Les Confessions, Livre IV, p. 229-230. Lecture méthodique - Rousseau
Publié le 23/06/2015
Extrait du document
Lecture méthodique
Ces longs détails de ma première jeunesse auront paru bien puérils, et j'en suis fâché : quoique né homme à certains égards, j'ai été longtemps enfant, et je le suis encore à beaucoup d'autres. Je n'ai pas promis d'offrir au public un grand per
5 sonnage ; j'ai promis de me peindre tel que je suis ; et, pour
me connaître dans mon âge avancé, il faut m'avoir bien connu dans ma jeunesse. Comme en général les objets font moins d'impression sur moi que leurs souvenirs, et que toutes mes idées sont en images, les premiers traits qui se sont gravés
10 dans ma tête y sont demeurés, et ceux qui s'y sont empreints dans la suite se sont plutôt combinés avec eux qu'ils ne les ont effacés. Il y a une certaine succession d'affections et d'idées qui modifient celles qui les suivent, et qu'il faut connaître pour en bien juger. Je m'applique à bien développer partout les pre
15 mières causes pour faire sentir l'enchaînement des effets. Je voudrais pouvoir en quelque façon rendre mon âme transpa-rente aux yeux du lecteur, et pour cela je cherche à la lui mon-trer sous tous les points de vue, à l'éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu'il ne s'y passe pas un mouvement qu'il
20 n'aperçoive, afin qu'il puisse juger par lui-même du principe qui les produit.
Les Confessions, Livre IV, p. 229-230.
«
vingtaine d'années (1712-1731 ).
Jean-Jacques se trouve alors
à un tournant de sa vie.
Après deux années d'errance pendant
lesquelles il s'est livré à toutes sortes d'« extravagances », il va
quitter sa « folle jeunesse » pour mener une vie réglée auprès
de Mme de Warens qu'il vient de retrouver.
C'est donc l'occa
sion pour l'auteur d'interpeller à nouveau le lecteur afin de faire
un bilan et de solliciter son jugement.
Axes de lecture
Dans ce passage, Rousseau insiste sur l'importance primor
diale de l'enfance dans la formation de la personnalité et par
conséquent sur la nécessité, pour l'écrivain, de mettre en regard
présent et passé.
Or une telle démarche ne peut se faire que
dans la transparence, si l'auteur veut faire du lecteur un juge
impartial.
Ces idées fondamentales de la pensée de Rousseau
constitueront donc nos deux axes d'étude.
1.
ROUSSEAU,
ARCHÉOLOGUE
DE SA PERSONNALITÉ
Les références à l'enfance sont omniprésentes dans cet extrait
où l'auteur, recherchant l'unité de l'être à travers les sédiments
de la mémoire, met en œuvre une poétique de la surimpression.
L'isotopie cc: prernier n
Cette isotopie 1 est omniprésente dans le texte où l'adjectif
«
premier » est repris trois fois (1.
1, 9, 14-15).
Il faut par ailleurs
noter l'importance du réseau lexical de l'enfance avec des mots
comme
« puérils » (1.
2).
« enfant » (1.
3).
« jeunesse » (1.
7) et
de façon plus indirecte avec les expressions « premiers traits ))
(1.
9), « premières causes )) (1.
15), Rousseau voulant remonter
au « principe )) (1.
20) qui est à la base de sa personnalité.
En effet,
1.
Une isotopie est une récurrence sémantique: divers termes s'appa rentent ou se recoupent pour former un réseau, un système cohérent
d'échos (d'après le Vocabulaire de l'analyse littéraire, Du nod).
201.
»
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