Devoir de Philosophie

Les Acteurs de bonne foi: Ils font semblant de faire semblant de Marivaux

Publié le 19/03/2020

Extrait du document

marivaux

«BLA1SE. — Et au par-dessus (au surplus), on se raille de ma personne dans ce peste de jeu-là, noute maîtresse (notre maîtresse: il s’adresse à Madame Argante): Colette y fait semblant d’avoir le cœur tendre pour Mon sieur Merlin, Monsieur Merlin de li céder le sien: et maugré la comédie, tout ça est vrai, noute maîtresse; car ils font semblant de faire semblant, rien que pour nous en revendre, et ils ont tous deux la malice de s’aimer tout de bon en dépit de Lisette qui n’en tâtera que d’une dent, et en dépit de moi qui sis pourtant retenu pour gendre de mon biau-père (beau-père). »

(scène 12)

« Un joli homme est inconstant, une coquette n’est pas fidèle. Colette trahit Biaise, je néglige ta flamme. Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t’en mets en fureur; et voilà ma pièce. » (scène 2)

« Merlin. — Nous jouerons à l’impromptu, Monsieur, à l’impromptu.

Eraste. — Que veux-tu dire: à l’impromptu?

Merlin. — Oui. Je n’ai fourni que ce que nous autres beaux esprits appelons le canevas; la simple nature fournira les dialogues, et cette nature-là sera bouffonne. eraste. — La plaisante espèce de comédie ! Elle pourra pourtant nous amuser. »

(scène 1)

 

« madame amelin. — Ecoutez-moi; je vais feindre d’être si rebutée du peu de complaisance qu’on a pour moi, que je paraîtrai renoncer au mariage de mon neveu avec Angélique.

araminte. — Votre neveu est, en effet, un si grand parti pour elle...

madame amelin, en riant. — Que la mère n’avait osé espérer que je consentisse; jugez de la peur qu’elle aura, et des démarches qu’elle va faire. Jouera-t-elle bien son rôle?

araminte. — Oh ! d’après nature. » (scène 8)

marivaux

« 318 / THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE• 42 est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t'en mets en fureur; et voilà ma pièce.» (scène 2) De fait, avant que ne commence la répétition, Blaise paraît être devenu, sous l'impulsion de sa jalousie nais­ sante, le «nigaud» qu'il va jouer, tout comme Lisette, cédant au même mobile, proteste déjà: tous deux réagis­ sent conformément au rôle qui leur est dévolu.

Lisette, apparemment, se réjouissait pourtant du chassé-croisé amoureux (« Ce que j'aime de ta comédie, c'est que nous nous la donnerons à nous-mêmes.»), ce que confirme Merlin : « dans le plan de ma pièce, vous ne sortez point de votre caractère, vous autres ...

» (scène 2).

Or la représentation ne peut avoir lieu _sans la prépara­ tion des acteurs: Lisette et Blaise ont tout loisir, au cours de la répétition, d'interrompre le jeu de Merlin et de Colette, spécialement Blaise, qui, ulcéré par la jalousie, accuse ces derniers de le trahir.

Pour Blaise, le jeu théâtral est certes perçu d'abord comme un artifice; toutefois, la jalousie aidant, il assiste à une scène de séduction qu'il est enclin à prendre au sé­ rieux.

A ses yeux, le jeu théâtral ne repose plus sur la fiction d'une apparence tenue pour vraie, à Iaquell'e les acteurs-interprètes se prêteraient complaisamment, comme l'exige tout rôle d'emprunt.

Si le jeu théâtral consiste à faire semblant d'éprouver des sentiments que l'on n'éprouve pas en réalité, le jeu n'en est plus un quand on éprouve vraiment ce que l'on fait semblant d'éprouver.

On fait alors semblant de jouer un rôle, on fait donc semblant de faire semblant.

Grâce à la comédie qui, remarque Blaise, est destinée à tromper, à« en revendre» au spectateur naïf (à l'attraper), Merlin et Colette «ont tous deux la malice de s'aimer tout de bon».

Ils utilisent le théâtre, art du faux-semblant, pour exprimer la vérité de leurs sentiments les plus sincè­ res: «BLAISE.

- Et au par-dessus (au surplus), on se raille de ma personne dans ce peste de jeu-là, noute maîtresse (notre maîtresse: il s'adresse à Madame Argante): Co- lette y fait semblant d'avoir le cœur tendre pour Mon-. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles