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Les Confessions, Livre II, p. 83-84. Lecture méthodique - Rousseau

Publié le 23/06/2015

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  Lecture méthodique

 

C'était le jour des Rameaux de l'année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je l'atteins, je lui parle... Je dois me sou-venir du lieu ; je l'ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers. Que ne puis-je entourer d'un balustre

5 d'or cette heureuse place ! que n'y puis-je attirer les hom¬mages de toute la terre ! Quiconque aime à honorer les monu¬ments du salut des hommes n'en devrait approcher qu'à genoux.

C'était un passage derrière sa maison, entre un ruisseau à

lo main droite qui la séparait du jardin, et le mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l'église des Cordeliers. Prête à entrer dans cette porte, Mme de Warens se retourne à ma voix. Que devins je à cette vue ! Je m'étais figuré une vieille dévote bien rechignée : la bonne dame de

15 M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. Rien n'échappa au rapide coup d'oeil du jeune prosélyte ; car je devins à l'instant le sien, sûr qu'une religion

20 prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener en paradis. Elle prend en souriant la lettre que je lui présente d'une main tremblante, l'ouvre, jette un coup d'oeil sur celle de M. de Pontverre, revient à la mienne, qu'elle lit tout entière, et qu'elle eût relue encore si son laquais ne l'eût avertie qu'il

25 était temps d'entrer. « Eh ! mon enfant, me dit-elle d'un ton qui me fit tressaillir, vous voilà courant le pays bien jeune ; c'est dommage en vérité. « Puis, sans attendre ma réponse, elle ajouta : « Allez chez moi m'attendre ; dites qu'on vous donne à déjeuner; après la messe j'irai causer avec vous. «

Les Confessions, Livre II, p. 83-84.

 

Pour mieux saisir cette dissymétrie des sentiments, on peut citer la façon dont Rousseau décrit son propre aspect physique à cet âge, dans la page qui précède notre extrait : « Sans être ce qu'on appelle un beau garçon, j'étais bien pris dans ma petite taille; j'avais un joli pied, la jambe fine, l'air dégagé, la physiono­mie animée, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était embrasé «. Apparemment, sans doute parce que Jean-Jacques est paralysé par sa timidité, Mme de Warens ne remarque rien du charme de l'adolescent. Elle ne devine pas en lui l'être ardent auquel elle pourrait être sen­sible, et qui, pourtant, a « déployé « toute son « éloquence « pour l'émouvoir : elle a de la bienveillance, de la pitié, de la douceur; mais d'amour point. Elle ne « rencontre « pas le jeune homme au sens où il croit la rencontrer. On sait qu'elle l'enverra trois jours plus tard à Turin, pour qu'il y soit instruit de la religion catholique; ils ne se reverront pas avant un an. Il n'y a pas de réciprocité dans cette relation.

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« --·INTRODUCTION Sitùation du passage Nous sommes au début du Livre Il, en mars 1728.

Jean­ Jacques aura bientôt seize ans et il rencontre, pour la première fois, Mme de Warens qui, elle, en a vingt-neuf ...

Le jeune homme a fui Genève, ville protestante, et a été recueilli par un prêtre, l'abbé de Pontverre, qui veut le convertir au catho­ licisme.

Pour cela, Rousseau doit rejoindre, à Annecy, « une bonne dame bien charitable », elle-même récemment convertie, Mme de Warens.

Elle est officiellement chargée d'héberger les âmes en voie de conversion.

Jean-Jacques arrive donc à Annecy, muni d'une lettre de recom­ mandation de l'abbé.

Il craint de ne pas plaire, et ajoute au billet de M.

de Pontverre « une belle lettre en style d'orateur» où il déploie toute son éloquence « pour capter la bienveillance de Mme de Warens.

» Celle-ci n'est pas chez elle; on dit au jeune homme qu'elle vient de sortir de sa maison pour aller à l'église; il y court ...

Axes de lecture Puisqu'il s'agit d'une première rencontre, présentée comme capitale, Rousseau met tout son soin à nous la raconter : son objectif est à la fois de bien préciser les circonstances de l'évé­ nement et de nous faire partager l'émotion qu'il éprouve encore, bref de susciter en nous un intérêt romanesque.

Notre premier axe de lecture portera donc sur l'art du récit.

En même temps, cette page est écrite par un adulte qui veut nous montrer la formation de son caractère à partir de sa vie sen­ timentale.

Il nous expose donc, dès maintenant, les éléments qui vont constituer cette étonnante relation entre un adolescent sensible et une jeune femme bienveillante- relation au demeu­ rant fort dissymétrique, qui fera l'objet de notre second axe de lecture.

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