"Les deux pigeons" - Fables de La Fontaine (Commentaire)
Publié le 07/10/2018
Extrait du document
Son autre motif de voyage n'est guère plus estimable, puisqu'il s'agit d'une forme de vanité, le désir de se faire
valoir en parlant de ce qu'il a vu, comme le montre le champ
lexical de la parole : \"conter / Mes aventures” (avec le rejet qui souligne la prétention), \"Quiconque ne voit guère / N'a guère à dire”, \"mon voyage dépeint”, \"Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint” Cela devient une volonté de
s'affirmer supérieur à l'être aimé. Ce ton méprisant lui fait mériter son châtiment !
L'autre pigeon refuse, lui, le voyage, et argumente fermement. D'abord, il invoque les sentiments amoureux, \"quitter votre frère”, \"l'absence est le plus grand des maux”, et l'alexandrin du vers 8 parodie le langage tragique. Puis il fait appel à sa raison, en évoquant les risques légitimes du voyage dans une énumération : \"les travaux / Les dangers, les soins du voyage”. La logique est sollicitée, lorsque le climat est mentionné : \"Encore si la saison s'avançait davantage ! / Attendez les zéphirs”. Enfin, en désespoir de cause, c'est l'irrationnel qui est mis en avant, le présage qui, dans l'alexandrin, \"aanonçait malheur à quelque Oiseau”. Dans ce rôle d'avocat, le pigeon revient, dans l'exorde, aux sentiments, comme il est de règle dans un plaidoyer, avec l'interjection tragique, \"Hélas”, et les interrogations oratoires. Mais cette argumentation échoue, la raison n'a eu aucun effet. Seule l'expérience pourra convaincre le pigeon, qui rentrera en \"maudissant sa curiosité”.
Dans ce débat, c'est le fabuliste qui sera le juge, et donne au lecteur sa fable comme pour remplacer l'expérience, comme un moyen de le toucher pour mieux l'instruire. Dans le cours du récit, il blâme nettement le pigeon et, avec le recours au \"nous”, tente d'entraîner le lecteur dans son jugement ironique, pour en faire son complice : \"Fut assez fou pour entreprendre” (v. 3), \"notre imprudent voyageur” (v. 19), \"notre malheureux volatile” (v. 45). Il insiste sur la naïveté du pigeon, qui ne se méfie pas des \"las” : dès qu'il les \"voit”, verbe répété, il y va sans réfléchir. Il ne
«
“envie”.
Dans la seconde épreuve, il est plus directement atteint : ”quelque plume y périt”.
La Fontaine en brosse
ironiquement un portrait ridicule des vers 25 à 27, en impliquant son lecteur : “notre malheureux qui, traînant la
ficelle / Et les morceaux du las …” La comparaison, “qui semblait un forçat échappé”, le dévalorise encore.
La
dernière épreuve, enfin, l'anéantit : “tua plus d'à moitié”, “demi-morte et demi-boiteuse”.
La Fontaine s'amuse alors
à imiter, par le rythme binaire et
les sonorités des vers 58 et 59, sa démarche pitoyable.
=== Ainsi le fabuliste a démythifié son héros par le contraste entre l'amplification épique des épreuves et le ridicule
croissant des échecs successifs : la fable s'inscrit dans le registre héroï -comique, forme de parodie, et remplit bien
son rôle premier, divertir.
DEUX CONCEPTIONS OPPOSEES
Ce héros représente le désir de voyage, mais immédiatement présenté de manière péjorative : “s'ennuyant au
logis”, “l'humeur inquiète”, adjectif amplifié par la diérèse et à prendre au sens étymologique, c'est-à-dire “ne
connaissant pas le repos”.
Cela rappelle le tableau de Pascal dans les Pensées quand il explique le rôle du
“divertissement” pour l'homme (cf.
Corpus “Comment masquer pour démasquer”), qui a besoin de changer de lieu
simplement pour pallier l'ennui, le vide de son âme.
D'ailleurs ici ce qui anime le pigeon est le simple “désir de
voir”, et non celui d'apprendre : seul l'attire le changement, “la curiosité”, qu'il maudira à la fin, dans le seul
décasyllabe de la fable.
Son autre motif de voyage n'est guère plus estimable, puisqu'il s'agit d'une forme de vanité, le désir de se faire
valoir en parlant de ce qu'il a vu, comme le montre le champ
lexical de la parole : “conter / Mes aventures” (avec le rejet qui souligne la prétention), “Quiconque ne voit guère /
N'a guère à dire”, “mon voyage dépeint”, “Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint” Cela devient une volonté de
s'affirmer supérieur à l'être aimé.
Ce ton méprisant lui fait mériter son châtiment !
L'autre pigeon refuse, lui, le voyage, et argumente fermement.
D'abord, il invoque les sentiments amoureux, “quitter
votre frère”, “l'absence est le plus grand des maux”, et l'alexandrin du vers 8 parodie le langage tragique.
Puis il fait
appel à sa raison, en évoquant les risques légitimes du voyage dans une énumération : “les travaux / Les dangers,
les soins du voyage”.
La logique est sollicitée, lorsque le climat est mentionné : “Encore si la saison s'avançait
davantage ! / Attendez les zéphirs”.
Enfin, en désespoir de cause, c'est l'irrationnel qui est mis en avant, le
présage qui, dans l'alexandrin, “aanonçait malheur à quelque Oiseau”.
Dans ce rôle d'avocat, le pigeon revient,
dans l'exorde, aux sentiments, comme il est de règle dans un plaidoyer, avec l'interjection tragique, “Hélas”, et les
interrogations oratoires.
Mais cette argumentation échoue, la raison n'a eu aucun effet.
Seule l'expérience
pourra convaincre le pigeon, qui rentrera en “maudissant sa curiosité”.
Dans ce débat, c'est le fabuliste qui sera le juge, et donne au lecteur sa fable comme pour remplacer l'expérience,
comme un moyen de le toucher pour mieux l'instruire.
Dans le cours du récit, il blâme nettement le pigeon et, avec
le recours au “nous”, tente d'entraîner le lecteur dans son jugement ironique, pour en faire son complice : “Fut
assez fou pour entreprendre” (v.
3), “notre imprudent voyageur” (v.
19), “notre malheureux volatile” (v.
45).
Il insiste
sur la naïveté du pigeon, qui ne se méfie pas des “las” : dès qu'il les “voit”, verbe répété, il y va sans réfléchir.
Il ne.
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