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Les Confessions, Livre IV, p. 222-223. Lecture méthodique - Rousseau

Publié le 23/06/2015

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Lecture méthodique 13

Je me souviens même d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait

5 très chaud ce jour-là, la soirée était charmante; la rosée humec 

tait l'herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l'air était frais, sans être froid; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose; les arbres des terrasses étaient chargés de ros 

10 signols qui se répondaient de l'un à l' autre. Je me prome-nais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon coeur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je pro¬longeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m'aper 

15 cevoir que j'étais las. Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était pré¬cisément au-dessus de moi; je m'endormis à son chant : mon

20 sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux, en s'ouvrant, virent l'eau, la verdure, un pay¬sage admirable. Je me levai, me secouai, la faim me prit, je m'acheminai gaiement vers la ville, résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs' qui me restaient encore.

25 J'étais de si bonne humeur, que j'allais chantant tout le long du chemin, et je me souviens même que je chantais une can¬tate de Batistin intitulée Les bains de Thomer y, que je savais par coeur.

Les Confessions, Livre IV, p. 222-223.

La fraîcheur de cette page, sa réussite, tiennent à son unité, à l'art avec lequel Rousseau, recomposant son souvenir, assei nble les deux aspects que notre lecture méthodique a dissociés : l'évo­cation d'une nature idéale et la certitude plus ou moins rêvée de n'avoir fait qu'un avec elle'.

 

En ce qui concerne l'originalité de Rousseau dans cet extrait, on peut signaler la critique d'un commentateur qui estime qu'on surprend ici Jean-Jacques à faire « du Rousseau «. Ce n'est en effet ni la première ni la dernière fois que l'auteur exprime son goût de la nature et de la fusion en son sein. Au lecteur d'en juger en se reportant à La Nouvelle Héloïse, à la Troisième lettre à Malesherbes et aux Rêveries du promeneur solitaire.

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« INTRODUCTION Situation du passage Cette évocation d'une « nuit délicieuse » se situe à la fin du Livre IV.

Rousseau séjourne alors quelque temps à Lyon, dans l'attente de nouvelles de Mme de Warens.

Confiant en son ave­ nir, il choisit de dormir à la belle étoile chaque fois qu'ille peut car, dit-il, «J'aimais mieux employer quelques sols qui me res­ taient à payer mon pain que mon gîte.

» L'une de ces nuits lui revient en mémoire, qu'il choisit de nous raconter.

Axes de lecture Le charme de cette page l'a rendue célèbre.

En effet quel lec­ teur n'envierait le bonheur de Jean-Jacques, au cours de cette délicieuse nuit? Comment rendre compte de cette réussite? Le lecteur doit ici dépasser son impression première et tenir compte de ce qu'il sait de l'élaboration des Confessions: - d'une part, la mémoire de Rousseau recompose souvent son bonheur passé pour mieux l'idéaliser: cette nuit est peut-être la synthèse de plusieurs nuits semblables (cf.

les imprécisions du début du texte) et l'on doit sans doute moins y lire un témoi­ gnage autobiographique précis que l'évocation idéale d'un artiste maître de son talent; - d'autre part, Rousseau n'abandonne jamais la thèse sous­ jacente à son récit : montrer, dans la personne de Jean-Jacques, l'innocence d'un tempérament simple et sensible, fait pour être heureux au sein de la nature.

Ces deux remarques vont guider l'examen méthodique du texte vers deux axes de lecture: 1.1'évocation d'une nature idéale; 2.

l'accord du « moi » au rythme de la nature.

1.

L'ÉVOCATION D'UNE NATURE IDÉALE Une certaine imprécision du cadre est d'abord à noter: l'auteur ne se « rappelle pas » (1.

3) s'il longeait le Rhône ou la Saône; il ne précise pas davantage si l'on est au printemps, en été, ou en automne.

Le tableau qu'il peint a un caractère de généralité 191. »

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