Les Confessions, Livre I, p. 45-46. Lecture méthodique. Rousseau
Publié le 23/06/2015
Extrait du document

Lecture méthodique
Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en pro-fitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car Mlle Lambercier, s'étant sans
5 doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but, déclara qu'elle y renonçait et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'hon
10 neur, dont je me serais bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.
Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d' une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela
15 précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'ensuivre naturellement? En même temps que mes sens furent allumés, mes désirs prirent si bien le change que, bomés à ce que j'avais éprouvé, ils ne s'avisèrent point de chercher autre chose. Avec un sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me
20 conservai pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tempé-raments les plus froids et les plus tardifs se développent. Tourmenté longtemps sans savoir de quoi, je dévorais d'un oeil ardent les belles personnes ; mon imagination me les rap-pelait sans cesse, uniquement pour les mettre en oeuvre à
25 ma mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier.
Les Confessions, Livre I, p. 45-46.

«
Commence alors une période de bonheur auprès de
M.
Lambercier et de sa sœur.
L'enfant mène une vie simple en
pleine nature, « ouvrant [son] cœur à l'amitié » et à des « senti
ments tendres, affectueux, paisibles » qui modèlent définitive
ment
son caractère.
Mais ce bel ordre est brisé par deux fessées
méritées données par Mlle Lambercier.
Curieusement, la pre
mière fessée est pour l'enfant« moins terrible à l'épreuve que
l'attente ne l'avait été»; elle augmente même l'affection qu'avait
Jean-Jacques pour la sœur du pasteur.
Il trouve « dans la dou
leur, dans la honte même, un mélange de sensualité».
Cette
réaction contradictoire de Jean-Jacques fait qu'il essaie d'éviter
une deuxième fessée(« la récidive») sans toutefois la craindre.
Pourtant le châtiment se renouvelle et Rousseau, dans ce pas
sage, nous en montre les conséquences.
Axes de lecture
Nous découvrons dans cet épisode combien « la punition des
enfants», administrée une seconde fois à Jean-Jacques, l'a pro
fondément marqué pour toute sa vie.
Nous y retrouvons par
ailleurs la démarche habituelle de Rousseau, qui passe de l'anec
dote à l'analyse du moi profond, de l'aveu au plaidoyer.
1.
UNE ÉTAPE
DÉTERMINANTE DANS
LE DESTIN DE ROUSSEAU
En dépit des réactions prévisibles des lecteurs de l'époque,
Rousseau n'hésite pas à dévoiler une expérience très intime qui
révèle une sensualité ardente.
Partant de là, il se livre à une
analyse d'une étonnante lucidité quant à l'importance, pour l'ave
nir, d'un épisode qui pourrait paraître anodin.
Une ardente sensualité
En toute « transparence » et avec une franchise jusqu'alors
inconnue,
Rousseau narre l'histoire de la seconde fessée.
Cependant, n'attendons pas de lui un réalisme que le bon
goût de l'époque n'aurait pas permis! Les effets de la fessée
sont simplement suggérés
dans la deuxième phrase : « Mlle
127.
»
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