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Les Deux Pigeons Livre IX, fable 2, vers 65 à 83 - La Fontaine (commentaire)

Publié le 27/03/2015

Extrait du document

fable

Dans le long récit qui précède notre extrait, La Fontaine a peint un couple de pigeons : liées par un sentiment «d'amour tendre«, les deux bêtes ont traversé l'épreuve d'une sépara­tion. Le pigeon, «imprudent voyageur«, entraîné par le désir de «voir du pays« et par le mouvement de son « humeur inquiète «, n'a trouvé sur sa route que déconvenues, mal­heurs et souffrances.

Le récit s'achève sur les retrouvailles, moment de bonheur qui efface les peines endurées. La Fontaine, maintenant, quitte le monde des bêtes pour rejoindre le monde des hommes, clôt le récit fabuleux pour en dégager une leçon.

65 Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?

Que ce soit aux rives prochaines;

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,

Toujours divers, toujours nouveau;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste;

70 J'ai quelquefois aimé ! je n'aurais pas alors,

Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste,

Changé les bois, changé les lieux

Honorés par les pas, éclairés par les yeux

75       De l'aimable et jeune bergère,

Pour qui, sous le fils de Cythère,

Je servis, engagé par mes premiers serments.

Hélas! quand reviendront de semblables moments?

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants

80 Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?

Ah si mon coeur osait encor se renflammer!

Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?

 

Ai-je passé le temps d'aimer?

fable

« Après une adresse aux "heureux amants» (sous forme de conseils: vers 65 à 69) qui trace les perspectives d'un bonheur parfait, le poète prend la parole à la première personne: un souvenir lointain apparaît, qui fait resurgir l'espace et le temps d'une idylle amoureuse (vers 70 à 77); cela contraste avec un présent douloureux, source d'interrogations angoissées (vers 77 à 83).

Ainsi s'affirme de manière inattendue le lyrisme d'une voix singulière et touchante.

O_~espa~e ~~~u~t l'e~~'!~e de Ja solitud.! Deux espaces s'opposent, celui du couple (espace du bonheur, idéal ou passé) et celui du poète, isolé dans la solitude présente.

L'espace du bonheur amoureux.

C'est un espace intime qui rend le voyage inutile («Tenez-vous lieu de tout»).

La Fontaine apporte d'ailleurs à la question du vers 65 une réponse immédiate et teintée d'humour: «les rives prochaines» ne sont pas le but d'un véritable voyage, tel celui que le récit vient de rapporter.

C'est aussi un espace vaste («Un monde») se suffisant à lui-même, où peuvent se combler les divers appétits que l'homme croit pouvoir satisfaire en voyageant: attrait de la beauté, de la nouveauté et de la diversité.

C'est le contraire d'un espace réduit, exigu: il a le pouvoir d'ef­ facer tout ce qu'il n'inclut pas (v.

69); c'est un microcosme qui rend déri­ soire le reste du monde, aussi bien le monde extérieur des grands (les lieux du pouvoir et de la richesse: v.

71) que le cosmos universel (v.

72).

Espace changeant (il n'exclut pas la diversité), il est aussi très stable, comme le suggèrent la répétition insistante de «toujours» (v.

67-68), l'équilibre des cadences rythmiques et des alternances métriques (v.

67 à 69); enfin, il est structuré, ordonné autour de la présence physique de l'être aimé qui valo­ rise et illumine (v.

74-75).

C'est un espace de quiétude et de plénitude.

L'espace de la solitude: un espace instable.

Le poète privé d'amour ne peint pas un espace vide autour de lui: au contraire son regard évoque «tant d'objets» (v.

79), c'est-à-dire dans le langage amoureux et précieux du XVIIe siècle, des personnes aimées, des femmes dont les pouvoirs de séduc­ tion sont incontestables («doux et charmants»).

L'interrogation du vers 81 révèle ce qui fait défaut: qu'un de ces «objets» se détache, capte l'âme du poète («charme» a un sens très fort: exercer un attrait puissant, comme magique) de façon à la stabiliser, à la fixer («arrêter») .

L'absence d'un être aimé empêche qu'autour du couple reformé l'espace puisse s'immobiliser et la vitalité à nouveau s'épanouir (v.

81: le cœur «se renflammer»).

Privé d'un tel «objet» qui alimente sa «fla,mme », le «moi» solitaire vit comme un voyageur: «l'âme inquiète» (v.

80) fait écho à «l'humeur inquiète» du pigeon (v.

20) 66. »

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