé de Tours), parce que le comportement visible de ces personnages ne peut permettre àpersonne de lui conférer ce génie. Lorsque la passion est la passion du bien, une passion altruiste désintéressée, le génie se montre à l'état pur chezMme de la Chanterie (L'envers de l'Histoire Contemporaine), le juge Popinot (L'Interdiction), le docteur Bénassis (LeMédecin de Campagne), le curé Bonnet (Le Curé de Village).. »

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